Éditorial Paul Journet

Bombardier
Leur échec, votre facture

Face aux déboires de Bombardier, Québec est confronté à court terme à un choix peu emballant : perdre de l’argent, ou bien… perdre aussi de l’argent. Tout ça à cause des erreurs de la haute direction.

La semaine dernière, Bombardier avait encore une fois de mauvaises nouvelles à annoncer. La société manque de liquidités et a accumulé une dette de 9 milliards de dollars US. Ses plus récentes difficultés proviennent surtout des trains (retards de livraison et hausse des coûts). Et à cela s’ajoute bien sûr la saga de l’A220, l’ex-C Series.

Avec cet avion, la famille Beaudoin-Bombardier rêvait de concurrencer les géants Airbus et Boeing. Elle s’est lancée dans ce projet très risqué au début des années 2000. En 2015, à court d’argent, la riche famille réclamait l’aide de Québec. Le gouvernement Couillard est accouru à son chevet en investissant 1,3 milliard dans une nouvelle structure consacrée exclusivement à la C Series.

En 2018, cette société était rachetée par Airbus à un coût symbolique de 1 dollar. Québec en détient maintenant 16,44 % des parts, Bombardier 33,5 % et Airbus, 50,01 %. Le carnet de commandes est rempli. Or, la société ne réussit pas à les construire assez vite. Il faut donc investir plus.

D’où le choix qui se présentera bientôt à Québec. L’État peut injecter encore plus d’argent dans cette aventure. Ou encore refuser de signer un autre chèque, ce qui signifie que leur investissement initial représentera désormais moins de 16,44 % du total des sommes investies, et donc que sa participation dans la coentreprise diminuera.

En d’autres mots, soit Québec dépense plus pour maintenir sa part d’un gain futur hypothétique, soit il accepte de réduire sa part de ce gain espéré.

Cette décision ardue, Bombardier devra la prendre aussi. Et ses capacités d’emprunt sont déjà pas mal plus saturées que celle de Québec. On pourrait en apprendre plus lors de la divulgation des états financiers annuels de la société, le 13 février.

Peu importe la décision que Bombardier ou Québec prendront, il n’y a pas de quoi se réjouir. D’autant plus que pour les contribuables, ce n’est pas la seule mauvaise nouvelle. Cet investissement a perdu en valeur et en vertu des normes comptables, cette perte devra être inscrite dans le prochain budget. Cela signifie que le surplus annoncé sera réduit. Cette baisse pourrait osciller entre 260 et 500 millions, rapportait notre collègue Francis Vailles.

Pendant ce temps, la haute direction de Bombardier continue d’encaisser les millions.

Si le travail de la haute direction provoque la colère, celui de ses ingénieurs et assembleurs suscite plutôt l’admiration.

Parlez-en aux experts, ils vous expliqueront que l’A220 est un formidable avion, et que les trains aideront à électrifier efficacement les transports de grandes métropoles. Tout cela en créant des emplois chez nous.

Voilà pourquoi même l’opposition caquiste et péquiste proposait en 2015 d’aider Bombardier afin de protéger ce fleuron. Mais ils ne voulaient pas le faire n’importe comment…

À l’époque, le gouvernement Couillard a contrevenu à un principe voulant que le dernier à investir dans un projet déficitaire soit le premier à récupérer son argent. Après tout, c’est lui qui assume la plus grande part connue du risque.

Voilà où nous en sommes. On ne peut rien reprocher au ministre caquiste responsable du dossier, Pierre Fitzgibbon. Depuis son entrée en fonction, il fait de son mieux.

Il fut particulièrement proactif en 2018 pour trouver un nouveau boulot aux quelque 2500 employés mis à pied par Bombardier. Reste que pour Québec, l’heure des comptes approche.

Les optimistes diront que la perte de Québec n’est qu’un Polaroïd. Que même si la valeur de son investissement a chuté, elle pourrait augmenter à nouveau et même devenir profitable. Ou à tout le moins limiter les pertes financières tout en protégeant les précieux emplois de notre grappe aérospatiale. Reste que le temps commence à manquer.

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