La docteure répond

« Suis-je en train de faire un infarctus ? »

Vous n’avez jamais eu de problème de santé. Plus exactement, vous n’avez jamais porté attention à votre santé jusqu’ici. Vous décidez de vous mettre à la course à pied. Curieusement, chaque fois que vous courez une distance digne de ce nom, vous éprouvez un étrange malaise dans le thorax. Devez-vous vous inquiéter ?

De nombreuses personnes vont ressentir, à un moment ou un autre, une douleur dans leur poitrine. Chaque jour, un nombre incalculable d’individus se présentent aux urgences avec ce symptôme. On pourrait croire que le thorax a été inventé pour faire vivre les médecins. Est-ce normal de s’inquiéter à ce point ? La réponse est oui ! Après tout, votre thorax renferme plusieurs trucs qui vous gardent en vie (par exemple votre cœur, vos poumons, votre aorte). Il ne faut pas banaliser une douleur dans cette partie du corps.

La plupart des gens qui présentent un malaise dans leur poitrine vont automatiquement se demander : « Suis-je en train de faire une crise cardiaque ? » Entrent alors sur scène les croyances populaires et adages de grand-mère. On entendra des « non, ce n’est pas le cœur, car la douleur ne va pas dans le bras » ou « ça ne peut pas être cardiaque, parce que ça part quand je me repose ». Des gens trouveront le moyen de localiser leur estomac dans leur thorax ou se diront que cela doit être l’arthrose dans leur cou ou dans leurs épaules. 

Faisons donc le point sur la crise cardiaque.

D’abord, il y a l’angine. Elle survient lorsqu’il n’y a pas assez de sang qui se rend à votre cœur, mais qu’il n’y a pas encore de dommage permanent. Typiquement, il s’agit d’une douleur dans la poitrine qui se présente à l’effort et qui est soulagée par le repos. Elle est décrite comme un « serrement » qui peut irradier dans le cou et dans les bras. L’infarctus, lui, survient quand le cœur manque d’apport sanguin au point où des cellules cardiaques sont endommagées et meurent. Les symptômes sont semblables, mais peuvent durer plus longtemps malgré le repos. 

Hourra ! Votre malaise ne correspond pas pile-poil à cette description, donc vous pouvez jogger tranquille, vous dites-vous. Pas si vite ! Le hic, c’est qu’une grande proportion de gens auront une crise cardiaque avec des symptômes atypiques. Une douleur seulement dans les bras, de la difficulté à respirer ou même des étourdissements ou des sueurs sans aucune douleur… en québécois, on dirait que les infarctus ont le don d’être bâtards. De plus, les diabétiques ont une tendance à présenter des infarctus sans douleur et les femmes ont plus souvent des symptômes atypiques. Bref, vous ne pouvez pas répondre tout seul à votre question.

Et sachez que si vous êtes en train de faire une crise cardiaque, le temps, c’est du cœur : chaque minute écoulée sans soins médicaux augmente vos risques de dommage cardiaque permanent. Vaut mieux ne pas manquer le départ pour cette course.

Tant qu’à y être, revenons à votre question. Savez-vous qu’il y a d’autres causes de douleur dans la poitrine que la crise cardiaque ? En fait, il y en a beaucoup. Certaines sont bénignes, comme les douleurs musculaires ou le reflux gastrique. D’autres peuvent être aussi dangereuses que la crise cardiaque, comme l’embolie pulmonaire (un caillot dans vos poumons) ou la dissection aortique (le gros vaisseau qui sort de votre coeur qui se déchire… j’arrête là pour vous sauver des cauchemars). Tous ces machins ont des caractéristiques qui leur sont propres. Compliquée, la douleur dans la poitrine ? Juste un cran sous la dissertation de philo. Donc, à moins d’avoir déjà consulté et de très bien connaître la cause de vos symptômes, il est bien normal d’aller rapidement jaser de votre douleur aux urgences si vous avez la moindre inquiétude. Le médecin qui vous verra pourra vous faire passer une panoplie de tests selon votre profil : bilans sanguins, rayons X, scan thoracique, tapis roulant… vive la technologie ! Il se peut aussi que vous quittiez les urgences sans avoir été piqué ou irradié. Un peu déçu ? Dites-vous que le meilleur outil d’évaluation de la douleur thoracique reste le questionnaire et l’examen physique du médecin. Ceux-ci sont moins « technos », mais sont des tests en soi.

Finalement, il est probable que vous quittiez les urgences sans diagnostic dramatique (après tout, la plupart des douleurs dans la poitrine ne sont pas des infarctus), mais il est impossible de savoir quel billet de lotto vous avez pigé sans évaluation médicale.

Enfin, si vous ressentez une douleur dans la poitrine, il peut être judicieux de ne pas garder cela pour vous-même. L’évaluation de ce problème est probablement plus complexe que vous ne le croyez. Vous vous rendrez service en allant en discuter avec quelqu’un d’autre que vous et votre personne. Rendez-vous à la course, mais pas sur vos pieds !

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