Chronique

Garderie : pourquoi 35 $ coûtent-ils moins cher que 7 $

Je sais que c’est difficile à croire, mais les garderies à 35 $ coûteraient moins cher aux familles et rapporteraient davantage dans les coffres de Québec. Quel dommage que le gouvernement Couillard n’ait pas retenu cette proposition formulée par la Commission permanente de révision des programmes !

Je sais que c’est totalement contre-intuitif, mais la garderie à 35 $ par jour serait une véritable aubaine pour la majorité des familles, surtout les moins fortunées. En haussant le tarif à 35 $, plus de la moitié des familles se retrouveraient à payer moins cher qu’avec l’actuel tarif de 7,30 $. Vous avez bien lu : MOINS cher.

Plus précisément, les familles qui ont des revenus familiaux inférieurs à 100 000 $ verraient leur facture diminuer. Les familles plus aisées paieraient un peu plus qu’en ce moment, mais l’augmentation à 35 $ serait moins dure à avaler que la modulation de 7,30 $ à 20 $ annoncée par le gouvernement Couillard la semaine dernière. En fait, il n’y a que les familles beaucoup plus riches (200 000 $ et plus) qui paieraient vraiment davantage avec le tarif à 35 $. Et encore, ce ne serait pas une catastrophe.

Globalement, la hausse à 35 $ coûterait seulement 149 millions aux parents, en tentant compte de la fiscalité. C’est 11 millions de moins que le tarif modulé, qui leur coûtera 160 millions.

Mais le plus beau de l’affaire, c’est que le tarif à 35 $ rapporterait 263 millions par année à Québec, soit 114 millions de plus que le tarif modulé.

Alors, qui paierait la note ? Ottawa !

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Il faut savoir que les frais de garde donnent droit à une déduction de revenu au fédéral. Cela permet de réduire les impôts, mais aussi d’abaisser le revenu familial, ce qui permet de bonifier d’autres crédits et prestations (crédit de TPS, prestation fiscale canadienne pour enfants, etc.).

Or, les familles québécoises ne profitent pas pleinement de ces avantages puisqu’elles paient 7,30 $ au lieu du coût réel des services de garde. Québec laisse ainsi 149 millions sur la table.

De son côté, Québec offre aussi un crédit d’impôt qui oscille entre 26 % et 75 % des frais de garde. Mais évidemment, ce crédit ne s’applique pas sur les contributions réduites, puisque la place est déjà subventionnée.

Quand on additionne tous ces avantages, on réalise qu’il est plus avantageux de payer 35 $ que 7,30 $… et même 20 $.

Pour vous en convaincre, jetez un coup d’œil au tableau préparé par la Commission (voir à gauche du texte).

Une mère qui élève son enfant seule et gagne 40 000 $ par année paie aujourd’hui l’équivalent de 5,19 $ par jour avec la garderie à 7,30 $. Si on augmentait le tarif à 35 $, elle se retrouverait avec un tarif négatif de 1,17 $ par jour. Comme si on la payait pour faire garder son enfant ! Le tarif à 35 $ par jour lui permettrait donc d’économiser plus de 1600 $ par année. Pas banal.

Prenons maintenant un couple qui gagne 140 000 $ avec deux salaires égaux. Présentement, une place en garderie subventionnée leur revient à 6 $ par jour, net. Le tarif à 35 $ leur coûterait deux fois plus cher, soit 12 $ net. Mais c’est quand même moins qu’avec la modulation annoncée la semaine dernière : à ce niveau de revenus, leur contribution s’élèverait à 17,40 $, soit 14,20 $ net.

Ceux qui profiteraient le moins du tarif à 35 $ sont les couples qui comptent sur un seul salaire. Pourquoi ? Comme la déduction fédérale est calculée sur le salaire le plus bas, elle ne procure aucune économie d’impôt lorsqu’un des parents n’a pas de revenus.

Logique : si l’un des parents reste à la maison, on peut imaginer que la famille n’a pas besoin d’un coup de main du fisc pour envoyer ses enfants à la garderie.

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Si le tarif à 35 $ est une bonne affaire pour tout le monde, pourquoi Québec a-t-il rejeté l’idée ? Ah oui, c’est vrai que l’idée de quintupler le tarif des garderies n’est pas très « vendeur » d’un point de vue politique.

À première vue, la hausse des tarifs semble une hausse énorme, inacceptable. Mais j’ose croire qu’on pourrait expliquer clairement aux parents le bien-fondé de cette décision, mettre en place un système qui permet d’allonger les remboursements d’impôt au fur et à mesure pour ne pas causer de problème de liquidités aux familles moins nanties. Rien de sorcier : ça existe déjà pour les familles qui optent pour les garderies non subventionnées.

Mais à la place, Québec s’est dépêché d’annoncer sa modulation des tarifs des garderies, sans attendre les rapports de la Commission permanente et du Comité d’examen sur la fiscalité.

À quoi bon mandater des experts pour réfléchir sur une réforme fiscale en profondeur si c’est pour prendre les décisions avant même qu’ils aient le temps de faire leurs suggestions ?

Cet empressement est fort dommage. Le Québec aurait bien besoin d’une réforme de son système fiscal, compliqué et tordu à souhait. Mais j’ai bien peur qu’on ne se limite à un exercice de coupure en quatrième vitesse, sans s’attaquer à la racine du problème.

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