Chronique

Si l’école était importante (14)

Les profs m’écrivent souvent parce que, depuis deux ans et demi, j’écris souvent sur l’école, dans le cadre de cette série récurrente qui s’intitule « Si l’école était importante ».

Les profs m’écrivent souvent et…

Ils font souvent des fautes.

La plupart – au pif, neuf sur dix – des courriels que je reçois des profs québécois comportent au moins une faute d’orthographe ou d’accord. S’il s’agissait de trucs difficiles comme accorder le verbe « proroger » à l’imparfait du subjonctif à la première personne du pluriel (que nous prorogeassions), je ne ferais pas de chichi : personne n’est parfait.

Mais je parle de choses simples comme confondre les terminaisons de verbes en « é » et en « er » et oublier un « s » aux verbes à la deuxième personne du singulier. La base, ce qu’on devrait maîtriser après un bac.

Et je passe sur les parents qui me signalent des fautes aussi bêtes dans des communications envoyées par la direction de l’école ou par les profs de leurs enfants…

Chaque fois, je meurs un peu. Parce que ce sont des enseignants, des enseignantes : ceux-là mêmes qui doivent former nos enfants.

Je n’en ai jamais parlé. Parce que je sais à quel point les profs tiennent l’école à bout de bras, je sais qu’ils font leur possible dans des conditions difficiles. J’avais peur qu’une chronique là-dessus n’ostracise les profs, et seulement les profs. J’ai encore peur de ça, en l’écrivant.

La vérité, c’est que les profs ne sont que le reflet de leur société et de leur culture.

Ils ont cheminé dans ces écoles vaguement dysfonctionnelles, navigué à travers les réformes mal barrées et les notes gonflées donnant un portrait faussé de leurs aptitudes. Ces enfants finissent par progresser vers le cégep, vers l’université, et des fois… eh bien, des fois, ils deviennent profs !

Je n’en ai jamais parlé, mais je le fais aujourd’hui dans la foulée des révélations déprimantes de ma collègue Caroline Touzin sur les taux d’échec des futurs enseignants à l’examen obligatoire de français, hier, révélations qui se poursuivent aujourd’hui sous sa plume.

Je refuse donc de jeter la pierre à ces enseignants : ils sont le produit d’une culture qui se fiche de l’école, une culture qui tolère que le voisin ontarien ait un bien meilleur taux de diplomation, par exemple. Ils sont le produit d’une société qui a créé son ministère de l’Éducation 100 ans après celui de l’Ontario. Les rejetons d’une société qui était la moins scolarisée en Occident – avec le Portugal – à l’aube de la Révolution tranquille.

Tout ça laisse des traces, et une de ces traces, je le crains, est un taux d’échec effarant des futurs profs aux examens portant sur la langue d’usage dans leur société, le français.

Si l’école était importante au Québec, les profs travailleraient dans des écoles qui ne tombent pas en ruine. On ne stationnerait pas six, sept, huit élèves à besoins particuliers dans leurs classes sans leur donner les ressources nécessaires pour encadrer ceux-ci. Et ils n’auraient pas besoin d’acheter eux-mêmes des bibliothèques pour leurs classes dans des ventes de garage.

En Finlande, l’école est importante. Son système scolaire est constamment cité comme parmi les meilleurs au monde. En Finlande, pour être prof au primaire, il faut… une maîtrise. Sans surprise, c’est difficile de devenir enseignant, en Finlande. Il y a un écrémage.

Si l’école était importante au Québec, le métier d’enseignant serait prestigieux. Si l’école était importante au Québec, les conditions de travail des enseignants seraient enviables. Et, reflet de ce prestige, ils seraient mieux payés.

Le métier de prof n’est pas mal payé. Au sommet de l’échelle, un enseignant gagne un peu plus de 72 000 $… Après 15 années d’expérience. C’est respectable, c’est mieux que bien des métiers. C’est dans le milieu du peloton canadien, écrivait en 2015 mon camarade Francis Vailles.

Mais à 40 000 $, le salaire d’un enseignant qui commence au Québec est le plus bas au Canada. Il faut aussi compter, pour la plupart des jeunes profs, sur des années de précarité et de suppléance.

Je lisais dans le papier de Caroline Touzin publié aujourd’hui le témoignage d’un ancien professeur en sciences de l’éducation, Pierre Paradis, qui souligne ce qui est bien connu dans les officines universitaires : « Les étudiants nous arrivent trop faibles. L’éducation est souvent leur dernier choix. »

Maintenant, mettez-vous à la place des meilleurs étudiants qui arrivent à l’université…

Pourquoi deviendraient-ils profs ?

Ils lisent les journaux, ils regardent la télé : ils voient l’état pitoyable de ce désastre péquiste et libéral qu’est l’école, désastre que le ministre actuel de l’Éducation tente de corriger. Pourquoi iraient-ils mettre leur talent au service d’une école brisée dans une société toujours plus fâchée par le mauvais état des routes que par le taux de diplomation sans lustre de la province ?

N’oubliez jamais un truc : la chauffeuse d’autobus d’une société de transports en commun gagne plus qu’un enseignant, quand elle fait un minimum d’heures supplémentaires. Idem pour le mécanicien de ces bus.

Je ne dis pas qu’il faut baisser le salaire de ces employés payés par les taxes et impôts, tant mieux pour eux s’ils gagnent bien leur vie.

Je dis que les meilleurs étudiants universitaires savent compter, eux aussi. Et ils savent que devenir enseignant, à moins d’avoir la vocation, n’est pas un choix de carrière attrayant.

Ça donne ce que sa* donne…

Précision importante, en terminant : le système scolaire québécois est miné par plusieurs maux, complexes et interconnectés. On a toujours tort de penser qu’en réglant un problème, tout ira mieux dans nos écoles. Ça vaut aussi pour les carences des profs en français.

*L’erreur est voulue !

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