France

Les connexions russes du Front national

L’ombre de la Russie planera-t-elle aussi sur les élections françaises ? Après une présidentielle américaine au terme de laquelle l’ampleur de l’ingérence russe a fait l’objet d’une enquête, les liens entre Moscou et le Front national (FN), le parti d’extrême droite, suscitent des inquiétudes. Quels sont les éléments qui font sourciller les observateurs politiques ?

Des banques russes prêtent au Front national

L’alerte est lancée à Washington. En novembre, dans une lettre adressée au directeur du renseignement – dont l’existence a été révélée par l’hebdomadaire Le Canard enchaîné –, le représentant au Congrès Mike Turner demande la tenue d’une enquête sur la nature des liens entre Marine Le Pen et Vladimir Poutine. L’élu américain s’inquiète des démarches entreprises par le Front national auprès de banques russes – pour l’instant infructueuses – afin d’obtenir un prêt de quelque 30 millions d’euros en vue des élections présidentielle et législatives qui auront lieu au printemps. M. Turner évoque un engagement de la présidente du Front national à reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie. Une banque moscovite a par ailleurs déjà accordé un prêt de 9 millions d’euros au FN en 2014. La formation admet solliciter des fonds à l’étranger, notamment en Russie, après avoir essuyé un refus de la part de l’ensemble des banques françaises.

Les médias russes font l’éloge de Marine Le Pen

Les liens entre le FN et la Russie « vont au-delà des questions financières », souligne en entrevue Alina Polyakova, analyste à l’Atlantic Council, institut de recherche politique établi à Washington. « Le Front national appuie très fortement les positions russes en matière de politique étrangère. » L’hostilité envers l’Union européenne (UE) et le soutien à la politique de Moscou en Ukraine sont cités à titre d’exemples par la spécialiste des partis d’extrême droite européens. Marine Le Pen s’est rendue à au moins trois reprises à Moscou depuis 2013 et a été reçue par le président de la Douma. « La Russie a ses politiciens préférés en Europe. Elle les soutient et, en retour, ils se montrent loyaux », souligne au bout du fil Petras Austrevicius, député lituanien au Parlement européen. La présidente du FN est de plus devenue « la coqueluche des médias russes », selon Mme Polyakova. « Elle est présentée comme une leader occidentale qui affirme que ce que fait Poutine est juste. »

Le Front national a boudé un séminaire sur les cyberattaques

Les démarches du FN auprès de la Russie surviennent dans un contexte où les services de renseignement français redoutent une répétition du scénario de l’ingérence russe dans la campagne américaine. « Il y a des craintes en France que des tactiques similaires à celles observées aux États-Unis ne soient utilisées », affirme de son côté Fredrik Wesslau, analyste au l’European Council on Foreign Relations (ECFR), établi à Bruxelles. En octobre, les services de sécurité nationale ont organisé un séminaire pour sensibiliser les partis aux risques de cyberattaques à caractère politique. Seul le Front national a décliné l’invitation. Du côté de l’Allemagne, les autorités ont fait des mises en garde semblables, mettant en cause la Russie, en vue des élections qui auront lieu en septembre. M. Austrevicius est convaincu que les élections à venir en Europe seront la « cible de campagnes de désinformation en provenance de la Russie ».

D’autres formations populistes sont liées à la Russie

Si le Front national est le seul parti d’extrême droite « à admettre publiquement avoir des liens financiers avec un auxiliaire du gouvernement russe », Moscou entretient « un réseau de relations » avec des formations populistes partout en Europe, souligne Mme Polyakova. L’UKIP au Royaume-Uni, la Ligue du Nord en Italie, l’AfD en Allemagne… Ces partis soutiennent tous à des degrés divers les positions du Kremlin en matière de relations internationales. L’hostilité de la majorité d’entre eux à l’Union européenne plaît aussi à Moscou. « Si l’Europe est divisée, la Russie devient le partenaire dominant dans ses relations avec la majorité des États », explique M. Wesslau. Une étude portant sur 45 partis populistes européens réalisée l’an dernier par l’ECFR révélait que la plupart souhaitaient la fin des sanctions imposées à la Russie dans la foulée de l’annexion de la Crimée et que seulement un tiers soutiennent l’adhésion éventuelle de l’Ukraine à l’Union européenne.

La Russie veut gagner en influence

En plus de cultiver le soutien de formations populistes, la Russie mène une « guerre de l’information » afin de faire prévaloir sa vision du monde en Europe, soutient Petras Austrevicius. Le phénomène, qui prendrait de l’ampleur depuis quelques années, a fait l’objet d’une résolution du Parlement européen condamnant la propagande anti-Union européenne, adoptée en novembre. La démarche ne vise pas exclusivement Moscou, mais « nous ne pouvons nier que la Russie tente de gagner en influence par la désinformation », affirme en entrevue l’eurodéputé autrichien Eugen Freund, qui, comme M. Austrevicius, a pris part à la rédaction de la résolution. Les réseaux sociaux, des sites internet et des chaînes de télévision seraient utilisés comme outils de « désinformation ». « Si nous croyons que les informations en provenance des médias russes sont basées sur l’objectivité, sur les faits, nous faisons erreur, soutient M. Austrevicius. Nous vivons dans des mondes différents. »

— Avec Foreign Policy, France 24, Le Monde et Le Parisien

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