Médecine hyperbare et paralysie cérébrale

« On veut tout mettre en œuvre pour Éloïse »

Éloïse, 8 mois, est atteinte de paralysie cérébrale. C’est peut-être parce que la poussée, pendant l’accouchement, a duré trois heures. C’est peut-être aussi en raison d’une infection au liquide amniotique. Quoi qu’il en soit, lorsqu’elle est née, Éloïse avait des convulsions néonatales. Des examens ont révélé la présence de lésions au cerveau, de modérées à graves.

Les parents veulent faire tout ce qu’il y a en leur pouvoir pour permettre à leur fille unique de se développer au meilleur de son potentiel. « On veut tout mettre en œuvre pour ne pas avoir de regrets plus tard », nous a dit Mélyssa Dubois, que nous avons rencontrée avec sa petite famille dans leur condo du quartier Centre-Sud, à Montréal.

Comme plusieurs parents l’ont fait ces dernières années au Québec, Mélyssa Dubois et Yucca Léonard ont organisé une collecte de fonds pour permettre à Éloïse de recevoir un traitement qui n’est pas couvert par le régime public d’assurance maladie pour les enfants atteints de paralysie cérébrale :  le traitement en chambre hyperbare.

C’est un couple d’amis vivant une situation semblable qui en a parlé à Mélyssa et Yucca, qui ont alors consulté le Dr Pierre Marois, médecin physiatre qui suit quelque 1200 enfants atteints de paralysie cérébrale au Québec.

La collecte de fonds pour Éloïse a été un succès (17 000 $ depuis mars). Ses parents ont reçu hier la chambre hyperbare qu’ils ont commandée des États-Unis et qui a coûté plus de 20 000 $.

« On est chanceux », résume Yucca, qui pense aux nombreuses familles qui n’ont pas un aussi bon réseau qu’eux.

Un traitement controversé

C’est en 1998 que les Québécois ont entendu parler pour la première fois du traitement en chambre hyperbare en paralysie cérébrale, alors qu’une Québécoise s’était rendue en Angleterre pour offrir ce traitement à ses deux jumeaux. Les résultats avaient été surprenants, selon le Dr Pierre Marois, qui suivait les jumeaux depuis leur enfance.

Le Dr Marois a voulu offrir des réponses aux parents de ses patients (qui voulaient tous se rendre en Angleterre !). Avec le Dr Michel Vanasse, neurologue en chef au CHU Sainte-Justine, il a mis sur pied un premier projet de recherche : 25 enfants ont reçu 20 traitements en chambre hyperbare. 

« Ce qu’on a vu nous a jetés un petit peu à terre. On a vu des enfants de 7 ans qui se sont mis à marcher pour la première fois après une dizaine de traitements. D’autres se sont mis à parler pour la première fois… »

— Le Dr Pierre Marois

Le Dr Marois et son collègue ont alors pris contact avec le gouvernement du Québec pour obtenir le financement afin de réaliser une recherche formelle. Le gouvernement leur a octroyé les fonds, à condition que le Fonds de recherche en santé du Québec gère la recherche. Le gouvernement a nommé un troisième chercheur.

Les chercheurs étaient divisés quant au protocole de recherche. Les Drs Marois et Vanasse voulaient diviser les participants en trois groupes : un groupe soumis à une pression de 1,75 ATA avec 100 % d’oxygène ; un groupe soumis à une pression plus faible (1,3 ATA) sans ajout d’oxygène ; et un groupe contrôle, qui ne reçoit aucun traitement. Mais il en a été décidé autrement : le groupe contrôle a été supprimé pour conserver uniquement les deux autres groupes. Le troisième chercheur soutenait qu’une pression à 1,3 ATA était sans effet thérapeutique et que le groupe soumis à 1,3 ATA devait donc être considéré comme le groupe contrôle.

Les jeunes participants ont tous évolué (en moyenne 30 fois plus que ce qui est attendu normalement, selon le Dr Marois), tant sur le plan de la motricité grossière, de l’attention, de la concentration que du langage. Or, l’évolution a été la même dans les deux groupes. Le gouvernement du Québec a donc conclu que l’évolution était due à l’effet placébo, causée par le simple fait de participer à une étude médicale.

Le Dr Marois analyse les résultats de l’étude (publiée dans The Lancet) d’un autre œil. « La grosse découverte, dans cette recherche, c’est qu’on n’a pas besoin d’aller à des grosses pressions pour avoir des changements ; on a démontré qu’avec juste 1,3 de pression et de l’air ambiant, on a réussi à avoir les mêmes résultats », dit le Dr Marois, qui souligne que la pression à elle seule augmente le taux d’oxygène dans le sang et induit différents changements au niveau cellulaire.

Le Dr Marois a participé à une autre recherche menée en Inde auprès de 150 enfants, dont les résultats rejoignent ceux des deux premières. L’étude a été publiée en 2014 dans le journal de l’Undersea and Hyperbaric Medicine Society (UHMS), qui approuve les indications médicales en médecine hyperbare. À ce jour, la paralysie cérébrale ne figure pas parmi les indications de l’UHMS.

Preuves « non convaincantes »

À l’Hôtel-Dieu de Lévis, un des deux centres de médecine hyperbare au Québec, on traite uniquement les indications reconnues par l’UHMS, nous a expliqué le Dr Dominique Buteau, médecin-chef de service de médecine hyperbare de l’Hôtel-Dieu de Lévis. On y accueille notamment des patients qui souffrent de dommages aux tissus à la suite de la radiothérapie ou de plaies chroniques.

« On comprend que les parents veulent s’accrocher à tout espoir d’améliorer la condition des enfants, mais nous devons regarder les évidences scientifiques qu’on a [concernant l’oxygénothérapie hyperbare et la paralysie cérébrale] : elles ne sont malheureusement pas assez convaincantes pour que l’on puisse recommander son utilisation », dit le Dr Buteau, qui trouve certaines faiblesses à la dernière étude menée en Inde.

« On a besoin d’autres recherches pour voir si, oui ou non, il y a un effet bénéfique », ajoute le Dr Buteau, qui doute cependant qu’on puisse obtenir quelconque bénéfice avec une pression aussi basse que 1,3 ATA.

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