Venezuela

Les raisons de l’armée

Il y a un peu plus d’un an, le président Nicolás Maduro a donné les rênes de la PDVSA, la société pétrolière vénézuélienne, au général Manuel Quevedo. Au même moment, le capitaine José Vielma Mora a accédé au poste de ministre du Commerce extérieur. Tandis que le ministre de la Défense Vladimir Padrino a hérité d’une responsabilité cruciale : celle de la distribution alimentaire.

Ces nominations représentaient davantage qu’un simple changement bureaucratique. Aux yeux de plusieurs observateurs, elles complétaient la mainmise de l’armée sur les secteurs-clés de l’appareil d’État vénézuélien.

Depuis, 14 des 32 postes ministériels sont détenus par des militaires actifs ou à la retraite. Incluant le numéro 2 du régime, Diosdado Cabello, président de l’Assemblée constituante – instance formée par le régime vénézuélien pour neutraliser l’Assemblée nationale où les députés de l’opposition détiennent la majorité depuis les législatives de 2015.

« Des militaires se trouvent aujourd’hui à la tête de toutes les agences gouvernementales », dit David R. Mares, spécialiste de l’Amérique latine rattaché à l’Université de Californie à San Diego.

« Au Venezuela, de hauts gradés militaires dirigent les entreprises nationalisées, occupent des postes de ministre ou de diplomate. »

— Georges Bastin, professeur au département de linguistique de l’Université de Montréal, qui a vécu 25 ans dans ce pays

Cette mutation de l’appareil étatique vénézuélien date en fait de 2002, l’année du coup d’État raté contre l’ancien leader Hugo Chávez. Ce dernier avait par la suite entrepris une purge dans plusieurs instances de l’État, de l’industrie nationalisée du pétrole jusqu’au secteur alimentaire, où les militaires ont pris progressivement de plus en plus de place, signale Sébastien Dubé, spécialiste de l’Amérique latine à l’Universidad del Norte de Barranquilla, en Colombie.

Aujourd’hui, dit Sébastien Dubé, « l’armée est dans une logique de contrôle des ressources, de contrôle territorial et de distribution clientéliste » aux amis du régime.

peur de la justice

Ce contrôle des rouages des canaux de pouvoir, c’est aussi la voie d’accès à divers trafics. Manuel Quevedo, par exemple, est soupçonné de se livrer au commerce illicite et lucratif de l’essence – achetée à bas prix au Venezuela pour être massivement écoulée sur le marché noir de la Colombie voisine. Quant à Diosdado Cabello, il serait, selon le Wall Street Journal, dans la ligne de mire de la justice américaine pour trafic de drogue et blanchiment d’argent.

Ces ex-officiers de haut rang ou militaires toujours en poste n’ont pas intérêt à voir tomber le régime de Nicolás Maduro. D’abord, parce qu’ils risquent de perdre leurs sources de revenus, licites ou non. Ensuite, parce qu’en cas de changement de régime à Caracas, ils risquent d’atterrir devant la justice. Non seulement pour des histoires de corruption, mais aussi parce que l’ONU accuse les forces de sécurité vénézuéliennes de s’être livrées à des violations des droits de la personne, incluant des centaines d’exécutions extrajudiciaires.

loi d’amnistie ambiguë

Le président autoproclamé Juan Guaidó, qui poursuit son bras de fer avec le régime bolivarien, a bien offert l’amnistie à tous les collaborateurs de Nicolás Maduro, qu’il s’agisse de militaires ou de simples fonctionnaires.

Mais sa loi d’amnistie déposée devant l’Assemblée nationale reste ambiguë, signale Sébastien Dubé. Elle ouvre la porte à des poursuites pour des crimes contre l’humanité, par exemple. Rien pour inciter les officiers de haut rang du régime, potentiellement ciblés par de telles accusations, à changer d’allégeance.

La peur de la répression interne est un autre motif pour freiner les pulsions de révolte dans l’armée. Ce n’est pas pour rien que les défections surviennent surtout… à l’étranger. C’est ce qu’a fait notamment le colonel José Luis Silva, plus haut représentant militaire du Venezuela aux États-Unis, qui a annoncé sa rupture avec le régime dimanche dernier. Il a appelé ses collègues à suivre son exemple. Pour l’instant sans résultat.

« Les dirigeants de l’armée ont tout à perdre actuellement. »

— Sébastien Dubé, spécialiste de l’Amérique latine à l’Universidad del Norte de Barranquilla, en Colombie

Selon son analyse, dans ses appels au changement d’allégeance, Juan Guaidó vise surtout les rangs inférieurs, en espérant isoler le haut commandement.

David R. Mares pense que plusieurs militaires de haut rang restent fidèles aux idéaux de la révolution bolivarienne, qu’ils jugent plus importants que la démocratie. Sébastien Dubé ne partage pas cette analyse. Selon lui, « les dirigeants de l’armée ne sont pas prêts à mourir pour Maduro » et pensent surtout à protéger leurs intérêts. Dans cette hypothèse, ils pourraient être prêts à négocier leur départ vers une destination d’exil, vraisemblablement Cuba, s’ils sentent que le régime s’effondre et que leur départ peut se faire dans des conditions qu’ils jugeront acceptables.

L’opposition vénézuélienne a appelé à de nouvelles manifestations aujourd’hui. Si l’armée reste neutre et se garde d’intervenir avec force contre les protestataires, cela pourrait indiquer que le scénario d’une fin de régime négociée est déjà en marche.

Guaidó coincé au pays

La justice vénézuélienne a interdit hier à Juan Guaidó, qui s’est autoproclamé président, de quitter le pays, une riposte du président socialiste Nicolás Maduro face à cet opposant soutenu par les États-Unis. Objet d’une enquête préliminaire, notamment pour « des actions ayant porté atteinte à la paix de la République », le chef du Parlement de 35 ans est soumis à une « interdiction de sortir du pays sans autorisation jusqu’à la fin de l’enquête » et un « gel de [ses] comptes bancaires », a annoncé le président du Tribunal suprême de justice (TSJ), Maikel Moreno. Le TSJ, plus haute juridiction du Venezuela, est acquis au pouvoir, tous ses membres ayant été désignés par le chavisme. — Agence France-Presse

Le Groupe de Lima contre toute intervention militaire

Le Groupe de Lima est contre toute intervention militaire au Venezuela pour renverser le président Nicolás Maduro, a déclaré hier le ministre péruvien des Affaires étrangères, Néstor Popolizio. « En tant que Groupe de Lima, nous avons dit que nous ne soutenons aucune intervention militaire au Venezuela », a dit le ministre péruvien à la presse. Le Groupe de Lima, qui compte 14 pays dont des pays d’Amérique latine et le Canada, a été créé en août 2017 pour contribuer à une solution pacifique de la crise au Venezuela. Sa prise de position contre toute intervention militaire dans ce pays survient alors que les États-Unis, qui veulent que M. Maduro quitte le pouvoir, ont déclaré que « toutes les options sont sur la table ».  — Agence France-Presse

Les Vénézuéliens craignent de manquer d’essence

Après les pénuries de nourriture et de médicaments, le manque d’essence : les Vénézuéliens s’inquiétaient hier des nouvelles sanctions annoncées par les États-Unis contre la société pétrolière publique PDVSA pour accentuer la pression sur le président Nicolás Maduro. « Nous sommes habitués au fait que l’essence ne coûte rien et soit toujours disponible », explique Irene Mendez après avoir fait le plein de sa camionnette. La production de pétrole brut de PDVSA a chuté à 1,3 million de barils par jour, le plus bas niveau depuis 30 ans. Et comme le pétrole du Venezuela est lourd, Caracas doit en raffiner une partie aux États-Unis et aussi importer de l’essence de ce pays. — Agence France-Presse

La Russie risque de perdre un allié et des milliards

Avec l’étau qui se resserre sur Nicolás Maduro, la Russie pourrait perdre son principal allié en Amérique latine, ainsi que des milliards de dollars d’investissements dans les hydrocarbures et les armes. Si le président vénézuélien doit passer la main, elle risque de perdre un partenariat noué sous Hugo Chavez. Depuis, la Russie est devenue le deuxième créancier du Venezuela derrière la Chine. « Au départ, les accords avec la Russie étaient surtout militaires, avec de grosses commandes de tanks, de kalachnikovs, d’avions Soukhoï. La Russie a accordé des prêts pour financer ces achats [...]. Puis se sont tissés des liens dans le domaine du pétrole », a explique Serge Ollivier, historien spécialiste du Venezuela, enseignant-chercheur à l’Université Panthéon-Sorbonne à Paris.

— Agence France-Presse

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