Chronique

Direction Cologne avec la comtesse

Encore grisés par le triomphe connu la veille à Dortmund, en Allemagne, les musiciens de l‘Orchestre Métropolitain ont mis le cap hier matin sur Cologne, là où le deuxième concert de leur tournée européenne était programmé (lire le compte rendu plus bas). Deux autocars ont transporté les 89 musiciens et leurs instruments vers cette ville devenue mondialement célèbre pour sa cathédrale, le monument le plus populaire en Allemagne.

De mon côté, j’ai eu la chance de faire le trajet en voiture en compagnie de Marie-Nicole Lemieux et Stéphane Tétreault. Disons d’emblée que nous n’avons pas tellement eu le temps de regarder le paysage. Les sujets de conversation n’ont pas manqué. Et les rires non plus. Déjà, dans le hall de l’hôtel, Marie-Nicole Lemieux, avant de passer un coup de fil à son conjoint et sa fille pour les réveiller, nous a dit qu’elle s’était levée en pensant à Patrick Bourgeois, le leader des BB décédé dimanche.

L’une des premières choses que la contralto a faites en mettant le pied hors du lit a été de créer une liste des meilleures chansons des BB sur son téléphone. En voiture, elle s’est mise à chanter Donne-moi ma chance. « Mais ma préférée, c’est Tu ne sauras jamais », nous a-t-elle dit. Celle qui avait triomphé la veille dans Les nuits de Berlioz en montrant toute l’intensité dramatique dont elle est capable aime la musique, toutes les musiques, sans préjugé, ni tabou.

« Chez mes parents, à Dolbeau, on se faisait des partys où tout le monde chantait. Il y avait toujours le concours de celui qui devait atteindre la note le plus haute. C’était toujours mon père qui gagnait. »

— Marie-Nicole Lemieux

« Encore aujourd’hui, on peut se faire des karaokés jusqu’à six heures du matin. J’adore quand mes frères font les Bee Gees. »

Pendant que Marie-Nicole Lemieux et moi poursuivons cette discussion à bâtons rompus, Stéphane Tétreault, plus réservé, écoute en souriant. Le jeune violoncelliste s’animera toutefois quand le sujet glissera sur les gens qui ont joué un rôle important dans leur carrière.

Pour Stéphane Tétreault, il s’agit sans l’ombre d’un doute de Yuli Turovsky. Le violoncelliste de 24 ans raconte comment, à l’âge de 9 ans, la directrice du programme de musique de l’école FACE où il était élève avait organisé cette rencontre.

« Quand Yuli Turovsky a ouvert la porte, j’ai vu qu’il était déçu de découvrir un petit garçon. Il ne voulait plus prendre de jeunes élèves. Il m’a finalement fait jouer un peu et il m’a dit qu’il allait me trouver un professeur. Je ne sais ce qui m’a pris, mais je lui ai dit que je voulais seulement étudier avec lui. »

Stéphane Tétreault a eu raison d’être tenace et audacieux. Cette relation maitre-élève a duré jusqu’à la mort du chef d’orchestre et fondateur d’I Musici, en 2013. Tétreault est aujourd’hui un virtuose qui enrichit de manière très adroite son répertoire. Au cours de la présente tournée, il interprète le Concerto pour violoncelle d’Elgar, une œuvre qu’il maitrise très bien, l’ayant interprétée il y a quelques années.

« On devrait enregistrer tous les deux, lui lance à brûle-pourpoint Marie-Nicole Lemieux. Tu pourrais faire le concerto et moi, le cycle Sea pictures d’Elgar. » « Quelle bonne idée ! », réplique Stéphane Tétreault.

Quand Marie-Nicole Lemieux se met à parler de sœur Clairette, une religieuse qui lui a enseigné le chant à Dolbeau, elle devient émotive. « Elle a été la première… [elle s’arrête, brisée par l’émotion]. Elle a été la première à croire en moi. » Cette femme, qui a dirigé celle qui a remporté le Concours Reine Élisabeth de Belgique alors qu’elle était petite, s’est éteinte en 2009, à l’âge de 89 ans. « Elle est morte en m’écoutant chanter, raconte Marie-Nicole Lemieux, les yeux pleins d’eau. Une autre religieuse m’a dit que sœur Clairette a demandé à ce que l’on fasse jouer le Stabat Mater de Vivaldi que j’ai enregistré et elle est partie doucement. »

Bien que quelques années les séparent, une grande complicité unit Stéphane Tétreault et Marie-Nicole Lemieux. Ils ont plusieurs choses en commun, à commencer par leur admiration pour Yannick Nézet-Séguin. « Il a le don de créer des ambiances de travail absolument incroyables, dit Marie-Nicole Lemieux au sujet du chef. On ne retrouve pas cela partout. » Stéphane Tétreault abonde dans le même sens.

Les deux me parlent de l’approche qu’adopte Nézet-Séguin avec les solistes. « Il va utiliser des expressions comme “J’ai une suggestion” pour nous parler, me disent-ils. Évidemment qu’on tient compte de sa suggestion. »

Outre Marie-Nicole Lemieux, Stéphane Tétreault, le chauffeur et moi, il y avait un autre personnage dans la voiture : la comtesse de Stainlein. Ce nom est celui du fameux violoncelle Stradivarius évalué à 6 millions de dollars qui est prêté à Stéphane Tétreault depuis 2012 pour une période indéterminée. Le précieux instrument, qui date de 310 ans, doit son nom à celle qui a été sa propriétaire durant le plus grand nombre d’années.

Un instrument d’une telle valeur est transporté avec beaucoup d’égards. Il est dans un étui conçu de manière à ce que l’instrument puisse « flotter ». Cela le met à l’abri des chocs et des secousses. J’étais évidemment curieux de savoir ce que ce violoncelle permet à Stéphane Tétreault de faire qu’il ne pourrait réaliser avec un autre instrument.

« Quand tu es musicien, il t’arrive de dire que tu aimerais obtenir telle ou telle couleur avec ton instrument et tu ne peux pas toujours. Avec cet instrument, tu peux avoir toutes les couleurs que tu désires. Bref, si ça ne sonne pas bien, c’est de ma faute, pas celle de l’instrument. »

— Stéphane Tétreault

Nous étions en train de parler de la fille de Marie-Nicole Lemieux, âgée de 10 ans, quand nous sommes entrés dans la ville de Cologne. « Ma fille aime bien me voir à l’opéra, mais moins en récital », a dit la chanteuse. Stéphane Tétreault, lui, songeait à la performance qu’il devait offrir. « Je ne suis pas nerveux, mais disons que j’ai très hâte de jouer. »

Aussitôt sortis de la voiture, les deux amis se sont pris en photo avec la cathédrale en arrière-plan. Il y avait peu de traces à ce moment-là des solistes-vedettes qu’ils sont, suscitant soir après soir les acclamations du public. Il n’y avait là que deux fanfarons qui avaient envie de profiter du moment présent en rigolant.

Yannick Nézet-Séguin m’a dit en entrevue la semaine dernière qu’il n’était pas du genre à se faire embêter par des gens compliqués et mesquins : « La vie est trop courte », m’a-t-il confié. Après un trajet Dortmund-Cologne avec Marie-Nicole Lemieux et Stéphane Tétreault, on a vite compris qu’avec eux aussi, la vie est trop courte pour être trop sérieux.

***

Autre soirée, autre programme et autre triomphe, hier, pour l’Orchestre métropolitain. La rencontre avec le public de Cologne a eu lieu au Kölner Philharmonie, une salle spacieuse de 2000 places construite en 1986. Précisons tout de suite que le deuxième programme que propose l’OM dans le cadre de cette tournée européenne est un peu plus exigeant que le premier.

Il ne fait cependant aucun doute que l’équipe de programmation du Kölner Philharmonie connaît très bien son public car celui-ci a fait preuve d’une étonnante ouverture face à Exil intérieur du compositeur québécois Éric Champagne. Reconnu pour ses « tonalités libres », le jeune homme, présent hier soir, a été chaudement applaudi.

Le Concerto pour la main gauche de Ravel, interprété par un Alexandre Tharaud très inspiré, a littéralement fait lever le public. Le pianiste a même dû offrir un rappel.

On peut affirmer que la soirée d’hier a été celle de Stéphane Tétreault. Son Concerto pour violoncelle d’Elgar a été un pur ravissement. Ce soliste ne joue pas l’OM, il est avec l’OM. Il est fascinant de voir qu’il ne quitte pas des yeux le chef et que, du regard, il cherche à établir un contact avec les autres musiciens, regardant tantôt à droite, tantôt derrière lui. Ne lâchant pas son célèbre instrument, Tétreault est venu saluer le public quatre fois, rien de moins.

Finalement, l’OM a offert son savoir-faire sur un plateau d’argent avec La mer de Debussy interprétée de façon magistrale. Yannick Nézet-Séguin me parlait samedi du rôle de cette tournée dans l’écoute collective de son orchestre. Le résultat se faisait déjà entendre dans l’interprétation fort réussie de cette œuvre.

Comme le public avait été aussi bon avec l’orchestre, celui-ci lui a offert en cadeau le « Nimrod » des Variations d’Elgar. Ce passage de l’œuvre du compositeur anglais devient, mine de rien, l’hymne symbolique de cette tournée.

Aujourd’hui, cap sur Amsterdam où l’Orchestre Métropolitain se produira demain soir. Je vous retrouve donc jeudi.

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