Entrevue avec John Bolton

Donald Trump, seul contre tous

Cruel, menteur, tricheur : après la nièce, c’est la sœur aînée du président qui, enregistrée à son insu, brosse un terrible portrait du candidat à sa réélection. Dans son propre parti, d’éminents républicains pointent, eux, son incompétence. Comme John Bolton qui, dans ses Mémoires, fustige un chef de l’État privilégiant ses intérêts à ceux de la nation. Fragilisé par sa mauvaise gestion de l’épidémie et par la crise économique, Trump est lâché par une partie de ses électeurs. Qu’importe, il croit encore pouvoir mener son parti à la victoire.

Dans vos Mémoires, « The Room Where It Happened », vous racontez votre séjour à la Maison-Blanche, dans la garde rapprochée de Donald Trump. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé chez lui ?

Son refus d’apprendre. J’ai conseillé plusieurs présidents. Tous ceux que j’ai vus en action arrivent avec une idée très vague de ce qui les attend. La tâche est trop importante pour le savoir avant d’occuper le bureau Ovale. Mais, dans le cas de Trump, j’ai été frappé par ses lacunes et surtout son manque d’intérêt. Il pense vraiment que son instinct suffit, comme à l’époque où il était dans l’immobilier à Manhattan. Ce n’est pas comme ça que ça marche sur la scène internationale…

Au départ, entre lui et vous, tout va bien…

Oui, il a décidé le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire sur l’Iran au bout d’un mois, et j’y étais favorable. Mais j’ai vite réalisé que Trump n’avait aucune vision. Il n’est ni un conservateur républicain ni un démocrate de gauche. Il n’est rien. Et je pense que c’est un problème. Si vous n’avez pas de philosophie, vous n’avez pas d’objectifs et vous allez n’importe où. Trump est exactement dans cette situation. Et, comme il refuse d’apprendre, il est incompétent.

Quand avez-vous décidé de démissionner ?

La première fois que j’y ai songé, c’est au moment où Trump a invité le bras droit de Kim Jong-un à la Maison-Blanche. Je venais d’arriver. Le président m’en voulait car Kim se plaignait ouvertement de moi… Puis il y a eu l’attaque iranienne sur un drone américain. Sa décision de ne pas riposter m’a beaucoup déçu. À ce stade, les dés étaient jetés : mon départ était inévitable, pourtant je suis resté car je pensais toujours avoir de l’influence, et j’arrivais encore à avaler des couleuvres. Mais quand il a voulu convier les talibans d’Afghanistan à Camp David – une erreur énorme –, la rupture était consommée. Mon départ, après dix-sept mois à ce poste, a été le résultat d’une accumulation de désaccords.

Il y a eu aussi l’affaire ukrainienne, qui a valu à Trump une procédure en destitution…

Quand je suis parti, le 10 septembre 2019, je savais que cette affaire serait réglée et que le montant promis à l’Ukraine au titre de l’aide militaire serait débloqué. Mais ce qui m’a le plus choqué, dans ce dossier, c’est que Trump ait conditionné cette aide au lancement d’une investigation judiciaire contre Joe Biden. En 1992, George H. W. Bush, alors président en campagne pour sa réélection, avait refusé de demander aux Britanniques des informations sur son rival, Bill Clinton, qui avait étudié à Oxford. Certains de ses conseillers l’y poussaient. « On ne va pas demander de l’aide à un gouvernement étranger », leur a-t-il répondu. C’est pourtant exactement ce qu’a fait Trump.

Racontez-nous votre dernier moment avec lui dans le bureau Ovale, le 9 septembre 2019.

Il m’a demandé de passer le voir en tête à tête juste avant de s’envoler pour un meeting en Caroline du Nord. Il ne m’a pas expliqué pourquoi il voulait me voir, il m’a simplement dit que beaucoup de gens ne m’aimaient pas. Il m’a aussi accusé de voler en jet privé lors de mes déplacements officiels, ce qui était faux car j’empruntais toujours des avions militaires. « Si vous voulez que je démissionne, je peux le faire tout de suite », lui ai-je alors dit. « Reparlons-en demain », m’a-t-il répondu. Il était pressé, pas particulièrement en colère, et j’avais déjà eu plusieurs conversations de ce type avec lui. Je n’avais pas non plus envie de battre des records de longévité à ce poste ; de toute façon, s’il n’est pas réélu, j’aurai été celui qui sera resté le plus longtemps… J’ai alors demandé à mon assistante de dactylographier ma lettre de démission.

Ce poste vous manque-t-il ?

Bien sûr ! Mais vous devez croire à ce que vous faites et à l’impact que vous pouvez avoir. Rester n’aurait pas été honorable. Il m’était devenu impossible de demeurer loyal à cet homme, compte tenu de la façon dont il se comportait.

À quoi ressemblera l’Amérique si Trump est réélu ?

Impossible à dire. En matière de politique étrangère, il a pris toutes ses décisions en se référant uniquement à ce qu’elles pouvaient politiquement lui rapporter à titre personnel, pas en fonction des enjeux réels.

Souhaitez-vous sa réélection ?

Je ne vais voter ni pour lui ni pour Joe Biden. Ce sera la première fois que je ne voterai pas pour un candidat à la présidence investi par le Parti républicain.

Que pensez-vous de Joe Biden, que vous devez bien connaître ?

Je le connais depuis plus de trente ans… Selon la Constitution, il faut avoir au moins 30 ans pour être sénateur. Biden, élu à 29 ans, mais investi à 30 car son anniversaire a eu lieu entre son élection et son investiture, en a profité et a consacré, depuis, toute sa vie à la politique. Nous avons beaucoup échangé, notamment quand il présidait la commission des affaires étrangères du Sénat. C’est un type sympathique, avec qui il est facile de s’entendre. Mais nous n’avons pas la même philosophie. Sa politique étrangère sera, au mieux, aussi mauvaise que celle d’Obama. Mais le risque qu’elle soit encore pire existe, en raison des pressions de l’aile gauche du Parti démocrate qu’il va subir.

Comment définissez-vous les relations entre Donald Trump et Emmanuel Macron ?

Il y a eu des hauts et des bas. Je ne pense pas que Trump aime particulièrement Macron. Il le prenait pour un bleu.

Vous avez décidé de supprimer le bureau consacré au dépistage des pandémies, qui dépendait de votre poste. Certains experts vous accusent aujourd’hui d’avoir privé l’Amérique de moyens pour lutter contre le Covid-19…

Faux. J’ai simplement fusionné ce bureau avec celui dédié aux armes de destruction massive, car les pandémies liées aux virus se répandent comme les armes biologiques. Les effets sont assez similaires. Je pense au contraire avoir renforcé les mécanismes d’alerte. D’ailleurs, ils ont fonctionné dès le début, en janvier 2020. La vraie question est de savoir pourquoi Trump n’a pas réagi. En réalité, il ne voulait rien entendre de négatif sur l’économie qui puisse réduire ses chances de réélection. Donc, il n’a rien fait jusqu’à la mi-mars. Il a perdu deux mois et demi, un retard impossible à rattraper. Pendant ce temps, il répétait que le virus allait disparaître au printemps ! Trump est incapable d’écouter un conseiller qui lui dit : « Nous avons un problème. »

Vous passez pour un « faucon ». Trump a dit un jour que si ça ne tenait qu’à vous, l’Amérique lancerait des bombes nucléaires sur la terre entière !

Mais alors pourquoi m’a-t-il embauché ? Il sait bien que je prône l’usage de la force pour faire régner la paix, comme le faisait Reagan, mon président préféré. Ne pas assumer ses décisions, c’est typique de Trump. À deux occasions, il m’a dit que son seul désaccord avec moi, c’était la guerre en Irak en 2003, contre laquelle il était…

Vous persistez à penser que cette guerre en Irak était nécessaire ?

Oui, parce que Saddam Hussein menaçait la paix et la sécurité dans la région qu’il voulait dominer. Il avait déjà envahi une fois le Koweït, en 1990, nous aurions dû le faire tomber à ce moment-là. Contrairement à la légende, il n’y a pas eu de mensonge : Saddam avait affirmé qu’il détenait d’importants stocks d’armes chimiques, ce qui était faux mais personne ne le savait. On en avait donc conclu qu’il possédait aussi des armes de destruction massive. C’était une erreur d’analyse. Nous savions qu’il voulait en obtenir, même s’il n’avait pas encore mis la main sur des centrifugeuses servant à enrichir l’uranium. Il avait rassemblé 3000 ingénieurs qu’il appelait ses « moudjahidin nucléaires » …

Vous aviez de bons rapports avec Mike Pompeo, le secrétaire d’État, qui vous a qualifié de « traître » après la parution de votre livre…

Pompeo fait ce que Trump veut. Il a décidé de se présenter à la présidentielle de 2024 comme le plus loyal des supporteurs de Trump. Je pense que ça ne marchera pas. Je n’ai plus aucun contact avec lui, ni avec Trump, mais je sais qu’à la Maison-Blanche l’ambiance est tout aussi chaotique qu’à l’époque où j’y étais. Personne ne travaille sérieusement les dossiers, y compris sur le Covid. L’obsession de tous, c’est la campagne et la réélection.

Trump sera-t-il réélu ?

Il perdrait si l’élection avait lieu aujourd’hui, car, dans les sondages, il est loin derrière. Mais ce serait une erreur de l’enterrer. Il reste trois débats présidentiels. Sa réélection sera déterminée par des facteurs sur lesquels il n’a aucune prise : le virus, l’économie…

Il a suggéré récemment l’idée de repousser la date de l’élection.

Je pense que c’est inconstitutionnel et désastreux. Seul le Congrès pourrait voter une loi sur le sujet, et il ne le fera pas. Cela montre à quel point il est désespéré…

Certains agitent l’idée d’une « October Surprise », une surprise de dernière minute, en octobre, juste avant le scrutin…

C’est une tactique classique de tous les candidats en perdition, à la recherche d’un moyen de rebondir. En janvier, Trump excluait une nouvelle rencontre avec Kim Jong-un tant qu’un accord n’était pas trouvé, mais il a dit récemment que ce n’était finalement plus à écarter. Donc, un quatrième meeting pourrait arriver… Trump tente désespérément de trouver la parade face aux mauvais sondages.

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