Opinion  Rémunération des médecins

Le summum du mépris

Les quotas imposés par la loi 20 seront inatteignables pour beaucoup de médecins de famille

Je suis médecin de famille depuis plus de 30 ans et j’ai rarement ressenti autant de mépris dans les médias à l’endroit de ma profession. La loi 20, qui passera sans doute sous bâillon, ce printemps, est le summum du mépris envers les médecins de famille.

Si j’étais un peu plus vieille, je prendrais ma retraite, et plus jeune, je quitterais le Québec.

Je travaille au sein d’une formidable équipe de GMF à Laval et la majorité de mes collègues, moi comprise, ne pourront atteindre les quotas exigés par le ministre.

Tous et toutes travaillent très fort et ont à cœur la santé de nos patients. Toutes les 6 à 8 semaines, la plupart de mes collègues doivent travailler une semaine en centre hospitalier. On parle de semaines d’au moins 70 heures et de disponibilité 24 heures sur 24. Évidemment, avec ce type d’horaire, ils ne sont pas disponibles pour les patients de leur bureau. Notre sans rendez-vous est ouvert 12 heures par jour, 7 jours sur 7. Nous travaillons avec trois infirmières et deux infirmières praticiennes spécialisées.

Malgré mes semaines de 50 heures, 46 semaines par année, et 1000 patients, je n’atteindrai pas les quotas.

Les gens se moquent du fait que notre salaire sera amputé de 30 %, car nous sommes perçus comme des enfants gâtés.

Le 25 mars dernier, le poste de notre infirmière du projet réseau a été supprimé. Elle faisait le lien entre nos patients et les services des différents CLSC de notre territoire et des territoires adjacents. Ce service précieux a été remplacé par un guichet d’accès unique impersonnel.

Nous travaillons aussi avec deux pharmaciennes du centre hospitalier qui, deux jours par semaine, répondent à nos multiples consultations sur place. Bien que leur présence soit maintenue, les heures seront diminuées.

Notre GMF est un bel exemple de pratique interdisciplinaire. Mais comment suis-je supposée faire plus avec moins ? Quand un patient passe une échographie, un CT-scan ou une résonance magnétique en centre hospitalier, je ne reçois pas le rapport avant 6 à 8 semaines. La mode, maintenant, c’est de demander au médecin d’écouter le rapport dicté par le radiologiste. Avez-vous déjà écouté une telle dictée ? Je comprends pourquoi les secrétaires quittent leur poste ! Je dois souvent réécouter 3 ou 4 fois pour comprendre tout ce que le radiologiste a marmonné. Pendant ces 15 minutes de frustration, je pourrais voir des patients.

Je reviens de vacances et des formulaires, en voulez-vous ? Neuf en moins de deux jours de bureau : invalidité, SAAQ, Revenu Québec pour déficience, etc. Je sais bien que cela fait partie de ma pratique, mais il faut en tenir compte dans le calcul des heures de travail. Est-ce que M. Barrette est venu passer une semaine dans un cabinet de médecins pour comprendre notre réalité ?

Mon fils de 18 ans désire faire carrière en médecine et je ne l’encouragerai pas à aller en médecine familiale, bien que j’adore mon travail. Depuis 30 ans, j’accompagne les familles de la naissance à la mort et me sens privilégiée de pouvoir apporter mon soutien.

Mais j’ai aussi vécu plusieurs réformes, et les médecins de famille ont été pénalisés par chacune d’entre elles.

Alors, je ferai comme le veut le docteur Barrette. Je continuerai à travailler cinq jours par semaine, mais 40 semaines et non 46 par année. Ça fera moins de salaire à couper pour le gouvernement.

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