Rémunération des médecins

Derrière les gros chiffres

C’est facile d’arriver à de gros chiffres avec les médecins. Ils sont nombreux, ils ont des revenus élevés. Le fait que Québec versera un milliard de plus aux médecins de famille a donc frappé l’imagination.

Un milliard, c’est beaucoup, mais tout dépend par rapport à quoi. Quand on creuse un peu les détails de l’entente entre le président du Conseil du trésor, Pierre Moreau, et la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ), on découvre toutefois qu’elle n’a rien d’un bar ouvert. En gros, elle ne fait que respecter les termes, fort généreux, de l’entente précédente, celle de 2009, mais n’y ajoute pratiquement rien de plus jusqu’en 2023.

Ce qui est choquant, dans cette entente, c’est le secret qui l’entoure. Elle est confidentielle, et même ses grands paramètres n’ont pas été présentés dans un document écrit, ce qui rend l’analyse difficile.

Avant d’aller plus loin, quelques rappels pour mettre les choses en perspective. Il y a 9500 omnipraticiens, dont la rémunération moyenne était d’environ 280 000  $, ce qui donne, en gros, une masse salariale de plus de 2,5 milliards par année et de plus de 20 milliards pour les huit années de cette entente 2016-2023. Rappelons qu’il ne s’agit pas de salaire, mais de rémunération, qui sert aussi à couvrir les dépenses d’exploitation, les assurances, et à compenser l’absence d’avantages sociaux, comme les vacances ou les retraites.

Sur cette période de huit ans, les médecins obtiendront 635 millions en paiements forfaitaires, des chèques, et un montant de 340 millions qui sera intégré aux enveloppes de rémunération, ce qui équivaut à une hausse de 14,7 %.

Mais l’essentiel de ces sommes avait déjà été prévu dans l’entente 2009-2016, négociée par le gouvernement Charest. On se souvient que le gouvernement Couillard, pour éliminer son déficit, avait demandé aux médecins d’accepter de reporter des hausses qui leur avaient été consenties.

C’est cet argent, négocié il y a presque une décennie, qu’on leur verse maintenant.

Quant à l’argent frais, il n’y en a à peu près pas, 63 millions, ce qui équivaut à 2,4 % de la masse salariale. Sur huit ans, cela équivaut à des hausses de trois dixièmes de 1 % par année, un quasi-gel. Bref, si je comprends bien les chiffres, on ne remet pas en cause l’entente très généreuse de 2009, comme certains le souhaitaient, mais on n’y ajoute presque rien.

Ça fait quand même de grosses sommes et de gros salaires. Les médecins méritent de hauts salaires, en raison des compétences exigées, du niveau de responsabilité, des difficultés et du stress de la pratique. Il faut cependant se demander quel niveau de rémunération est raisonnable et acceptable. Ça ne peut pas se faire à coups d’élans populistes et d’agitation dans les médias sociaux. Ça prend des critères, les plus objectifs possible. Ce qui est bien avec l’entente, c’est qu’elle en utilise deux.

Tout d’abord, le gouvernement et la FMOQ se sont entendus sur le principe d’une parité avec l’Ontario. Ils ont demandé à l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) de comparer les rémunérations québécoises et ontariennes, quitte à faire un ajustement si la parité n’est pas atteinte, comme le croit la FMOQ. Cela me paraît hautement improbable. En attendant une étude complète, les données de l’ICIS nous donnent une idée. En 2015-2016, les paiements cliniques bruts moyens pour les généralistes étaient de 255 428 $ au Québec, contre 311 373 $ en Ontario et 275 294 $ pour le Canada. Les omnis québécois ne sont donc pas surpayés, contrairement aux spécialistes. Quant à l’écart de 18 % avec l’Ontario, il n’est pas loin de la parité, en tenant compte de la richesse, du coût de la vie et, peut-être, de la productivité.

L’autre critère évoqué par le ministre Moreau, c’est de maintenir les paiements pour les médecins à 20 % des dépenses de santé. Traditionnellement, le Québec payait moins ses médecins qu’ailleurs de 17 à 18 % des dépenses totales. Avec le rattrapage consenti dans l’entente de 2009, la part des médecins a bondi à 22,1 % en 2014. Un niveau qui est dans la norme canadienne – c’est 24,7 % en Ontario, 21,2 % au Manitoba, 20,0 % en Saskatchewan, 22,9 % en Alberta, 22,3 % en Colombie-Britannique. Si Québec ramène cette proportion à 20 %, il entrera dans une zone tout à fait raisonnable.

Le débat ne devrait pas porter sur le combien. Le vrai enjeu, c’est de savoir si cette entente nous en donnera pour notre argent, si elle permettra d’améliorer les services médicaux. C’est difficile à mesurer, parce que s’il faut mesurer la productivité et l’effort, la médecine n’est pas une usine de montage. Il faut tenir compte de la qualité des soins, de facteurs qui affectent la pratique, comme l’informatisation déficiente ou les tâches imposées aux omis québécois. Il faut aussi mesurer les effets de la rémunération à l’acte, encore trop importante au Québec. Et parce que l’entente est secrète, ce sont des éléments qu’on ne peut pas analyser.

Voilà pourquoi la confidentialité de cette entente est indéfendable. Parce que cette absence de permanence entrave un débat démocratique légitime et entretient un climat de suspicion. Mais aussi parce qu’elle nous prive d’outils qui nous permettraient d’améliorer le système de santé.

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