Éditorial Uber

Pour ne pas se faire mener en auto

Québec ne peut pas se contenter d’appliquer ses lois et règlements avec le plus de rigidité possible en espérant que ceux-ci aient raison de ce mode de transport

Essayer de trancher la chicane qui oppose les chauffeurs de taxi à la société californienne Uber Technologies uniquement en fonction de ces deux parties serait une grave erreur. Il faut tenir compte des individus qui fournissent et consomment ces services, et des intérêts de l’ensemble de la population.

La division québécoise d’Uber se réjouit du changement de ton adopté par Philippe Couillard en fin de semaine. « On est content que ça soit fait », a commenté son directeur général, Jean-Nicolas Guillemette, en entrevue éditoriale avec La Presse hier.

Réagissant à une résolution de la commission jeunesse de son parti, le premier ministre a entrouvert la porte à un encadrement réglementaire d’UberX, un système qui permet à des particuliers d’offrir des services de chauffeur avec leur propre véhicule. Un changement de ton bienvenu par rapport à la position affichée jusqu’ici par le ministre des Transports Robert Poëti, pour qui il s’agit d’une forme de transport illégal à éradiquer. Québec ne peut pas se contenter d’appliquer ses lois et règlements avec le plus de rigidité possible en espérant que ceux-ci aient raison de ce mode de transport. Ses adeptes n’y renonceront pas si facilement, d’autant qu’Uber ne lâchera pas le morceau et que d’autres, comme Lyft, viendront derrière.

Cela dit, il ne faut pas être dupe. Arrêtons de parler d’économie du partage, un terme auréolé d’angélisme qui n’a rien à voir avec la réalité d’Uber (évaluée à plus de 50 milliards de dollars américains à sa dernière ronde de financement) ou de ses concurrentes.

Et rappelons-nous que lorsqu’une société comme celle-là demande à être réglementée, c’est la légitimité et non les contraintes qui l’intéresse.

Québec doit trouver une manière de composer avec le covoiturage à but lucratif parce qu’il s’agit d’une activité en croissance. Mais il ne peut pas le faire seulement en fonction des plaintes de l’industrie du taxi ou des propositions du premier arrivant dans le marché.

L’intérêt pour UberX montre qu’une partie des consommateurs sont prêts à se passer de certaines normes imposées aux taxis (constance dans les tarifs, permis de conduire particulier, etc.) en échange d’autres avantages (commande et paiement par cellulaire, notation du chauffeur, etc.) et que des individus sont disposés à offrir ce service. Cependant, la future réglementation ne doit pas se contenter de répondre aux intérêts de ces particuliers-là non plus.

La perception des taxes et des impôts est sans doute le plus gros problème du laisser-aller actuel. Et dans un endroit comme le Québec, où l’on dépend de ces revenus pour financer les services publics, c’est un problème qui concerne l’ensemble de la population.

Uber dit qu’elle est prête à fournir au fisc un relevé des revenus encaissés par chacun de ses chauffeurs, comme elle le fait en certains endroits aux États-Unis. C’est un minimum pour favoriser la déclaration, et la vérification, de ces revenus de travail autonome.

Le cas de la TPS et de la TVQ s’annonce plus épineux. Selon Uber, les chauffeurs en sont les seuls responsables puisqu’ils sont travailleurs autonomes. Le hic, c’est qu’elle ne leur permet pas de percevoir ces taxes ! L’entreprise, qui contrôle les tarifs, refuse de les ajouter au montant de la course. Selon elle, ce serait aux chauffeurs de reverser une partie de la somme en taxes. Et encore, pas tous les chauffeurs, puisque seuls les particuliers qui font au moins 30 000 $ de revenus de travail autonome doivent s’inscrire aux fichiers de TPS et de TVQ.

Les taxes seraient donc perçues seulement sur l’argent qui revient au chauffeur (80 % du montant de la course), et beaucoup de transactions y échapperaient puisque, justement, plusieurs chauffeurs œuvrent à temps très partiel. Un traitement inéquitable par rapport aux trajets en taxi (et à de nombreux autres services) qui sont systématiquement taxés. Et une grande perte de revenus pour les gouvernements.

Ce ne sont que quelques exemples ; d’autres problèmes vont ressortir à l’usage. L’encadrement du covoiturage à but lucratif exige une réflexion en profondeur.

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