Enjeux

Mon corps dans tous ses états

Parfois, j’accepte mon corps tel qu’il est ; lui qui m’est si fidèle depuis le début et ne m’a jamais vraiment lâchée. En somme, il est le meilleur des alliés que j’aie pu avoir de toute ma vie. Et pourtant, je lui en ai fait voir de toutes les couleurs !

Pendant une période de mon enfance, je me suis coupée de lui, en pensant inconsciemment que les souffrances dont j’étais témoin ainsi que celles qui m’affligeaient seraient moindres si je ne me permettais pas d’éprouver tout ce spectre des émotions qui me traversaient. À ce moment-là, j’ai donc appris à mon cerveau à ne pas trop ressentir et à rester dans l’action. Étais-je plus heureuse ? Non.

À l’adolescence, période de grande vulnérabilité pour la plupart d’entre nous, quoi de mieux que de faire partie d’un groupe élite de danse, pour entrer dans le monde de la compétition et des comparaisons : « Celle-ci est meilleure que moi, la prof la place toujours en avant ; celle-ci réussit mieux ses pirouettes, ça doit être parce qu’elle est plus petite ; je ne dois pas manger trop si je veux que la prof me choisisse pour un duo. »

Le monde des troubles alimentaires effleura ma vie et me donna l’impression de contrôler ce qui m’arrivait, en plus de me donner illusoirement raison, car plus je mincissais, plus j’obtenais les compliments de ma professeure de danse. Je finis ainsi par obtenir la place sur la première ligne de la chorégraphie en plus de ce duo tant attendu. Mon ego était tellement satisfait…

Étais-je davantage en contact avec moi-même ? Pas vraiment…

En tant que jeune adulte, je continuais de recevoir des éloges et on me prenait parfois pour un mannequin quand je déambulais sur la rue. Je peux dire sans prétention que je correspondais à des standards de mode, étant grande et mince. J’étais célibataire et sans enfant et une bonne partie de mon temps était consacrée à l’alimentation et à l’entraînement physique, ce qui contribuait à la cause.

Je pouvais assez facilement fréquenter les hommes que j’avais dans ma mire, car je représentais pour eux un appât de choix. Ce n’était pas difficile pour moi de « garder la ligne », car j’avais du temps à y consacrer. Je développais ma vie professionnelle et récoltais les succès… Avais-je une réelle confiance en moi ? Je le croyais à ce moment-là, mais avec le recul, je peux dire que je ne le ressentais pas profondément…

MATERNITÉ

Un jour, au moment où je pensais abandonner ma vie amoureuse, l’homme de ma vie vint sonner à ma porte et tout déboula sereinement pour moi, pour nous : projets de vie, cohabitation, mariage, bébé en route. Enceinte, je me permis de mieux écouter mon corps et de manger ce qui me plaisait, du melon d’eau à la crème glacée, en passant par le jus de pamplemousse blanc...

Je pris du poids et étais en paix avec cela. De façon générale, le regard des autres me confirmait ce droit à l’abondance et à la plénitude. J’avais une bonne raison « aux yeux de la société » d’être ronde comme un ballon… je portais la vie ! Étais-je en harmonie ? Sincèrement, à part le le fait que je suis une de celles qui n’ont pas toujours aimé être enceintes, je peux dire que mon corps était en équilibre.

Une fois bébé arrivé, la pression de perdre ce poids de grossesse ressurgit en moi et autour de moi assez rapidement. Je n’avais maintenant plus d’excuses « valables » pour porter cet excédent. Les commentaires désobligeants ou les regards qui veulent tout dire fusaient de temps à autre, assez pour être empreints de sens ou du moins leur en prêtais-je. Je devais perdre du poids.

J’essayais tant bien que mal de m’y prendre comme avant, en faisant attention à ce que je mangeais et en faisant du sport. Mais les livres s’accrochaient à moi telle une moule à son rocher. Face à ce constat, je décidai de consulter une nutritionniste. J’appris plein de choses (entre autres que je ne mangeais parfois pas assez) et perdis tellement de gras que je retrouvai le look de mes 20 ans… J’étais fière de cet accomplissement, mais ressentais tout de même souvent la faim. Mon ego était-il contenté ? Ah que oui !

ESSOUFFLEMENT

Mais le feu roulant de la vie, de la routine familiale, des obligations professionnelles et j’en passe, rendait difficile cette gestion d’un programme alimentaire strict et d’exercices quotidiens intenses. J’étais devenue essoufflée de ce contrôle constant et le relâchais peu à peu.

Par moments, j’avais envie de croquer des chips et de sentir le sel se répandre dans ma bouche et de m’en délecter sans culpabilité. D’autres fois, c’était les couleurs et la fraîcheur des fruits et des légumes qui m’interpellaient davantage. Certains jours, j’avais envie de faire du jogging avec mon chien tandis que d’autres fois, c’était le yoga et la méditation qui apaisaient mon corps et mon esprit.

Certes, je repris alors le poids perdu, mais je décidai de moins m’en préoccuper.

Je poursuivis plutôt un travail de prise de conscience de ce qui est réellement important pour moi, c’est-à-dire la santé et le bien-être. Toutefois, le paradoxe demeure. Malgré les efforts de sensibilisation à la diversité corporelle, il est difficile de ne pas se préoccuper de l’image et d’échapper à la pression persistante du modèle social qui nous entoure.

STANDARDS DE MINCEUR 

Certes, l’âge apporte des changements reliés à l’apparence corporelle, mais il reste que même plus jeune et assez « privilégiée par la nature », j’ai trop longtemps ressenti cette obligation de me plier à certains standards de minceur.

Plusieurs diront que cette décision de se conformer ou non est personnelle, mais vivons-nous vraiment dans un contexte favorable à cette responsabilisation ? Finalement, faut-il que ce soit la sagesse accumulée au cours des années et la gratitude d’être en vie et en santé, épargné des maladies qui affectent nos proches, qui nous permettent de nous libérer de cette pression sociale, de ce moule standard de corps stéréotypé ?

En yoga, Parinamavada signifie « tout est changement ». Oui, visons la santé et l’équilibre, mais permettons réellement à nos corps de changer selon les saisons de l’année et celles de nos vies.

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