Opinion : Élections provinciales

La grande oubliée : l'économie

« It’s the economy, stupid ! » Cette célèbre phrase, mantra de l’équipe de Bill Clinton lors de l’élection présidentielle victorieuse de 1992, va bientôt revenir hanter nos politiciens s’ils continuent de l’ignorer. Après deux semaines de campagne, aucun parti n’a encore parlé d’économie. Comme si, parce que l’économie se porte bien, ce n’était plus important d’en parler.

Ce serait pourtant une grave erreur de cesser de s’en préoccuper. Sans croissance économique, d’où viendra l’argent pour financer les milliards qu’on nous promet ? Montée du protectionnisme, guerre commerciale, récession : les risques sont réels.

Multiplier les engagements coûteux sans parler de main-d’œuvre, de productivité et de croissance économique relève de la pensée magique.

Plusieurs grands défis économiques porteront sur la main-d’œuvre. Les besoins se feront sentir dans tous les secteurs, ce qui limitera la production des entreprises et la qualité des services. À cela s’ajoutent de profondes transformations causées par l’automatisation du travail.

Les besoins de main-d’œuvre sont réels

Au cours de la prochaine décennie, il faudra remplacer près du tiers des travailleurs actuels (environ 1,1 million de personnes), principalement à cause des départs massifs des baby-boomers vers la retraite. Il faudra aussi trouver des travailleurs pour occuper les nouveaux emplois qui seront créés. Certaines régions seront particulièrement touchées, parce que la population y vieillit plus rapidement, ou encore parce que le taux de chômage y est déjà très faible.

Il y a présentement près de 100 000 postes vacants dans les entreprises du Québec, et ce nombre augmente plus rapidement que dans les autres provinces canadiennes. Santé, éducation, technologies de l’information, aérospatiale, machinerie, transport et entreposage ; dans tous ces secteurs, les ressources manquent déjà, et ce n’est que la pointe de l’iceberg.

L’automatisation bouleversera l’emploi

Environ la moitié des activités pour lesquelles les gens sont rémunérés pourraient être automatisées d’ici 2030. Si on attend passivement sans s’y préparer, les conséquences pourraient être nombreuses : polarisation de la société entre les travailleurs qualifiés et les autres ; marginalisation des groupes moins aptes au travail ; hausse du nombre de travailleurs autonomes sans filet social ; et croissance économique limitée.

Il ne faut pas pour autant craindre le changement et nier le progrès technologique. Il faut s’y préparer adéquatement.

Les défis du marché du travail de 2030

Le resserrement actuel du marché de l’emploi peut être perçu comme une menace, mais il représente aussi l’occasion idéale de préparer notre économie aux enjeux de demain. Il exige qu’on développe dès maintenant les bons réflexes et qu’on procède aux transformations nécessaires. Avant de promettre des ressources additionnelles sans savoir si cela est réaliste, les partis politiques devraient nous éclairer sur les moyens de faire les virages suivants : 

– Inciter les entreprises à s’automatiser plus rapidement. L’automatisation permet aux entreprises d’être plus productives et compétitives et d’embaucher plus de travailleurs. Il faut accélérer le virage pour combler notre retard.

– Rendre le système d’éducation plus agile et mieux adapté aux changements technologiques et sociaux. Briser les silos entre le réseau de l’éducation et les entreprises, entre les cégeps et les universités. Développer une culture de la formation continue. Rehausser le niveau de littératie et de numératie de l’ensemble de la population.

– Faire évoluer les pratiques d’embauche des entreprises pour les rendre plus inclusives et plus ouvertes à la diversité. Il faut donner la chance aux immigrants, aux autochtones et aux personnes handicapées et autres groupes sous-représentés de participer pleinement à notre avenir collectif.

– Repenser le filet social en fonction des travailleurs autonomes et de ceux qui auront du mal à s’adapter à des chocs comme la robotisation ou l’intelligence artificielle.

Alors que le taux de chômage est à un creux historique, que l’économie performe bien et que les coffres de l’État sont bien garnis, on peut comprendre que les politiciens évitent les sujets complexes et délicats. Mais le parti qui formera le prochain gouvernement, quel qu’il soit, sera confronté à ces enjeux. Et si ces questions n’ont pas été abordées lors de la campagne électorale, quel mandat aura ce gouvernement pour amorcer des réformes difficiles qui doivent reposer sur un contrat social ?

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