ENTREVUE AVEC LE MAIRE CODERRE

« C’est fini, le temps où Montréal jouait à la victime ! »

Montréal est en ébullition. Rarement a-t-on vu autant de chantiers. Un nouvel élan est donné à la métropole, qui en avait bien besoin. Alors que cette effervescence bat son plein, le maire Denis Coderre parle de la vision d’avenir qu’il a pour sa ville.

« Bon, qu’est-ce que tu veux savoir ? », m’a lancé Denis Coderre avant même de s’installer sur l’un des tabourets du Salon urbain de la Place des Arts où avait lieu notre rencontre. Je voulais savoir plein de choses. Je voulais connaître sa vision de Montréal alors que la ville connaît un renouveau sans précédent. Je voulais en apprendre plus sur son modèle d’inspiration. Je voulais aussi savoir comment il arrivait à voir clair dans tout cela.

« Ce que j’ai tenté de faire dès mon arrivée, c’est de ramener la fierté. Il faut se le dire, nous avions vécu une période extrêmement difficile. Il y avait une crise de confiance. J’ai regardé les différentes composantes de Montréal. C’est une ville culturelle, c’est une ville du savoir, une ville portuaire. Elle est innovatrice. J’ai pris tout cela et j’ai créé un trait d’union entre tout cela. »

« Trait d’union », ce terme revient souvent dans la bouche de Denis Coderre. Celui qui tient les rênes de la ville depuis deux ans et demi a une sainte horreur des vases clos et craint plus que tout de passer pour celui qui veut agir seul.

« Je répète souvent : “Tout seul, on va plus vite, mais ensemble, on va plus loin !” Les gens disent : “Il est partout ! Il travaille !” Oui, mais un chef d’orchestre seul, avec une baguette, ça ne donne pas grand-chose. »

— Denis Coderre

« Un chef devant un orchestre, ça donne une symphonie. Il faut prendre tous les joueurs et créer un environnement propice à la création. Jean Drapeau disait sans cesse qu’il fallait donner son 100 %. Mais ça, c’est 10 % d’inspiration et 90 % de transpiration. »

Rapprocher les principaux acteurs, tant du secteur public que du secteur privé, et recoller les morceaux de cette ville qui venait de voler en éclats, tel a été le moteur de Denis Coderre lors de son arrivée, en novembre 2013. « On a souvent dit que Montréal était la ville aux 100 clochers. Aujourd’hui, sa force passe par ses districts. On a créé des arrondissements, bien il faut composer avec cela. Il y a une réorganisation à faire. Chaque quartier a sa force, a sa raison d’être. Ce qui était un casse-tête est devenu un portrait. »

LE SCULPTEUR DEVANT SON BLOC DE MARBRE

Âgé de 52 ans, Denis Coderre croit que son expérience de ministre et de député fédéral lui sert énormément comme maire. Elle lui permet d’avoir un regard frais et une vision globale des choses. « Je vois ça comme un sculpteur devant son bloc de marbre. Je viens d’un autre milieu. J’ai une perspective beaucoup plus macro que micro. J’ai un recul qui me permet d’avoir une vue d’ensemble. Il faut aussi voir les tendances venir. J’ai lancé certains réaménagements qui vont redéfinir Griffintown, le Vieux-Montréal et le centre-ville. Il y a aussi la réorganisation du square Viger. Il y a une complémentarité qui s’installe. Moi, je vois le résultat de tout cela. »

Denis Coderre est né à Saint-Alphonse-Rodriguez, mais c’est à Montréal-Nord qu’il a vécu toute sa jeunesse. Son amour pour la métropole est inébranlable. Il le rappelle constamment. « On dit toujours qu’il faut savoir d’où on vient et qui nous sommes. De plus en plus, je me rends compte à quel point l’âme de Montréal est très forte. On le voit bien. Ça ressort beaucoup. On ne se cache plus pour dire qu’on vient de Montréal. Les gens croient en eux. Sur la scène internationale, je le vois, il y a un boum exceptionnel. C’est le principe du “Think global, act local”. »

La réputation de batailleur et de fonceur de Denis Coderre est bien connue. C’est un leader-né. Mais ceux qui travaillent étroitement avec lui vous le diront : une fois qu’il a accordé sa confiance et qu’il a le sentiment que sa vision est comprise et acceptée, il laisse travailler les gens. « Oui, je suis le chef d’orchestre, mais il y a aussi des gens autour de moi qui gèrent les choses. Prenez le Quartier des spectacles. Il y a maintenant toute une équipe en place qui fait rouler ça. Oui, ça prend une locomotive, mais ça prend des wagons. »

RETOUR DES CITOYENS AU CENTRE-VILLE

Les années 90 ont été difficiles pour le centre-ville de Montréal. Si le milieu des affaires a adopté le cœur de la ville, les citoyens l’ont fui. La nouvelle administration et celle qui l’a précédée ont contribué à ramener les habitants. Au cours des cinq dernières années, des milliers de logements ont été conçus. « Je sens un regain, une soif de revenir à Montréal. Des projets structurants comme le réseau électrique métropolitain, le SLR, le projet de la ville intelligente et la création de nouveaux espaces urbains contribuent à cela. Si tu veux être fort économiquement, si tu veux qu’une ville joue son rôle de métropole, tu as besoin d’un centre-ville fort. »

Des quartiers qui s’étaient endormis avec le temps connaissent un renouveau. Denis Coderre cite les exemples d’Hochelaga-Maisonneuve, Griffintown, Rosemont, Villeray.

« Mon rôle à moi est de créer la rétention. Faut pas juste dire : “Venez-vous-en !” Il faut faciliter la vie des citoyens. Et voir comment les gens s’approprient leur quartier me réjouit au plus haut point. »

— Denis Coderre

Un tel bouleversement ne peut se faire sans générer un impact social. Plusieurs ont remarqué que la faune défavorisée qui gravitait près de l’axe Sainte-Catherine/Saint-Laurent a quitté l’ancien Red Light. Elle s’est dispersée et a glissé, en partie, vers l’est de la ville, notamment dans le Village gai. Denis Coderre croit que la création des Jardins Gamelin, dans le parc Émilie-Gamelin, va contribuer à redonner à ce secteur la joie de vivre qu’il avait perdue.

« On ne peut pas parler de développement économique sans parler de développement social. Il doit y avoir une mixité. Il faut qu’il y ait du logement social, une stratégie familiale. Ce n’est pas un “one size fits all”. Si tu veux attirer des familles, ça prend des écoles », dit-il tout en précisant que Richard Bergeron travaille à développer une stratégie pour le centre-ville. « On va s’intéresser aux immeubles excédentaires. Qu’est-ce qu’on fait avec ça ? On a besoin de centres communautaires, de bibliothèques, de milieux de vie, de logements abordables. »

PATIENCE ET SACRIFICES

Les responsables des travaux publics de la Ville ont annoncé l’hiver dernier qu’environ 400 chantiers seraient mis en branle d’ici à l’automne. Les cônes orange ont poussé par milliers au cours des dernières semaines. Outre les titanesques travaux d’infrastructures souterraines et les projets immobiliers qui poussent comme des champignons, il y a les projets spéciaux liés au 375e anniversaire de Montréal qui aura lieu l’an prochain. Ces travaux causent de sérieux problèmes de circulation et font damner les automobilistes.

« C’est sûr que tout cela implique des sacrifices. On vante le Big Dig de Boston, mais on oublie que ça a pris 10 ans à construire. Il faut se dire que tout cela prend du temps. Je pense que depuis deux ans et demi, il y a quand même beaucoup de choses qui ont été faites. Je pense honnêtement que, dans mon langage, dans deux ou trois ans, la ville va être écœurante. Pour moi, le 375e anniversaire de Montréal, c’est le début d’un chapitre exceptionnel. On passe à autre chose. On se dit que c’est fini, l’autoflagellation et le temps où Montréal jouait à la victime. On a eu des problèmes dans le passé, mais là, on regarde en avant. »

Les prochaines années seront marquantes pour Montréal. Avec les transformations liées à Expo 67 et aux Jeux olympiques, celle qui s’opère en ce moment sera l’une des plus remarquables. « Montréal se fait belle. Montréal se donne les outils pour changer. En 2017, il va y avoir tellement d’événements. Et en 2018, il y aura d’autres chantiers. C’est le prix à payer. On est une métropole, on est une ville internationale, on est un point de chute exceptionnel, un carrefour, c’est l’Europe en Amérique. »

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