Tchernobyl

LA BATAILLE DES BIOLOGISTES

Trente ans après l’accident nucléaire de la centrale ukrainienne de Tchernobyl, le 26 avril 1986, la plupart des revues médicales occidentales s’entendent pour dire que l’impact de la crise a été beaucoup moins apocalyptique que prévu.

À part chez les « liquidateurs » qui ont lutté contre l’incendie et ont été exposés de plein fouet aux radiations, Tchernobyl n’a pas eu d’impact important sur la population environnante, à l’exception des cancers pédiatriques de la thyroïde, facilement traitables en Occident, mais moins dans l’Union soviétique d’alors, selon Gerry Thomas, oncologue au Collège impérial de Londres, qui a supervisé le numéro spécial de la revue Clinical Oncology consacré aux 25 ans de l’accident, en 2011.

Mais en ce qui concerne la faune, le débat fait toujours rage. Une poignée de biologistes ont publié des études montrant un taux plus élevé que prévu de mutations génétiques chez les espèces de papillons, d’oiseaux et d’invertébrés marins habitant dans les zones les plus touchées par les radiations à Tchernobyl, et plus récemment près de la centrale de Fukushima, au Japon, touchée par un tsunami en mars 2011. D’autres biologistes affirment au contraire que la zone d’exclusion empêchant toute activité humaine autour de Tchernobyl a occasionné un foisonnement de la population animale.

« Il est très difficile de faire des analyses statistiques valides avec des populations de petits animaux », explique Ken Buesseler, océanographe à l’Institut océanographique Woods Hole, une prestigieuse ONG de recherche du Massachusetts, qui a mené plusieurs campagnes d’échantillonnage de la radiation dans les océans liée à l’accident de Fukushima. 

« J’ai cependant vu une étude sur les invertébrés près de Fukushima qui semble montrer que les effets surviennent à un seuil beaucoup plus bas que prévu. Le problème, c’est que les biologistes qui sont convaincus qu’il y a des effets sur les animaux à Tchernobyl et Fukushima s’associent souvent avec les militants antinucléaires. »

— Ken Buesseler, océanographe à l’Institut océanographique Woods Hole

M. Buesseler se souvient notamment d’une conférence à New York en 2014, où il avait été invité. « Juste après moi, il y a eu un conférencier qui a affirmé que 1000 nouveau-nés mourraient en Californie à cause de la radiation de Fukushima. Les gens l’ont applaudi longuement. C’est absurde. Même au pire de la contamination de Fukushima, se baigner en Californie ne donnait qu’un millième de la radiation qu’on a avec une radiographie chez le dentiste. »

Cela dit, les amateurs de théories du complot sont alimentés par les réticences des scientifiques japonais à participer aux études montrant les problèmes aigus survenus juste après mars 2011 à Fukushima. « Les chercheurs japonais qui travaillent pour le gouvernement semblent avoir des pressions de leurs supérieurs quand vient le temps de participer à des publications scientifiques, dit M. Buesseler. On voit ça aussi aux États-Unis, mais moins fort. Cela dit, le gouvernement japonais a toujours été transparent avec les données de Fukushima. Je ne crois pas que les impacts sur la santé humaine soient cachés, ni au Japon ni en Ukraine. » 

« Même avec les survivants d’Hiroshima et Nagasaki, les impacts à long terme ont été beaucoup moins importants que ce qu’on pourrait penser, ajoute-t-il. Mais il est certain que le secret en URSS et les réticences du Japon, jumelés à la difficulté d’avoir du financement public de recherche pour les impacts sur la faune à Tchernobyl et à Fukushima, alimentent les théories de la conspiration. »

Timothy Mousseau, biologiste de l’Université de Caroline-du-Nord qui a participé à la conférence de 2014 à New York, est l’une des voix les plus fortes pour dénoncer les impacts sur la faune des accidents de Tchernobyl et de Fukushima. « Les rapports des revues scientifiques et des organismes internationaux passent sous silence, à ma grande surprise, l’ampleur des résultats sur les impacts de ces deux accidents sur la faune, dit M. Mousseau. Nous avons eu à peine une mention dans le dernier rapport du Comité des Nations unies sur les effets de l’énergie atomique, l’été dernier. Je pense qu’inévitablement, la communauté scientifique va finir par entendre raison et prendre acte de nos travaux. »

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