Jean Perron

« Certain que je suis heureux ! »

Le ton est enjoué au bout du fil.

Jean Perron était déjà en plein travail au restaurant, dans sa terre d’adoption en Gaspésie, lorsqu’il a répondu au téléphone, tôt hier matin. Il était affairé auprès de ses clients, et nous avons convenu de nous reparler quelques heures plus tard.

« J’avais huit golfeurs ici pour déjeuner à matin, racontera-t-il en fin de matinée. J’ai aidé ma waitress à servir le café, et on a jasé de toutes sortes d’affaires. »

Loin du monde trépidant, et stressant, de Montréal, Jean Perron, aujourd’hui âgé de 70 ans, semble avoir trouvé la sérénité à Chandler, petite ville de 7500 habitants à l’extrémité de la péninsule gaspésienne.

« Je suis heureux, certain que je suis heureux ! C’est une vie un peu plus stable que quand j’étais à Montréal, où c’était le Canadien, c’était la radio, c’était la télévision... Ici, je retrouve ce que je vivais dans mon enfance, dans mon adolescence, un petit village tranquille où tu marches à ton propre rythme, tu n’as pas de pression inutile. Tu es capable de fonctionner plus normalement. »

Son restaurant s’appelle La loge à Perron. C’est un minuscule établissement de 14 places, de la taille d’une loge au Centre Bell justement. « Sa » Carole s’occupe de la cuisine, lui gère l’endroit et fait du social avec les clients. 

« Soixante pour cent de la business, c’est de la livraison ; l’autre quarante pour cent, c’est du service à l’intérieur, lance l’ancien coach du Canadien, gagnant de la Coupe Stanley en 1986. On sert toutes sortes de choses, des brochettes de poulet, pizza, poutine, hamburger steak,de la morue gaspésienne. Moi, je remplace la serveuse quand elle ne peut pas venir. Carole, la cuisine, c’est sa grande passion. Les Gaspésiennes cuisinent énormément. 

« J’ai fait faire des napperons avec toutes sortes d’histoires du Canadien, des photos que j’ai prises avec mes joueurs, avec Jean Béliveau, qui était mon idole. J’ai mis ça dans le restaurant. Les gens qui viennent chez nous, ils viennent pour la nourriture en premier lieu, parce que la nourriture est excellente, mais ils viennent parce qu’ils savent que je suis un gars de hockey. »

Jean Perron ne s’ennuie pas des débats houleux entourant le Canadien. « On répète toujours la même affaire. Et partout où je me promenais, je devais répondre à la fameuse question : quand est-ce que le Canadien va gagner sa prochaine Coupe Stanley ? À un moment donné, je trouvais que j’étais toujours en train de parler de ce que moi, j’avais vécu avec Serge Savard et tous mes joueurs. J’étais tanné de ça. Le hockey a changé avec le plafond salarial. Il y a une génération qui n’a pas connu la Coupe Stanley. Toujours faire des comparaisons avec mon époque, les jeunes ne veulent rien savoir de ça. C’était le temps de leur donner la place. »

« J’ai viré la page »

Né en 1945 à Saint-Isidore-d’Auckland, petit village des Cantons-de-l’Est situé à l’orée du New Hampshire, Jean Perron se rend de moins en moins dans la métropole. « Je n’ai pas tenté de revenir dans les médias. J’ai viré la page. Je vais beaucoup moins souvent à Montréal. J’y vais pour voir mon garçon, ou à Québec pour voir mon autre garçon. »

Le destin de Jean Perron a pris cette tournure inattendue il y a cinq ou six ans. « J’avais été invité un week-end comme président d’honneur de la 50e édition du tournoi pee-wee de Chandler. Elle [sa femme Carole] était la présidente du tournoi et elle a pris mes coordonnées pour m’envoyer un cadeau de remerciement. Quelques semaines plus tard, je l’ai rappelée pour la remercier du beau tableau que j’avais reçu. Par la même occasion, elle m’a demandé de l’accompagner pour la soirée d’anniversaire d’un de ses bons amis qui était un grand partisan du Canadien, à Terrebonne. J’étais devenu célibataire. C’est de même que ça a commencé... »

Le coach a réagi avec flegme au livre de Richard Labbé, L’équipe qui ne devait pas gagner, dans lequel certains vétérans laissent entendre que les joueurs avaient pris l’équipe en main en dépit de sa présence, lors de la conquête de la Coupe Stanley par le Canadien en 1986.

« Je m’attendais à ça, dit-il. Tu lis le livre, et c’est clair qu’il y a des vétérans qui ne m’ont pas aimé la face. Les vétérans qui ne m’ont pas aimé sont ceux qui n’ont pas joué. Tu parles à Patrick Roy, Stéphane Richer, à tous les jeunes que j’avais, eux autres étaient enchantés de mon travail parce qu’ils ont joué. C’est sûr que tu ne vas pas demander à Steve Penney ou à Lucien DeBlois si je fais partie de leur fan club, je les ai remplacés par des jeunes. »

Certains grands leaders l’écorcheront également. « Larry Robinson, Bob Gainey... quand ils ont eu un gars comme Scotty Bowman pour les diriger, ils ne me mettront pas en haut de la liste. Un entraîneur ne peut pas être populaire. J’ai travaillé fort et j’ai toujours dit à tout le monde que j’ai été tellement bien conseillé par Serge Savard, Jacques Lemaire, Jacques Laperrière et je n’aurais jamais gagné si je n’avais pas eu les leaders que j’ai eus dans la chambre, les Bob Gainey, Larry Robinson, Bobby Smith et Ryan Walter. » 

« Je ne suis pas fou, je sais comment ça marche, le hockey. Mais ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir fait confiance aux jeunes. »

— Jean Perron

Sa carrière dans les médias, étalée sur quelques décennies, a été très animée également. « À 110 %, on a lancé une formule qui existait en Europe avec le soccer mais qu’on n’avait jamais appliquée au Québec. Je regarde maintenant, ils ont eu la même formule à Radio-Canada, RDS puis TVA Sports. Tu regardes comment ça se passe à Hockey Night in Canada, c’est le même style. Nous autres, on gueulait et des fois, c’était cacophonique. Aujourd’hui, c’est peut-être plus orchestré, professionnel. Mais nous autres, on a fait des scores extraordinaires à TQS avec Éric Lavallée et on n’était même pas les diffuseurs officiels du Canadien. C’était unique en son genre. Les gens m’en parlent encore. »

Il y a eu des soirées moins glorieuses. Comme cette prise de bec épique entre François Gagnon et lui, qui a été vue par plus de 22 000 personnes sur YouTube. 

« Je lui en ai voulu, certain. Surtout que lui s’en va dire : “Tous tes gars te détestaient.” Et lui n’était même pas sur le beat du club de hockey Canadien quand j’ai gagné la Coupe Stanley en 1986. C’étaient des racontars qu’il avait entendus des autres. Il travaillait au quotidien Le Droit dans les affaires culturelles à ce moment-là. S’il avait suivi mon club d’une façon régulière et qu’il m’avait vu opérer... Qui suis-je, moi, pour juger de la qualité d’un bon journaliste ? Je ne suis pas capable de faire ça parce que je n’ai pas étudié là-dedans. Lui, il s’arrogeait le droit de me juger quand il n’était même pas sur place. Cette fois-là, je ne l’avais pas aimé, mais j’ai tourné la page sur cette affaire-là. »

Malgré tout ce que peuvent dire ses détracteurs de son ascendant sur l’équipe, Jean Perron était l’entraîneur-chef du Canadien de Montréal lors de la conquête de 1986 et son nom est gravé à jamais sur la Coupe. Ce vieux guerrier peut se la couler douce avec sa Carole à Chandler en se disant que cette Coupe, personne ne pourra jamais la lui enlever...

JEAN PERRON SUR… 

... Serge Savard

« Serge m’a donné la chance de diriger le Canadien de Montréal et il m’a supporté envers et contre tous. Quand mars est arrivé, il a réuni tous les joueurs en catimini et il a dit aux vétérans qu’ils n’auraient pas ma tête et que je serais en poste jusqu’à la fin de la saison. Penses-tu que ça ne prend pas un gars qui a de l’audace pour dire une affaire de même ? Les vétérans étaient habitués d’avoir la pole position et de jouer avant les jeunes. Pourquoi tu penses que Serge Savard m’a nommé ? Il voyait tous ces jeunes qui attendaient dans le giron et qui étaient prêts à faire face à la musique. Il ne s’était pas trompé là-dessus. Tous ces jeunes que j’ai dirigés – Stéphane Richer, Claude Lemieux, Patrick Roy – ont connu d’excellentes carrières dans la Ligue nationale. »

... Bob Gainey

« Le meilleur souvenir, c’est Bob Gainey. Il m’a supporté. Quand on ne gagnait pas en début d’année, je me disais que j’allais être congédié. J’ai décidé de faire un meeting avec mes leaders dans ma suite d’hôtel à Hartford. Je leur ai demandé de l’aide avec nos jeunes, d’agir avec eux comme des parrains. Bob semblait réticent et il m’a dit que ce n’était pas une garderie. Je leur ai répondu qu’avec moi ou un autre, les jeunes allaient rester car c’étaient les jeunes que Serge Savard m’avait mis dans les mains. J’avais perdu un paquet de vétérans, Pierre Mondou, Jean Hamel et Tom Kurvers, à cause de blessures. Bob Gainey s’est reviré vers Larry Robinson et les autres et il a dit : “Les gars, on aide-tu le coach ?” Robinson a répondu oui. Et le seul gars qui a fait fermer la gueule à [Chris] Nilan, c’est Bob Gainey. Il lui a dit : “Si tu n’es pas content, prends tes maudites affaires pis sacre ton camp.” Je lui en suis reconnaissant. »

… les perronismes

« J’ai lu le livre d’un bout à l’autre. C’était de l’invention pure et simple. C’était comme si j’avais dit tout ça. J’ai fait des pléonasmes, mais des fois quand tu n’es pas un communicateur-né, tu peux avoir des tournures de phrase qui laissent les gens perplexes. Mais on me dit toujours la même chose, “Jean, t’as un langage coloré et garde ça de même !” Au départ, je voyais ça comme quelqu’un qui utilisait mon nom pour faire une piastre. Mais sais-tu ce qui m’a fait changer d’idée ? Un jour, ma petite nièce, qui a étudié en communications, m’a dit : “Mononcle, savais-tu que j’ai passé une heure à l’UQAM à étudier Les Perronismes ?” Ça m’a fait rire, et je me suis mis à prendre ça avec un grain de sel... »

... son plus grand regret

« J’envie les coachs d’aujourd’hui qui ont presque 10 personnes qui travaillent pour eux. Dans notre temps, on était deux et demi. Moi, Jacques Laperrière et François Allaire. On en travaillait un coup sur le vidéo et tout ce que tu veux. On avait moins le temps de communiquer avec les joueurs. Pourquoi tu penses que les gars comme Nilan, Penney et DeBlois n’avaient pas trop de bon à dire à mon sujet ? C’est parce que moi, je n’avais pas le temps de tout leur expliquer. »

... pourquoi sa carrière d’entraîneur n’a pas duré ?

« J’ai refusé de travailler dans la Ligue nationale après mon congédiement par le Canadien. Le premier qui m’a appelé, c’est Mike Keenan. Il voulait que j’aille travailler avec lui comme adjoint à Chicago. J’ai refusé parce que j’étais tanné. Je suis un entraîneur d’université, je m’en vais dans la Ligue nationale et je me fais congédier à 103 points, en nomination pour le coach de l’année. À partir de ce moment-là, j’ai dit jamais plus je vais revenir derrière un banc si c’est comme ça que ça fonctionne. Je suis allé avec les Nordiques comme adjoint au directeur général. Finalement, Ron Lapointe a eu le cancer, je l’ai remplacé, puis après, quand j’ai eu l’opportunité d’aller dans les médias, je me suis dit : “J’ai ma Coupe Stanley, j’ai trouvé mon congédiement injuste, maintenant on tourne la page.” »

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