Chronique

Le jeu de l’épargne et du hasard

C’est LA question qui hante les travailleurs tout au long de leur carrière : Combien dois-je mettre d’argent de côté pour ma retraite ?

Une question à laquelle il est bien difficile de répondre, à en juger par un petit jeu auquel je me suis prêtée, cette semaine, en compagnie de journalistes économiques d’autres médias. Tous assis devant un ordinateur du laboratoire du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), nous avons servi de cobayes au professeur Jim Engle-Warnick, spécialiste de l’économie comportementale.

Le vice-doyen, recherche et études supérieures, de la Faculté des arts de l’Université McGill présentera d’ailleurs une allocution sur le thème de la transition travail/retraite dans le cadre de la Conférence de Montréal qui s’ouvre lundi prochain.

Son expérience est relativement simple. Dans un premier temps, il suffit de lisser le mieux possible ses revenus sur 20 ans. Certaines années, vos revenus s’élèvent à 900 $. D’autres, ils ne sont que de 300 $, car vous êtes au « chômage ». Mais les années de chômage surviennent au hasard.

Chaque année, vous avez le choix de dépenser ou d’épargner vos revenus, en tout ou en partie. L’épargne accumulée s’ajoute à vos revenus des années suivantes, ce qui permet de vous constituer un fonds de prévoyance pour les années de vaches maigres.

Sans trop me casser la tête, j’ai obtenu un pointage assez près du score optimal, signe que je suis parvenue à avoir des revenus relativement constants au fil des ans. Fiou ! Jusqu’ici, mon honneur est sauf !

C’est ensuite que ça se corse. Dans une seconde simulation, on ajoute cinq années sans revenus après la séquence de 20 ans. Donc, en plus de se constituer un coussin pour les années dures, il faut aussi épargner en vue de la « retraite ».

Après toutes ces années à écrire sur la planification de la retraite, je dois admettre que mon pointage a fondu. J’étais un peu débinée, jusqu’à ce que le professeur nous explique que c’est justement la conclusion de son étude menée auprès de milliers de participants.

Les répondants parviennent assez bien à se constituer un fonds de prévoyance. Mais lorsqu’on ajoute l’épargne-retraite dans l’équation, leur performance est moins reluisante. Ils ont plus de mal à évaluer l’argent qu’il leur faut pour leurs vieux jours.

Je n’ose pas imaginer le score si on ajoutait d’autres variables comme le taux de rendement, la fiscalité, l’espérance de vie…

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Alors, combien devrions-nous épargner pour la retraite ? Les Canadiens épargnent suffisamment ou pas assez ?

Les spécialistes ne s’entendent pas là-dessus. Selon la Régie des rentes, une majorité de Québécois n’arrivera pas à maintenir son train de vie à la retraite. À l’opposé, certains « retraitos-sceptiques » estiment que la crise de la retraite est surfaite.

Les planificateurs financiers répètent souvent qu’il faut l’équivalent de 70 % de ses revenus d’emploi en fin de carrière pour maintenir son niveau de vie une fois à la retraite. Cela dépend du fait que les retraités ont des dépenses moins élevées, qu’ils paient moins d’impôts et qu’ils n’ont plus besoin de cotiser pour leur retraite.

Mais cette cible est trop élevée, au goût de certains experts, dont Malcolm Hamilton, fellow de l’Institut C.D. Howe. Dans une étude publiée cette semaine, il explique que certains retraités peuvent s’en tirer avec beaucoup moins, parfois aussi peu que 30 % de leurs revenus de fin de carrière.

C’est que certains couples voient leurs dépenses diminuer considérablement à la retraite, car ils n’ont plus à subvenir aux besoins de leurs enfants ni à rembourser leur hypothèque (certains peuvent même vendre leur maison pour bonifier leur épargne-retraite) par exemple.

En suivant la fameuse règle de 70 %, certains couples pourraient se retrouver avec deux fois plus de marge de manœuvre à la retraite que durant leurs jeunes années, où ils se sont serré la ceinture pour acheter leur maison et élever leurs enfants avec un plus petit salaire qu’à la fin de leur carrière.

Est-ce à dire qu’il faut arrêter d’épargner quand on est jeune ? Surtout pas ! Ce serait vous priver de l’effet des rendements composés. Et puis, vous ne savez pas ce que l’avenir vous réserve.

Qui sait si votre salaire augmentera au fil des ans ?

Qui sait combien d’enfants vous aurez ?

Qui sait si vous divorcerez ?

Qui sait si vous mettrez votre carrière en veilleuse à cause d’une maladie ?

Qui sait ce que les marchés financiers vous réservent ?

Qui sait à quel âge vous partirez à la retraite, d’un coup sec ou graduellement ?

Alors, combien mettre d’argent de côté pour la retraite ? La bonne réponse est peut-être 5 % de votre salaire pour certains et 18 % pour d’autres. Quel taux de remplacement des revenus faut-il viser ? Peut-être 30 % pour certains, mais 75 % pour d’autres. C’est au cas par cas.

Il n’y a qu’une seule solution pour en avoir le cœur net : consultez un spécialiste, faites une planification financière personnalisée… et recommencez l’exercice régulièrement pour ajuster votre plan au fur et à mesure que les variables changent.

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