EXTRAIT

Violence à l’origine, de Martin Michaud

« Tu as atteint un stade où il n’est plus possible de revenir en arrière. Il n’y aura donc pas de limites à ta souffrance parce que tu ne pourras pas satisfaire toutes les pulsions que tu as libérées. Et, crois-moi, le père Noël se nourrira de ta souffrance comme il s’est nourri de la mienne pour te pousser à l’agression. Malheureusement, la nature nous a dotés de mécanismes et de facultés que la société, sa culture et ses interdits restreignent en nous. La conscience humaine est une erreur de parcours. »

ROMAN QUÉBÉCOIS MARTIN MICHAUD

Le retour de Victor Lessard

Violence à l’origine

Martin Michaud

Les Éditions Goélette, 456 pages

« Je viens de parler à Victor Lessard. He is back », annonçait l’auteur de polars québécois Martin Michaud sur sa page Facebook en février. Illico, internautes et fans ont manifesté leur joie en apprenant le retour de Lessard, enquêteur du SPVM inventé de toutes pièces par Michaud et dont la quatrième enquête, Violence à l’origine, vient d’arriver en librairie. C’est un polar ? Oui. Mais aussi un roman tout court, écrit avec finesse. Et qui s’interroge sur l’ordre et le chaos. Entrevue en forme de mots-clés.

LE PÈRE NOËL

« C’est une des choses troublantes de notre société : on ment à nos enfants en leur racontant, alors qu’ils sont tout petits et influençables, l’histoire d’un gentil monsieur qui apporte des cadeaux. Il me semble que c’est malsain. J’ai donc eu envie de déboulonner ce mythe du bon père Noël et, dès la première page du roman, de me l’approprier pour en faire une incarnation du mal. À partir de là, Victor Lessard et ses coéquipiers vont être confrontés à une série de meurtres très ritualisés, avec toujours le même message sur les lieux des crimes : “Et le dernier sera le père Noël.” En plein juillet. »

MONTRÉAL

« Oui, dans Violence à l’origine, j’évoque le maire Coderre, Magnotta, Jacques Fabi, les journaux locaux, le quartier NDG. Je parle de Montréal pour trois raisons. Primo, je considère qu’un roman policier est une photographie de la société à un moment donné et à un endroit donné. Deuzio, j’essaie, dans les enquêtes de Lessard, d’utiliser Montréal comme un personnage, un peu comme Mankell ou Simenon l’ont fait pour Ystad ou Paris, je trouve que cela donne un supplément d’âme à un polar. Tertio, la crédibilité est fondamentale dans un roman policier, c’est pourquoi je parle de ce que je connais : Montréal. Dans mon roman Sous la glace [NDLR : publié en 2012, mais qui n’est pas une enquête de Lessard], c’était la même chose : je connaissais très bien Lowell, où se déroule l’histoire, etc. C’est ma façon de parler de ce que je vis, ma volonté de réinterpréter le réel. »

L’ORDRE ET LE CHAOS

« C’est vrai, c’est sans doute le sous-thème de Violence à l’origine : même les chapitres sont placés dans le désordre dans le livre, je voulais faire une structure un peu à la Pulp Fiction et démontrer que le chaos a aussi sa logique ! Ça peut sembler très manichéen de présenter la société tiraillée entre la civilisation et les pulsions de violence. Mais je pense que nous sommes tous profondément convaincus que les monstres, ce sont les autres, jamais nous ni nos proches. Alors qu’on a tous ce potentiel de violence, il suffit de circonstances propices. L’enquête de Lessard est donc entrecoupée d’une espèce de dialogue entre deux des personnages, dont l’un a embrassé totalement le chaos et l’autre tente de justifier ses actes – y compris faire le mal pour faire le bien. C’est toute la question du libre arbitre qui est posée – est-ce que cela existe, le libre arbitre, quand tant d’événements nous déterminent ? –, et même Victor Lessard y sera confronté en apprenant certains faits. »

CITATIONS

« J’ai entrecoupé le roman de citations de Sigmund Freud, Michel Foucault, René Girard… Non, je n’avais pas l’ambition de faire un roman philosophique [rires]. Moi, je raconte une histoire, avant toute chose. Mais un de mes amis est prof de philo, on joue au hockey ensemble, et disons qu’on a des conversations pas banales dans le vestiaire [rires]. C’est lui qui m’a aidé à structurer la rhétorique du tueur dans Violence à l’origine. J’ai même pensé un moment baptiser le roman du titre d’un des livres de Freud : Malaise dans la civilisation. Parce que c’est de cela qu’il s’agit, finalement. »

CÉLERI ET QUARTIERS DE CITRON

« C’est ce que mange Jacinthe Taillon, la coéquipière de Lessard, elle en est le pendant nécessaire ! Le personnage de Jacinthe est très riche. L’humour est une façon d’apporter un peu de lumière dans mes polars, et Jacinthe est un de mes outils pour désamorcer la violence dans ce que j’écris. Il n’est pas dit que je ne ferai pas quelque chose autour d’elle, un jour…

Elle n’apparaissait pas dans Il ne faut pas parler dans l’ascenseur [première enquête de Lessard, 2010] ; elle détestait Lessard dans La chorale du diable, qui expliquait tout le background de Lessard [2011] ; elle devenait peu à peu sa partenaire dans Je me souviens [2012]. Cette fois, ils sont tous les deux en symbiose, et toutes les ficelles figurant dans les trois premières enquêtes vont être attachées dans Violence à l’origine. C’est vraiment la fin d’un cycle. Mais pas la fin de Victor Lessard ! Disons qu’il entreprend une autre étape de sa vie. »

ÉCRIRE

« Ça fait deux ans que je ne pratique plus le droit, pour me consacrer uniquement à l’écriture. Et la dernière année en a été une longue : deux romans [Violence à l’origine et le court roman S.A.S.H.A.] et trois nouvelles. Juste pour Violence à l’origine, j’ai écrit environ 115 000 mots, que j’ai réduits finalement à 100 000. Et puis on a sorti Sous la glace en France et en Belgique cette année, et ça marche bien, on sort les trois premières enquêtes de Lessard là-bas en février. Je planche toujours sur trois projets télé. Et je travaille à la réalisation d’une BD sur Victor Lessard, pour un diffuseur français : ça va être dialogué en québécois, très hâte de voir ça, c’est prévu pour début 2016 ! »

« Mais avant, je dois terminer mon prochain livre : ce n’est pas un Lessard, mais plutôt un roman d’espionnage où il sera question de djihadisme et de terrorisme, qui commence à Montréal avant de devenir international. C’est du boulot, écrire… »

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