Chronique Lysiane Gagnon

JUSTIN TRUDEAU ET L’AFFAIRE SNC-LAVALIN Un peu d’autorité, s’il vous plaît !

Le premier ministre Trudeau n’a rien à se reprocher dans le dossier SNC-Lavalin. Rien non plus à se reprocher par rapport à Jody Wilson-Raybould. 

Et pourtant, deux mois après le début de ce faux scandale, le voilà jeté à terre, houspillé par les commentateurs torontois, voire menacé de perdre les prochaines élections… alors qu’au début de l’année, personne n’aurait parié une pièce de 10 cents sur Andrew Scheer !

Comment a-t-il pu en arriver là ? Comment a-t-il pu se faire piéger par les manœuvres d’une ex-ministre manifestement résolue à se venger d’avoir été congédiée du ministère de la Justice ? Hélas, c’est dans son miroir que se trouve la réponse. 

N’importe lequel de ses prédécesseurs – de Mulroney à Harper en passant par Chrétien et à commencer, bien sûr, par son propre père – aurait réglé cette affaire en quelques jours.

Même Paul Martin, un homme moins résolu qui vouait un véritable culte à la cause autochtone, aurait coupé court à la crise. 

L’erreur initiale de Justin Trudeau a été de se laisser envoûter par les symboles et le spectaculaire. C’était en effet un beau coup d’éclat de nommer une femme autochtone au poste le plus prestigieux du cabinet ! Il aurait été utile, cependant, de se demander si l’heureuse élue avait les qualifications et la mentalité nécessaires à la fonction. À l’évidence, ce n’était pas le cas. 

Le passage de Jody Wilson-Raybould au ministère de la Justice a été marqué par un roulement inhabituel de personnel, d’impardonnables lenteurs administratives et des tensions incessantes à propos des dossiers autochtones qu’elle privilégiait au détriment du reste. 

Dès que sa décision concernant SNC-Lavalin a suscité en haut lieu des interrogations parfaitement légitimes, compte tenu des risques énormes que comportait un procès, elle a commencé à monter le dossier qu’elle (ou un proche) allait plus tard balancer au Globe and Mail, après avoir été évincée d’un ministère qui, semblait-elle croire, lui revenait de droit divin. Elle a mené son affaire avec un sens de l’éthique discutable : que penseriez-vous d’un collègue qui, lors d’une discussion sur un sujet délicat, vous enregistre à votre insu ? 

Or, durant la crise qui a suivi, M. Trudeau a donné le lamentable spectacle d’un homme ballotté par les événements, incapable même de défendre son entourage contre les coups de boutoir de Mme Wilson-Raybould et de ses alliés. Il y a perdu à la fois son bras droit Gerald Butts, son irremplaçable éminence grise, et le patron de la fonction publique, un grand mandarin qui servait bien le pays depuis des décennies. Tous deux ont quitté le bateau pour des motifs mystérieux, peut-être simplement par exaspération. 

Justin Trudeau, l’ultraféministe qui rêvait d’une grande réconciliation avec les Premières Nations, a semblé du début à la fin tétanisé du fait qu’il faisait face à une femme autochtone… comme si une femme devait être traitée différemment d’un homme sur le plan professionnel, et comme si le fait d’être autochtone vous rendait intouchable. 

Au début de la crise, il est même allé jusqu’à s’excuser auprès de l’instigatrice de la crise… pour des propos qu’il n’avait pas tenus lui-même ! (Des libéraux avaient pris l’initiative d’ébruiter dans les médias les multiples failles de Mme Wilson-Raybould)

L’autoflagellation s’est poursuivie pendant des semaines, et sur d’autres sujets, à l’occasion de ces cérémonies mémorielles dont M. Trudeau est particulièrement friand. Résultat, les apparitions publiques de M. Trudeau nous l’ont montré le plus souvent les larmes aux yeux ou le regard dans le vague, bredouillant des explications incohérentes et en train de s’excuser pour ceci ou cela. 

Et pendant tout ce temps, Mme Wilson-Raybould restait membre de la députation libérale, même après avoir indiqué clairement son mépris pour le chef du parti ! 

Selon le Toronto Star, M. Trudeau aurait même discuté en privé des conditions d’une réconciliation avec la députée rebelle… qui exigeait alors non seulement des excuses publiques, mais le renvoi de trois membres de l’entourage du premier ministre, de même que l’assurance que le nouveau procureur général, David Lametti, n’infirmerait pas sa décision sur SNC-Lavalin ! 

Si cela est vrai, l’arrogance de Mme Wilson-Raybould ne connaissait pas de bornes. Mais le vrai problème, c’est que M. Trudeau se soit prêté à pareil exercice. On dit que ces « négociations » se seraient étirées sur des semaines ! Comment M. Trudeau a-t-il pu accepter de se laisser ainsi humilier par une députée résolue à avoir sa peau et à faire couler son parti ? 

On sait que Justin Trudeau déteste les conflits et qu’il est assez adepte des théories nouvelâgeuses selon lesquelles tout se règle avec de bons sentiments, mais enfin ! Qui aurait cru que cet homme qui a tout de même réussi à devenir premier ministre se serait laissé intimider à ce point ?

Finalement, M. Trudeau a laissé la situation pourrir jusqu’à ce que les députés, dégoûtés par la fronde de leur collègue et terrifiés par la dégringolade de leur parti dans les sondages, menacent de passer eux-mêmes à l’action. 

Ce qui nuira à M. Trudeau, dans les semaines à venir, n’est pas l’affaire SNC-Lavalin. Ce n’est pas non plus le fait qu’il ait expulsé du parti une militante autochtone. Mme Wilson-Raybould est d’ailleurs loin de faire l’unanimité parmi les Premières Nations.

Ce qui lui nuira, c’est l’image qu’il a projetée : celle d’un premier ministre dépourvu d’autorité politique, incapable de s’affirmer dans une affaire où il n’était même pas en faute. 

M. Trudeau a joué la carte du charme pour se faire élire une première fois, mais la deuxième fois, il lui faudra apporter un peu de gravitas à sa fonction. Il ne lui reste que quelques mois pour se présenter comme un premier ministre digne de ce nom.

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