Chronique

Un mal sournois dans les résidences pour aînés

Des télécoms aux services financiers, les clauses illégales pullulent dans nos contrats, comme je vous le disais la semaine dernière. Mais lorsque les clauses abusives visent des aînés vulnérables, c’est particulièrement odieux.

Je vous raconte le cas pathétique d’un couple de 85 ans qui se plaignait d’infiltration d’eau, sans que le propriétaire de leur résidence réagisse. Quand le problème s’est accentué, il a cavalièrement déménagé le couple ailleurs, durant un mois et demi, puisque leur logement était devenu inhabitable.

« L’eau giclait dans l’appartement. Je l’ai vue ! C’était épouvantable », jure Judith Gagnon, présidente de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR).

Vous imaginez le stress et les inconvénients pour le couple ? Surtout que la dame suivait des traitements de dialyse à cause d’un problème de rein. Et qu’on ne leur disait jamais combien de temps les travaux dureraient. Pourtant, le propriétaire négligent n’a absolument rien offert au couple en guise de dédommagement. Niet. Zéro. Rien.

Il faut dire que beaucoup de contrats de résidences contiennent une clause abusive où le propriétaire s’accorde le droit de reloger les résidants dans un autre lieu sans aucune indemnité.

Des clauses illégales, on en trouve de toutes sortes dans les baux et les règlements des résidences pour personnes âgées.

Malheureusement, les aînés sont des proies faciles. Lorsqu’ils magasinent une résidence, ils sont souvent bouleversés à cause de la perte de leur conjoint ou de la détérioration de leur propre état de santé.

Beaucoup signent le bail sans comprendre, parce qu’ils sont gênés de poser des questions. Dans bien des cas, le règlement et le code d’éthique de l’immeuble ne leur sont même pas remis avant la signature, si bien qu’ils ne savent pas dans quelles conditions ils s’embarquent. Extrêmement troublant.

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En 2016, le Protecteur du citoyen a rendu public un rapport spécial de 45 pages qui dénonçait le non-respect des droits des locataires dans les résidences privées pour aînés.

L’organisme avait déterré de nombreuses clauses illégales. Par exemple, certains propriétaires exigeaient des frais abusifs pour la remise en état du logement après le départ du locataire. Certains gestionnaires s’accordaient même le droit d’expulser des résidants.

Un lourd constat, je vous jure.

Mais les problèmes perdurent, comme le constate le centre d’aide et d’accompagnement aux aînés vulnérables de l’AQDR à Québec. « Eh, madame ! Les gens appellent, c’est incroyable. C’est quasiment le 911 », illustre Mme Gagnon.

Par exemple, avec la canicule de l’été dernier, bien des locataires ont eu besoin de déshumidificateurs ou de climatiseurs dans leur chambre. Or, certains propriétaires ont décidé de facturer à leurs résidants le surplus d’électricité. La semaine dernière, par exemple, un aîné a reçu une facture de 92 $, alors que son bail précisait que le chauffage et l’électricité étaient fournis.

Qu’à cela ne tienne ! Beaucoup d’ententes prévoient que le propriétaire peut changer les clauses du bail ou du règlement à sa guise, ce qui n’est pas légal.

Vous voulez d’autres exemples de clauses qui ne tiennent pas la route ?

Beaucoup de propriétaires prévoient, dans une annexe du bail, des frais de remise en état du logement lorsque le locataire quitte les lieux (ex. : 200 $). D’autres exigent que le locataire verse un dépôt pour les clés ou les meubles fournis, alors que légalement, le propriétaire peut seulement exiger un dépôt équivalant au premier mois de loyer.

Des propriétaires se dégagent aussi de toute responsabilité avec une clause comme celle-ci : « Le résidant dégage le propriétaire, ses mandataires et ses employés de toutes responsabilités en cas de perte, de bris, de vol dans l’exécution de la présente entente et l’opération de la résidence. »

Voyons donc ! C’est ridicule.

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Malgré tout, il n’est pas facile de contester ces clauses abusives. « Le locataire qui se plaint vise une entreprise ou un individu dont il dépend chaque jour pour des soins qui lui sont indispensables », notait le Protecteur du citoyen.

Les aînés craignent d’être victimes de représailles s’ils exercent un recours à la Régie du logement, ce qui, par ailleurs, est un processus long et complexe.

Si au moins leurs démarches à la Régie pouvaient servir à l’ensemble des résidants. Il serait possible de se regrouper pour se battre. Mais ce n’est pas possible. Chacun doit agir en solo. La clause abusive reste. Et tout est à recommencer pour le suivant.

Pour régler ce problème, le Protecteur du citoyen suggérait d’élargir la portée de certaines décisions de la Régie pour qu’elles s’appliquent à l’ensemble des locataires visés par le même problème. Une excellente idée !

On devrait aussi être plus proactif, estime Marie Annik Grégoire, professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal. Cette suggestion vaut non seulement pour les résidences pour personnes âgées, mais pour tous les secteurs de la consommation.

Présentement, il n’existe aucun recours qui permette à des consommateurs de déposer une demande commune pour faire interdire l’utilisation de clauses abusives dans un contrat, déplore Me Grégoire.

Selon elle, le Québec devrait se doter d’un outil semblable à celui qui existe en Europe, notamment en Belgique : l’action en cessation. Il s’agit essentiellement d’un recours préventif qui permet d’effacer les clauses illégales des contrats.

Comme on dit : mieux vaut prévenir que guérir.

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