COVID-19

Au front les jambes coupées

Épicentre canadien de la pandémie, Montréal est allé au front avec les jambes coupées. Affaiblie par les coupes majeures en santé publique, que dénoncent des chercheurs, la métropole est en plus devenue « impossible à gérer » avec la structure plaquée sur l’île par la réforme Barrette, estiment plusieurs acteurs. Et dès le départ, cette crise montréalaise n’aurait jamais dû être gérée à partir de Québec, croit la Dre Mylène Drouin, à la tête de la Direction de santé publique de Montréal.

UN DOSSIER DE CAROLINE TOUZIN, DE KATIA GAGNON, DE GABRIELLE DUCHAINE, D’ARIANE LACOUrSIÈRE ET DE MARTIN TREMBLAY

Entrevue avec la Dre Mylène Drouin

« le centre de crise aurait dû être à Montréal »

Le gouvernement aurait dû gérer la pandémie de COVID-19, presque totalement montréalaise, à partir de la métropole, plutôt que de le faire de Québec, estime la docteure Mylène Drouin. La directrice de santé publique de Montréal livre depuis trois mois le combat de sa vie contre le coronavirus. Elle a accepté d’évoquer ces semaines difficiles avec La Presse.

« Je pense que le centre de crise provincial aurait dû être à Montréal. Horacio [Arruda, le directeur national de santé publique] le sait. Je le lui ai dit le 9 mars. Il aurait fallu qu’il soit là où on savait que ça allait flamber en premier. Je ne me suis pas gênée pour le dire. Et s’il y a une deuxième vague, elle va être encore grosse à Montréal. Ça a été bien reçu et entendu pour la seconde vague. Des choses se mettent en place pour pouvoir coordonner. »

« Moi, je suis un gars du 450. Je viens à Québec parce que le gouvernement est à Québec », répond Horacio Arruda, lorsqu’on demande si la crise aurait dû être gérée à Montréal.

Rapidement, Montréal est devenu l’épicentre canadien de la pandémie. Plus de 2600 personnes sont mortes dans la métropole. Cela représente les deux tiers des décès au Québec et près de 40 % des morts dus au coronavirus dans l’ensemble du Canada.

Depuis trois mois, Mylène Drouin n’a eu que deux jours de congé. Elle nous a reçues dans son bureau, qui jouxte le parc La Fontaine, où elle travaille du matin au soir. Avant que nous ne posions notre enregistreuse sur la grande table, elle a pris soin de la désinfecter.

Montréal est entré dans cette crise avec des handicaps, convient-elle. D’abord, les coupes en santé publique, qui s’élevaient à 30 % du budget de ses équipes régionales partout au Québec. 

« Ces coupes-là ont joué dans la réponse à la pandémie. »

— La Dre Mylène Drouin, directrice de santé publique de Montréal

« Le Dr Barrette pensait que la santé publique, c’était du travail administratif », dit-elle au sujet de l’ancien ministre libéral de la Santé. Et depuis, poursuit-elle, les coupes se sont poursuivies dans le budget de la santé publique. « Depuis deux ans, on est coupés année après année », dit-elle.

De plus, l’arrimage avec les cinq CIUSSS de l’île a été « difficile », convient-elle. Les choses étaient plus simples du temps où l’Agence de santé et services sociaux chapeautait les établissements. « Quand il y avait une agence régionale, il y avait un pilote régional dans l’avion pour coordonner le déploiement d’une opération aussi gigantesque. Les CIUSSS ont chacun de très bons pilotes, mais des fois, ça nécessite un arrimage, une lecture montréalaise qui n’est pas la même. »

Une somme de travail monstrueuse

La pandémie actuelle représente une somme de travail monstrueuse pour les employés de la santé publique. En temps normal, la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal reçoit 50 000 déclarations de maladies infectieuses obligatoires par année et « enquête » sur 6000 d’entre elles. Avec le coronavirus, « on est déjà rendus à 25 000 enquêtes en trois mois ».

D’ordinaire, seulement 10 employés s’occupent des éclosions de maladies infectieuses en milieu de soins. « On est allé chercher du monde », dit-elle. Même chose pour le traçage. « Nos systèmes, nos équipes n’étaient pas conçus pour faire 500 enquêtes par jour. » Elle a embauché plus de 400 personnes (l’équivalent de 240 « temps complet ») pour faire les enquêtes épidémiologiques. L’informatique n’a pas suivi : encore aujourd’hui, les communications se font par fax.

Malgré des équipes limitées, c’est elle qui a décidé d’envoyer des brigades de prévention à l’aéroport Montréal-Trudeau, même si elle savait que « ça allait déranger politiquement ». « Moi, je voyais que 16 000 voyageurs rentraient par jour. On recevait des registres de vol : il y en a un qui est malade, il faut l’isoler, raconte-t-elle. Quand on appelait les malades, je voyais que la norme sociale n’était pas là, qu’ils ne voulaient pas respecter les 14 jours [d’isolement]. J’ai dit à mon équipe : il faut faire un putsch, il faut leur faire comprendre que c’est dangereux. »

Le moment le plus difficile de la crise pour Mylène Drouin ? Ces aînés, abandonnés par le personnel, dans les CHSLD. 

« Le CHSLD Herron, ce n’est plus juste un enjeu d’éclosion. C’était un enjeu d’abandon. » 

— La Dre Mylène Drouin, directrice de santé publique de Montréal

Les larmes lui montent aux yeux quand elle en parle. « J’ai demandé à mon équipe, quand il y a des décès [liés à la COVID-19] mais qu’il y a de la déshydratation, de la négligence, de me les sortir, dit-elle. Je fais des interventions. Ce n’est pas dans ma job, mais je le fais. »

Le sort des travailleurs d’agence issus de l’immigration la touche aussi droit au cœur. « Beaucoup de travailleurs précaires se rendent [aux stations de] métro Crémazie, Côte-Vertu, tous les matins, ils montent dans les camionnettes, et le lendemain, ils vont travailler ailleurs, dit-elle. Ces travailleurs ont parfois caché leurs symptômes pour continuer à travailler, car ils ont besoin de leur revenu : comme ils n’ont pas de papiers, ils n’ont pas accès à la Prestation canadienne d’urgence. »

« Derrière eux, il y a des enjeux de société qu’on n’a pas réglés depuis longtemps. Pourquoi on ne prend pas la pandémie pour leur donner toute la dignité à laquelle ils ont droit ? »

— Avec la collaboration d’Isabelle Hachey, La Presse

Montréal, « impossible à gérer »

« Tout le monde savait que c’était impossible à gérer, la santé publique à Montréal. »

Le docteur Alain Poirier, directeur de santé publique (DSP) de l’Estrie, qui a occupé le siège de directeur national de santé publique pendant neuf ans, ne mâche pas ses mots pour décrire la situation intenable dans laquelle se trouve sa collègue Mylène Drouin, plongée dans l’épicentre canadien de la pandémie.

Au cœur du problème : la Direction de santé publique de Montréal « n’a pas d’autorité sur les PDG » des CIUSSS, les mégacentres de santé qui regroupent les établissements de santé de l’île de Montréal, nés en 2015 avec la réforme Barrette. La Direction de santé publique, qui gère toutes les questions relatives à la santé de la population, a un mandat qui s’étend à l’échelle de l’île. Mais dans les faits, elle n’a pas d’autorité sur les CIUSSS ni sur leurs employés qui travaillent… en santé publique.

Alain Poirier n’est pas le seul à laisser entendre que Montréal est devenu ingouvernable en matière de santé publique. « La gouvernance est difficile à Montréal, convient le DRichard Massé, qui assiste actuellement le DHoracio Arruda à la tête de la Direction nationale de santé publique. Dix établissements, cinq CIUSSS, une santé publique… il va falloir réfléchir à cela dans un post-mortem. C’est sûr que le modèle doit être repensé. » Pour le DMassé, tout ce qui a été dit sur les difficultés de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) à évoluer dans le modèle des CIUSSS, « on pourrait le dire aussi de la santé publique ». 

« Il y a un problème de gouvernance entre les cinq CIUSSS et la direction de santé publique (DSP), renchérit le Dr Richard Lessard, actuel DSP de Lanaudière, qui a occupé les mêmes fonctions à Montréal pendant 20 ans. La DSP se retrouve dans un CIUSSS alors qu’elle a un mandat régional. Chaque CIUSSS a son équipe de santé publique. Et ces équipes ne relèvent pas de la DRSP.

« Il y a une déconnexion entre la capacité régionale et les équipes locales. C’est un fonctionnement qui est loin d’être optimal, pour employer un mot poli. »

— Le Dr Richard Lessard, directeur de santé publique de Lanaudière

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, acquiesce. Pour elle, il manquait clairement un acteur capable de coordonner l’action régionale en matière de santé publique. « Il fallait s’adresser à chaque CIUSSS pour chaque demande… ça a amené une lourdeur dont on se serait passés. Le temps qu’on a passé à naviguer dans les CIUSSS avec nos demandes, on aurait pu l’utiliser à autre chose. »

En 2015, la réforme Barrette a rattaché la DSP de Montréal au CIUSSS du Centre-sud-de-l’Île-de-Montréal. La directrice de santé publique de Montréal, Mylène Drouin, qui est sous l’autorité administrative d’un adjoint du PDG, n’a donc de contrôle effectif que sur le tiers des employés qui œuvrent en santé publique à Montréal. Les deux tiers travaillent dans d’autres CIUSSS de l’île et échappent à son autorité directe.

Selon nos informations, la situation s’est à ce point crispée que le sous-ministre à la Santé, Yvan Gendron, a dû envoyer une note explicite à l’ensemble des CISSS et des CIUSSS du Québec pour leur donner la directive de rendre l’ensemble de leur personnel en santé publique disponible… pour la Direction de santé publique de leurs régions respectives.

La Dre Julie Loslier, DSP de la Montérégie, est dans la même situation que Mylène Drouin : elle doit elle aussi travailler avec trois CISSS distincts. Et cela, bien qu’elle soit rattachée à un seul de ces centres intégrés de santé et services sociaux, les trois mégaétablissements qui se divisent la grande région de la Montérégie. « Je vous mentirais si je vous disais que ça ne complexifie pas [la situation]. »

« Pas de pilote dans l’avion »

De plus, chacun de ces CISSS et CIUSSS a son propre système d’information. Dans ces conditions, avoir un portrait de la situation à Montréal n’est pas simple. À preuve, quand François Legault s’est déplacé à Montréal les 14 et 15 mai pour avoir un portrait de la situation, il a dû s’asseoir avec les PDG de cinq CIUSSS, du CHUM, du CUSM, de l’Institut Pinel, de l’Institut de cardiologie et du CHU Sainte-Justine.

La DRSP arrive difficilement à avoir un portrait complet des tests de dépistage effectués à Montréal puisque les chiffres liés aux dépistages réalisés dans les hôpitaux relèvent de chaque établissement et non de la DRSP, explique un conseiller aux communications du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

« Pour la santé publique, c’était plus facile quand il y avait une agence à Montréal. »

— Le Dr Alain Poirier, directeur de santé publique de l’Estrie

Cette agence, David Levine en a été le président pendant 10 ans.

Actuellement, « il n’y a pas de pilote dans l’avion, estime David Levine, et c’est ressenti par plusieurs gestionnaires dans le réseau de la santé montréalais. » Pour lui, il ne fait aucun doute que la réponse de l’ancien système aurait été meilleure.

À l’époque de la défunte Agence de la santé de Montréal, la Dre Michèle Bier faisait partie du comité directeur de préparation et de planification à des urgences infectieuses.

En 2009, durant l’intervention de vaccination de masse contre le H1N1, l’équipe de santé publique de l’Agence était en lien direct avec les responsables de terrain des CLSC (centres de vaccination et gestion des vaccins) de façon quotidienne, ajoute-t-elle. « Avec les CIUSSS actuels, les liens semblent certainement moins directs avec le terrain. »

Les gestionnaires des CIUSSS interrogés par La Presse vantent plutôt l’agilité de leur organisation en temps de crise. Francine Dupuis, PDG adjointe du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, estime que la réforme Barrette a offert les pouvoirs nécessaires au réseau pour délester les employés des hôpitaux et des CLSC pour les envoyer éteindre le brasier des CHSLD.

« Le directeur général de l’Hôpital général juif n’aurait jamais voulu envoyer ses employés dans le feu », donne-t-elle en guise d’exemple. « Je ne suis pas populaire quand je dis cela, souligne celle qui dirige le comité pandémie du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, mais la meilleure chose qui nous soit arrivée, c’est la réforme du Dr Barrette. Il y avait trop d’établissements au départ et on ne se parlait pas […] Maintenant, les CLSC, les CHSLD et les hôpitaux de réadaptation travaillent ensemble dans la même trajectoire de soins. »

Notre démarche

Pour réaliser cette série sur la bataille de Montréal contre la COVID-19 qui sera publiée au cours des trois prochains jours, nos quatre journalistes ont réalisé 62 entrevues avec des intervenants du milieu de la santé, des politiciens, des chercheurs et des spécialistes. De la ministre de la Santé, Danielle McCann, aux préposés aux bénéficiaires, en passant par les médecins impliqués, les gestionnaires de CIUSSS et les autorités de santé publique, les acteurs de cette crise nous ont raconté leur combat contre le coronavirus. Aujourd’hui, nos journalistes brossent un portrait de la scène sur laquelle s’est déroulée cette bataille montréalaise.

Gaétan Barrette, ex-ministre de la Santé

« Le vrai problème, c’est qu’on n’y a pas cru, à la pandémie »

S’il reconnaît que les coupes en santé publique ont pu avoir un impact sur la capacité actuelle d’enquête épidémiologique sur les cas de COVID-19 au Québec, l’ex-ministre de la Santé, Gaétan Barrette, déplore que l’on montre sa réforme du doigt pour expliquer l’ensemble de la crise.

« On cherche un bouc émissaire. C’est moi. Mais il faudrait peut-être regarder du côté des décisions qui n’ont pas été prises. Comme de ne pas commander suffisamment de matériel dès janvier », dit-il.

Alors qu’il était ministre de la Santé, Gaétan Barrette avait autorisé des coupes de 30 % en santé publique. « Quand ça a été fait, c’était supposé être des coupes administratives. Pas dans le personnel terrain. Force est de constater que ça n’a pas été 100 % le cas. […] Avec le recul, l’analyse aurait dû être plus fine de ce qui serait coupé », affirme M. Barrette.

Ce dernier estime que les coupes dans le personnel de santé publique qui se consacre aux enquêtes épidémiologiques peuvent avoir des effets actuellement, alors que la province réalise 15 000 tests de dépistage par jour. « Mais ça ne jouait pas un rôle au début de la crise, quand on était à seulement 2000 tests de dépistage par jour. À ce moment, ce n’était pas de gens pour faire les tests qui manquaient, c’était les tests eux-mêmes », dit-il.

Pour lui, il serait totalement injuste de faire porter tout le blâme de la crise actuelle à ces coupes en santé publique. Car si la pandémie de COVID-19 a frappé si fort au Québec, c’est que la préparation a manqué. « Le vrai problème, c’est qu’on n’y a pas cru, à la pandémie, avance-t-il. Et qu’on n’a pas acheté du matériel dès janvier ».

Des signaux d’ailleurs

Le Dr Barrette affirme que dès que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé que la COVID-19 se répandait hors de la Chine en janvier, « il fallait s’inquiéter ». « À cause du mode de transmission de la COVID », dit-il. 

« Le dernier endroit touché doit bénéficier des bons et des mauvais coups des autres. Manifestement, on n’a pas regardé assez. L’erreur, ç’a été le manque d’anticipation. »

— Gaétan Barrette, porte-parole de l’opposition officielle au Conseil du trésor et ex-ministre de la Santé

« Ce n’est pas normal que la Colombie-Britannique et l’Alberta n’aient pas manqué de matériel. Ils y ont cru et ont commandé au bon moment. […] Ils ont assez commandé. Ils ont testé, ils ont isolé, ils ont protégé leur personnel », dit-il.

Pas un problème de structure

Quand on lui soumet que certains affirment que la façon dont la santé publique est gérée à Montréal a influencé la gestion de la crise, M. Barrette repousse l’argument. « Quel est le lien de cause à effet avec le fait qu’on n’a pas acheté assez de matériel ? Qu’on n’a pas préparé les CHSLD ? Ça n’explique pas la situation où l’on est aujourd’hui. En quoi la santé publique, si elle avait eu une seule autorité, aurait fait différemment sans matériel ? Sans tests ? », dit-il.

Pour M. Barrette, l’existence des CISSS et des CIUSSS a au contraire permis certaines actions qui auraient été autrefois impensables. Comme envoyer rapidement des employés de l’hôpital du Lakeshore travailler au CHSLD Herron, victime d’une désertion de ses employés.

« J’ai vu des situations où un quart de travail complet ne se présentait pas et où le CISSS a remplacé au pied levé tout le monde en deux heures. Le réseau s’est reviré de bord sur un 10 cennes à plusieurs reprises », dit Gaétan Barrette.

Santé publique

Moins d'argent qu'il y a 10 ans

Alors que le réseau de la santé publique est au cœur de la bataille contre la pandémie de COVID-19, Québec a grandement négligé d’investir dans la santé publique dans la dernière décennie, révèle une étude de l’Université McGill sur le point d’être publiée dans le Journal canadien de santé publique, que La Presse a obtenue.

« Si on tient compte de l’inflation, le budget pour la santé publique au Québec a été plus important en 2008-2009 qu’en 2017-2018 [257 millions contre 250 millions] », explique la coauteure de l’étude, Erin Strumpf, professeure au département d’économie et au département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill.

« Pourrions-nous imaginer demander à nos hôpitaux de bien fonctionner avec les budgets d’il y a 10 ans ? Nos médecins ? Nos CHSLD ? » demande la professeure d’économie en entrevue avec La Presse.

« Tout ce que nos départements de santé publique métropolitains réussissent à faire ces jours-ci dans la lutte contre la pandémie de COVID-19 est impressionnant, étant donné qu’on les a envoyés au front après leur avoir coupé les jambes. »

— Erin Strumpf, professeure au département d’économie et au département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill

La ministre de la Santé, Danielle McCann, est bien d’accord. « Ces coupes, ce sont des gens qui n’étaient pas là pour nous aider dans cette crise. Toute la force de la santé publique, on en aurait eu besoin… et il nous en manquait 30 % ! dit-elle. Ces compressions ont fait mal et ça a eu un impact. »

L’étude révèle aussi que le Québec réserve la plus faible portion de son budget en santé à la santé publique de tout le Canada (2,2 % au Québec contre 5,4 % en moyenne au Canada). La santé publique, c'est toutes les questions qui concernent la santé de la population. Cela va du contrôle des maladies infectieuses à l’insalubrité des logements en passant par la pollution de l’air.

Petit bémol : les auteurs de l’article soulignent les difficultés à trouver les données pour bien comparer « les pommes avec les pommes ». « Cet aspect doit aussi être amélioré si on veut bien comprendre comment rendre la santé publique plus efficace à travers le pays », souligne la professeure Strumpf, qui a coécrit l’étude avec la professeure de McGill Ak’ingabe Guyon, la chercheuse Julie Fiset-Laniel, aussi à McGill, et le Dr Robert Perreault, de la santé publique de Montréal.

« Le combat contre la COVID-19 va être long, et les réseaux de santé publique vont être essentiels dans la bataille », conclut la professeure Strumpf.

« Ils ont besoin d’investissements majeurs notamment dans leur système informatique, sachant que leurs enquêtes épidémiologiques au Québec se font encore par fax. Par fax !! »

— Erin Strumpf

Déjà, dans une étude publiée l’an dernier, quatre chercheurs de l’Institut national de santé publique du Québec avaient révélé que le réseau de la santé publique du Québec avait été frappé de plein fouet par la réforme de la santé implantée en 2015 par Gaétan Barrette, alors ministre de la Santé. À la suite de coupes budgétaires qui équivalaient au tiers du budget de la santé publique, certains programmes « ont connu des difficultés importantes », notaient alors les chercheurs.

Des directeurs régionaux de santé publique interrogés par La Presse confirment que les coupes du gouvernement précédent ont eu un impact sur la réponse de leurs équipes à la pandémie actuelle.

« Les budgets n’ont pas été réaugmentés à la hauteur des “optimisations”. Moi je dis compressions. On n’a pas récupéré les 30 % », dit la Dre Julie Loslier, directrice de santé publique de la Montérégie.

Son homologue à Laval, le Dr Jean-Pierre Trépanier, confirme que la santé publique vit actuellement « les contrecoups de la réforme de 2015 ».

« C’est la capacité qu’on avait d’avoir des ressources spécialisées pour nous aider à gérer des situations comme celle-là qui a été mise à mal », souligne-t-il.

Mince consolation : le CISSS de Laval avait embauché des contractuels peu avant la crise pour prêter main-forte en santé publique. « Si on n’avait pas eu ça, on aurait eu vraiment une difficulté de passer à travers », indique le DTrépanier.

Pour sa part, le directeur de santé publique de Lanaudière, Richard Lessard, estime que ces coupe demeurent « inexplicables ».

« Ça a compliqué la "course aux contacts" essentielle pour freiner la transmission communautaire du virus », estime-t-il.

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