SÉRIE  SAUVER LE CLIMAT

La biomasse au lieu du charbon

SELBY, Royaume-Uni — Une centrale thermique qui produit de l’électricité tout en retirant du carbone de l’atmosphère ?

C’est un rêve fou qui pourrait se réaliser ici, dans la campagne anglaise.

« C’est le saint Graal des énergies vertes », affirme Andy Koss, PDG de Drax Power, en entrevue dans les bureaux de la société.

La centrale de Drax est visible de toute la région, avec ses 12 tours de refroidissement de 112 m de hauteur et de près de 100 m de largeur.

Au milieu du complexe de 750 hectares – 10 fois le parc Maisonneuve à Montréal –, l’unique cheminée de la centrale domine.

En 2013, 20 millions de tonnes de CO2, principal gaz à effet de serre, sont sorties par cette cheminée pour se répandre dans l’atmosphère. C’est plus que pour toutes les voitures et camionnettes du Québec.

Mais ce qui passe en amont et en aval de la centrale de Drax Power dictera l’avenir du climat mondial et est en train de transformer l’industrie forestière en Amérique du Nord.

La centrale de Drax abandonne progressivement le charbon pour la biomasse forestière.

Sept fois par jour, un convoi ferroviaire déverse 3000 tonnes de granules de bois dans un complexe système de convoyeurs.

De la taille d’un macaroni, les granules sont acheminés jusque dans quatre dômes grands comme la Biosphère, dans l’île Sainte-Hélène.

Les granules proviennent d’arbres coupés principalement aux États-Unis et au Canada. Des usines y convertissent des copeaux, des résidus de coupe et de la sciure en provenance de scieries.

Cependant, écologistes et scientifiques s’inquiètent de plus en plus de cette industrie en pleine expansion qui menace les forêts anciennes.

Selon Andy Koss, la conversion du charbon à la biomasse est une question de survie pour son entreprise née de la privatisation du secteur public sous l’ère Thatcher. « L’avenir du charbon est plutôt sombre », affirme-t-il.

À preuve, le sort de deux centrales jumelles de Drax, situées à quelques kilomètres. Elles fermeront en mars prochain, plutôt que de se conformer à la nouvelle réglementation européenne contre la pollution à l’oxyde nitreux (NOx).

Et mardi dernier, le gouvernement britannique a annoncé la fermeture d'ici 2025 de toutes ses centrales au charbon.

Les centrales thermiques britanniques étaient déjà soumises à des contraintes de plus en plus élevées pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

En 2013, le gouvernement britannique a instauré une taxe carbone. Son coût est de 18 livres actuellement (environ 40 $). Il atteindra 20 livres (environ 44 $) la tonne en 2020, puis 70 livres (environ 150 $) en 2030.

Pour la centrale de Drax, c’est une facture de près de 800 millions qu’elle devrait refiler à ses clients. De quoi faire augmenter de 3 cents le coût de chaque kilowattheure, un coût annuel d’environ 100 $ pour un ménage moyen.

Mais une centrale qui brûle de la biomasse est réputée n’émettre aucun gaz à effet de serre, selon la législation européenne.

« En raison de ces prix sur le carbone, les centrales au gaz naturel déclassent le charbon. Mais grâce à la biomasse, on repasse devant le gaz, tout de suite après le solaire et l’éolien. »

— Andy Koss, PDG de Drax Power

Dans le marché britannique de l’électricité, qui est déréglementé, les consommateurs peuvent choisir leur fournisseur. La concurrence est sans pitié pour les technologies polluantes.

En brûlant de la biomasse, non seulement Drax Power évite-t-elle la taxe carbone, mais elle reçoit aussi des subventions aux énergies vertes financées à même cette taxe.

UNE ÉNERGIE CONTROVERSÉE

Brûler des granules – ou chauffer son poêle à bois – émet du dioxyde de carbone (CO2). Tout comme pour le charbon ou le pétrole.

Mais comme les arbres repoussent en absorbant du CO2, on considère que cela n’ajoute pas de carbone dans l’atmosphère. Cela en fait une énergie « carboneutre ».

Ce calcul est contesté par de nombreux scientifiques. Mais ce débat pourrait devenir théorique.

Sur un terrain appartenant à Drax Power, juste à l’ouest de la centrale, un nouveau projet appelé White Rose doit voir le jour.

C’est une coentreprise d’Alstom, BOC (un géant de la gestion des gaz industriels) et Drax Power.

Une nouvelle centrale au charbon est prévue, mais elle sera dotée d’un système de capture et séquestration de carbone.

Les gaz à effet de serre seront acheminés par pipeline jusqu’au large des côtes anglaises, dans la mer du Nord. Ils seront injectés dans des formations rocheuses à plus de 1000 m sous le fond marin, où ils seront emprisonnés pour des millions d’années.

Le pipeline aura une capacité excédentaire que Drax Power et d’autres usines de la région, fortement industrialisée, pourraient utiliser.

Le professeur de foresterie Mark Harmon, de l’Université d’État de l’Oregon, est un des plus farouches opposants de l’industrie de la biomasse. « On ne peut pas dire que la biomasse, c’est carboneutre », affirme-t-il, en entrevue avec La Presse.

Mais son opposition tomberait avec la capture et la séquestration de carbone. « Ce serait une façon de le faire », dit-il.

« Nous appuyons le projet en donnant le terrain et en offrant des services partagés, dit Andy Koss. En théorie, nous pourrons utiliser la capacité excédentaire de la conduite. »

Cependant, le projet White Rose a récemment subi un revers. Drax Power lui a retiré son appui financier, à cause de la conjoncture économique.

En effet, un changement dans la réglementation britannique a fait perdre à Drax Power un crédit pour les énergies vertes qui lui rapportait plus de 100 millions par année. Et la chute du cours du pétrole a entraîné celui du gaz naturel, ce qui a fait baisser le prix de l’électricité.

« Les circonstances financières actuelles nous empêchent d’investir dans le projet White Rose, mais l’entreprise souhaite sa réalisation », dit M. Koss.

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