Opinion : Valoriser l'éducation

La création d'un ordre des enseignants  n'est pas la solution

Dans le débat en cours sur l’éducation, une foule d’idées ont été mises de l’avant dans le but de valoriser l’éducation et d’améliorer la formation des enfants. Parmi ces idées, celle de créer un ordre des enseignants a encore une fois fait surface. Pour certains, la création d’un ordre professionnel serait un ajout essentiel alors que pour d’autres, ce serait ni plus ni moins qu’une déclaration de guerre.

Pour y voir plus clair et faire la part des choses, un retour sur le passé permet de mieux comprendre les enjeux. À la suite du rapport de la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social, la question de l’organisation professionnelle fut l’objet au début des années 70 d’un grand ménage dans lequel j’ai été directement impliqué. Alors que j’étais ministre des Affaires sociales, l’Assemblée nationale a adopté le Code des professions, la création de nouveaux ordres et celle de l’Office des professions.

Comme on peut le constater, cette réforme a bien résisté à l’épreuve du temps. Près de 50 ans plus tard, elle continue de gouverner l’organisation professionnelle selon les mêmes objectifs et principes qu’au départ.

La mission d’un ordre, telle qu’établie à l’origine, a essentiellement pour but la protection du public.

Plus précisément, un ordre a pour mission de protéger ceux qui font appel aux services de professionnels aux moyens de normes portant sur leur admission à la pratique, leur formation, leur intégrité et l’exercice de leur profession. Il en découle que les ordres n’ont pas pour mission de protéger les intérêts de leurs membres. Ce sont les syndicats qui ont cette mission.

Vue sous un autre angle, la création d’un ordre n’a pas comme objectif de valoriser les membres d’une profession. D’ailleurs, il est facile de constater que l’existence d’un ordre ne leur accorde aucun prestige ni considération sociale. Dans certains ordres, tels ceux des ingénieurs et des pharmaciens, le fait d’en être membre peut avoir l’effet contraire chez bien des gens à cause des excès et des fautes de certains de leurs membres. Dans la réalité, heureusement, une personne est évaluée et considérée selon sa formation, sa compétence, sa rigueur, son intégrité, et non pas parce qu’elle est membre de tel ou tel ordre professionnel.

Risque de cloisonnement 

De plus, la création d’un ordre professionnel n’est pas sans conséquence. Ainsi, l’existence d’un ordre peut avoir pour effet d’enfermer une profession dans un cadre plutôt rigide qui se prête mal à son adaptation à l’évolution des connaissances et des technologies. Un tel encadrement a aussi pour effet de cloisonner l’exercice des professions, ce qui nuit à leur efficacité, comme c’est le cas dans tous les domaines d’activité. De nombreux exemples permettent de le constater.

Du point de vue de l’ordre des médecins, c’est-à-dire le Collège, c’est ainsi que la médecine traditionnelle est considérée comme la seule valable. Il voit les autres formes de traitement ou d’activité connexes comme dénuées de toute valeur. Au lieu d’y voir des formes alternatives de traitement, elles constituent aux yeux du Collège des invasions dans son champ de pratique et des menaces.

Les réticences de la médecine traditionnelle à l’endroit des autres intervenants en santé sont bien connues. Le cas des infirmières praticiennes est frappant. Au lieu de les considérer comme un important apport à la solution des problèmes d’accès aux soins, on ne voit aucune réelle volonté au sein des hôpitaux et des cliniques médicales de les intégrer pleinement.

Autre exemple, celui de l’ostéopathie. Une forme de traitement manuelle qui a pour but de rétablir la fonctionnalité des structures et de certaines fonctions du corps humain. Énormément de gens font appel aux ostéopathes devant l’incapacité de la grande majorité des médecins de les traiter. Grâce aux ostéopathes, à qui ils paient des honoraires, ces gens peuvent conserver une qualité de vie et demeurer actifs. D’ailleurs, malgré les objections de la médecine traditionnelle, l’ostéopathie est reconnue dans de nombreux pays et États, tels la France et le Royaume-Uni. Il en est de même des assureurs, y compris les assureurs québécois, qui couvrent les honoraires des ostéopathes.

Compte tenu de la mission fondamentale d’un ordre professionnel, soit la protection du public, il serait aberrant de conclure que les élèves des niveaux primaire et secondaire ont besoin d’un ordre professionnel pour les protéger de leurs enseignants. S’engager dans cette voie serait leur faire insulte, eux qui ont choisi de s’engager dans cette carrière malgré les difficultés qu’elle comporte et tout ce qu’elle exige. Quant à la protection des élèves contre les errements et les abus susceptibles de se produire, comme d’ailleurs notamment dans les sports, cette question est d’un tout autre ordre. Elle déborde nettement l’objet de cette chronique.

D'autres avenues

Si on revient à la question initiale, bien que l’objectif des promoteurs d’un ordre des enseignants soit éminemment valable, c’est-à-dire la valorisation de l’éducation, la création d’un ordre des enseignants serait inappropriée. Le débat qui se poursuit sur l’éducation montre que plusieurs avenues peuvent et doivent être poursuivies afin de valoriser l’éducation et de revoir le rôle des enseignants dans une perspective plus en accord avec leur mission fondamentale dans la société, celle de bien préparer nos enfants dans un monde de plus en plus exigeant.

Au-delà de ces considérations, force est de reconnaître que ce n’est que lorsque l’éducation sera vue comme primordiale dans notre système de valeurs que les enseignants seront considérés et traités comme ils le méritent.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.