Opinion  LE QUÉBEC D’AUJOURD’HUI

Ce qui nous rassemble

La vision nostalgique du passé québécois tricoté serré est-elle une fiction ?

L’arrivée des réfugiés syriens a ravivé chez certains Québécois de vieilles nostalgies nourries de perceptions en bonne partie imaginaires. Selon une vision courante, le Québec d’autrefois était « tricoté serré », contrairement à ce qu’il est maintenant. Son unité aurait été fondée sur son homogénéité ethnique, sa mémoire douloureuse, son sentiment anti-anglophone, ses valeurs catholiques et son unanimité idéologique. Heureuse société, pense-t-on, qui ne connaissait pas la fragmentation d’aujourd’hui.

Cette vision exprime un regret et un remord qui discréditent les changements des dernières décennies. Mais que doit-elle à la fiction ?

UNE VISION CHIMÉRIQUE

En réalité, le Québec traditionnel était fragmenté, divisé. Les clivages étaient nombreux : urbains et ruraux, instruits et analphabètes, laïcs et religieux, libéraux et conservateurs, patrons et ouvriers, hommes et femmes, francophones et anglophones, catholiques et non-catholiques… Les barrières politiques (bleus/rouges) y étaient profondes (dans plusieurs familles, il était mal vu qu’une fille ou un fils fréquente au sein d’une famille de « l’autre bord »). Et les allégeances pancanadiennes et québécoises étaient loin de s’accorder.

Quant à la mémoire nationale, elle était divisée autour de la Conquête (et de ses séquelles) : un épisode bénéfique, selon plusieurs (les membres du haut clergé, notamment), un traumatisme qui a compromis le cours de notre société, selon d’autres. Le même désaccord a marqué l’interprétation des Rébellions de 1837-1838. Enfin, sur l’idée que la mémoire soudait l’identité canadienne-française, il faut lire le chanoine Groulx pour mesurer à quel point cette perception est fausse – il a toute sa vie combattu des contradicteurs et déploré l’amnésie dont souffraient ses contemporains.

Ce mirage étant dissipé, comment se présente le Québec d’aujourd’hui ?

CE QUE NOUS SOMMES, CE QUE NOUS POURRIONS ÊTRE

Comme la plupart des sociétés contemporaines, le Québec est en train de se refaire : à cause de la mondialisation qui bouscule tout, de l’évolution de l’économie, des nouvelles formes de communication et de médiatisation, du vieillissement, des menaces environnementales et aussi de la diversification issue de l’immigration. Ce contexte s’accompagne d’insécurité et engendre une inquiétude légitime : il est difficile d’y voir clair dans ce qu’il advient et ce qui va suivre. On est alors tenté de céder à des réactions irrationnelles, à des peurs exagérées. Viennent ensuite les diagnostics réducteurs et les stéréotypes.

Parmi les sentiments qui prévalent, il y a la crainte d’une désagrégation du lien social et de ses assises culturelles, principalement à cause de la diversification.

On est ainsi amené à s’interroger sur les fondements, le ciment de notre société. Que deviennent nos vieux rêves collectifs ? Sommes-nous confrontés au vide, au chacun pour soi ?

En fait, nous pouvons construire sur des éléments très solides, en continuité profonde avec le passé et ouverts sur un avenir pour tous les Québécois : 

– la langue française, qui est notre héritage le plus ancien et le plus distinctif ;

– des valeurs forgées dans notre histoire et que nous célébrons aujourd’hui, principalement la démocratie, l’égalité (sous toutes ses formes), la justice sociale, la laïcité, la solidarité ainsi qu’une volonté d’affirmation et de développement collectif. Ces valeurs sont universelles, mais québécoises également, puisqu’elles ont acquis, ici, une résonance particulière inscrite et perpétuée dans notre mémoire. Elles forment le cœur de notre identité ;

– autres lieux de rassemblement : la sphère civique (la vie politique, les débats…) et celle des institutions.

À tout cela s’ajoutent la part des croyances intimes et aussi celle du rêve qui suscitent les élans du cœur et puisent dans les racines de chacun.

Il existe d’autres éléments de convergence, mais l’essentiel est là. Il me semble qu’on peut y trouver de quoi faire un bon bout de chemin ensemble. Car au-delà de ce que nous sommes, nous devons aussi nous demander : que pouvons-nous faire ensemble ?

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