Québec

Un catalyseur pour les opposants au maire Labeaume

Québec — En 10 ans à l’hôtel de ville de Québec, Régis Labeaume n’a pas souvent dû baisser pavillon. Le sauvetage du 400e anniversaire de Québec, en 2007, le Centre Vidéotron, le statut de capitale nationale, la réforme des fonds de retraite des employés municipaux, l’« empereur Régis », comme l’appellent parfois ses détracteurs, n’est pas habitué à se faire dire non.

L’abandon, il y a quelques jours, de son projet de SRB (système rapide par bus, un service linéaire sur une voie réservée), qui fait suite à l’abandon, il y a quelques années, du projet de tramway le ramène toutefois à son Waterloo : le développement d’un réseau de transports en commun moderne et efficace.

Le projet, qui avoisinait les 2 milliards, devait relier Québec et Lévis (en utilisant le pont de Québec), mais le maire de Lévis, Gilles Lehouillier, a récemment retiré ses billes, jugeant le projet trop cher et trop peu efficace pour ses concitoyens.

« Le maire de Lévis a subitement perdu la foi, et ça a coïncidé avec le débat sur le “troisième lien”, dit Régis Labeaume en entrevue à La Presse. Si j’avais eu un partenaire fiable l’autre bord du fleuve, ça aurait marché, mais il m’a lâché, et il sera réélu haut la main, voilà l’histoire. » 

« Alors, je recommence, je suis écœuré, mais je recommence. Il faut être patient dans ce métier-là, ça a l’air… »

— Régis Labeaume, maire de Québec

Le « troisième lien », c’est cette idée, qui revient de façon cyclique à Québec depuis 40 ans, d’ajouter une structure, pont ou tunnel, entre Québec et Lévis. Il est question, notamment, d’un tunnel à l’est, passant par l’Île d’Orléans, ou, plus simplement, d’un nouveau pont à l’ouest, près des ponts de Québec et Pierre-Laporte.

En cette année électorale municipale, le « troisième lien » est devenu le principal catalyseur des opposants de Régis Labeaume, en plus d’être l’élément central de joutes politiques intenses entre les partis politiques provinciaux.

Dans les médias de Québec, le dossier du « troisième lien » est omniprésent depuis des mois et il s’est transformé, à bien des égards, en une confrontation entre deux visions : développer les transports en commun ou favoriser l’utilisation de l’automobile.

« Le troisième lien, c’est sexy de parler de ça dans les médias, dit M. Labeaume. Tout le monde en parle, mais personne ne sait c’est quoi : on parle d’un tunnel à l’est, d’un pont à l’ouest… Je dis au gouvernement provincial : allez donc au fond des choses pour pas qu’on radote là-dessus pendant 20 ans encore. »

Québec a dégagé 20 millions pour un « bureau de projet du troisième lien », question de refaire les études. Il y avait aussi un bureau de projet pour le SRB, mais le maire Labeaume a décidé de mettre ce projet sur la glace et de relancer les consultations citoyennes, en excluant Lévis, cette fois.

De l’autre côté du fleuve, le maire Gilles Lehouillier se défend d’avoir fait dérailler le SRB pour favoriser le « troisième lien ». 

« Le SRB aurait coûté environ 600 millions à Lévis pour une augmentation de 2 % d’achalandage, ça ne valait tout simplement pas la peine. »

— Gilles Lehouillier, maire de Lévis

Régis Labeaume n’en démord pas : son homologue de Lévis a choisi le « troisième lien » au détriment du SRB pour des raisons électoralistes. « Le SRB, je n’ai pas pu l’expliquer, dit-il. Ça fait six mois que je sais que mon partenaire l’autre bord du fleuve va partir. Je ne pouvais pas faire la promotion du projet en sachant qu’il allait me lâcher, j’aurais eu l’air d’un cave. »

Le candidat du « troisième lien »

Le « troisième lien » a même enfanté de nouveaux opposants politiques à Régis Labeaume, comme Jean-François Gosselin, ex-député adéquiste de Jean-Lesage (il était de l’éphémère cohorte adéquiste de 2007 à 2008) et candidat libéral battu dans La Peltrie en 2012. M. Gosselin milite pour un « troisième lien », il en fait son principal cheval de bataille pour conquérir la mairie de Québec, et il rejette avec force le projet de SRB du maire Labeaume.

« L’hôtel de ville est en guerre contre les automobilistes, lance M. Gosselin. Le SRB, on n’en veut pas, on ne le prendra pas ! »

Le chef de Québec 21 accuse Régis Labeaume de vouloir « créer des bouchons artificiels pour forcer le monde à prendre l’autobus », de vouloir « créer des petits Plateau Mont-Royal un peu partout en ville » et « d’enlever des places de stationnement ».

« Allez voir sur le site de la Ville, reprend-il, on parle de “rues conviviales”, de rues vertes, d’élargir les trottoirs et d’enlever des places de stationnement… » 

« Pour moi, une rue conviviale, c’est une rue où je peux stationner mon auto. Même si c’est pour aller prendre une marche, je dois stationner mon auto. »

— Jean-François Gosselin, chef du parti municipal Québec 21

Dans les médias et dans le monde politique, on a surnommé Jean-François Gosselin le « candidat des radios », laissant entendre par là qu’il est l’instrument des puissants animateurs favorables au « troisième lien ».

« C’est sûr que je suis influencé par les médias, dont les radios, mais les médias reflètent l’opinion des gens de Québec. Et les gens de Québec n’en veulent pas, de SRB. »

Incontournables radios

Les radios, comme c’est toujours le cas à Québec lors de grands débats politiques, jouent en effet un rôle central. Récemment, chose rare et inusitée, Nathalie Normandeau, l’ex-ministre libérale devenue animatrice à BLVD FM, a même appelé en ondes les radios de Québec opposées au SRB à unir leur voix, ce qu’elle a réussi en grande partie.

En entrevue à La Presse, Mme Normandeau admet que « politiquement, ce qui est winner, c’est le “troisième lien” » et elle déplore le manque d’information et de leadership politique autour du projet de SRB.

Attablé devant un lunch frugal, dans son bureau de l’hôtel de ville, le maire Labeaume avale une gorgée de Pepsi et hausse les épaules de dépit en parlant de la fronde radiophonique.

« La radio, ça fait dix ans que je vis avec ça, lance-t-il. C’est assez simple : ils vont tout faire pour me battre. Ils ne veulent pas battre le SRB, ils veulent battre Labeaume. C’est payant pour eux, c’est des cotes d’écoute. C’est très payant d’alerter les automobilistes et de leur dire que quelqu’un a ourdi un plan maléfique pour leur faire perdre leur voiture. » 

« Quand ces gens-là sont dans leur auto, pris dans les embouteillages, tu scores ! C’est juste de la business. »

— Régis Labeaume, maire de Québec

Les écologistes, aussi, se font malmener sur les ondes.

« Jeff Fillion m’a traité de djihadiste écolo violent ! dit en riant Alexandre Turgeon, président du Conseil régional de l’environnement de la Capitale nationale. On nous traite aussi d’ “enverdeurs” et on nous accuse de vouloir “enfantdechienniser” les automobilistes ! Les radios sont parties en guerre contre le SRB et les politiciens de la région écoutent beaucoup trop la radio… »

Les partis dans la danse

Devant l’ampleur du débat, les partis politiques québécois doivent aussi prendre position, d’autant plus que la grande région de Québec constitue un important champ de bataille électoral et que les prochaines élections auront lieu dans moins de 18 mois.

Les libéraux se disent favorables au « troisième lien » et ils ont créé le bureau de projet pour faire des études. Des environnementalistes et des chercheurs qui ont eu récemment des contacts avec le gouvernement Couillard à ce sujet ont toutefois confié à La Presse qu’il n’y a pas de véritable volonté à Québec d’aller de l’avant avec un « troisième lien » et qu’on cherche seulement à gagner du temps.

La CAQ va beaucoup plus loin et fera de ce projet le point central de son programme électoral pour la région. Au PQ, on favorise d’abord le développement des transports collectifs, mais on ne s’oppose pas formellement au « troisième lien ».

Des questions sans réponse

« Ici, à Québec, on n’est pas habitué au trafic, dit Régis Labeaume. Mais Québec est une ville prospère et la prospérité, ça amène aussi du trafic sur les routes. Bien des gens dont les enfants vont au cégep ou à l’université se disent : Ti-pit va geler en attendant l’autobus pour aller à l’école, fait que je vais lui acheter un petit char ! C’est ça que ça fait, la prospérité. »

Ce débat vieux de 40 ans est reparti pour une nouvelle ronde, mais le maire Labeaume n’en démord pas : le développement économique de sa ville passe d’abord par les transports en commun. « Nous sommes devant une chance qui ne repassera pas : des infrastructures majeures et modernes payées à 100 % par Québec et Ottawa. Je ne quitterai pas la politique avant d’avoir réglé un système moderne, central, de transports en commun. Et je vais le faire dans le prochain mandat. »

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