OPINION JOURNÉE MONDIALE DE SENSIBILISATION À L’AUTISME

Souffrir d’autisme

La personne autiste est abandonnée par notre système d’éducation et de santé et oubliée par la société

Il y a bientôt 15 ans, à l’âge de 24 ans, je mettais au monde notre premier enfant, une adorable petite fille que nous avions déjà appelée Maëlle.

Cette dernière avait un chemin tout tracé devant elle. Elle suivrait des cours de piano, de danse, ferait de longues études, se marierait et tout serait comme dans Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley : une image parfaite d’un avenir planifié de toute pièce par notre société.

Hélas, Maëlle a eu la malchance de naître autiste. Pire encore, notre fille est non seulement autiste, atteinte d’une maladie rare, mais éprouve de graves troubles d’apprentissage qui la minent progressivement, la ralentissent dans ses rêves et dans la réalisation de ses projets. 

Elle qui ne pense qu’à aider son prochain, protéger les plus vulnérables, faire plaisir à tous ceux qui l’entourent, ouvrir un refuge pour animaux, a récemment délaissé ses lunettes roses de l’enfance pour constater le cul-de-sac imposé par l’adolescence.

Voyez-vous, Maëlle fait partie de ces autistes que le système n’a pas « catégorisés » ou « codés ». Comme elle n’a pas de déficience, elle ne peut être intégrée dans une classe adaptée, car elle régresserait beaucoup trop et nous devons constamment la stimuler. Mais comme elle présente de nombreux troubles d’apprentissage, elle ne peut plus suivre le même rythme que ses camarades. Heureusement, nous avons eu l’extraordinaire chance de l’inscrire dans une école qui l’a prise sous son aile depuis la maternelle où elle poursuit maintenant son chemin adapté auprès d’élèves de troisième secondaire.

Jusqu’à présent, l’histoire de Maëlle paraît presque belle. Toutefois, notre fille est plus que consciente de sa différence et de l’écart qui se creuse jour après jour entre elle et ses amis contre son gré. Des signes de détresse et des idées noires assombrissent plus que jamais son quotidien.

C’est que notre rayon de soleil, notre battante, Maëlle, nous dit qu’elle est un fardeau pour nous tous. Elle se demande pourquoi nous l’avons mise sur Terre si c’est pour avoir si mal. Notre fille souffre dans chaque parcelle de son âme et nous ne pouvons rien faire d’autre que de tenter d’ajuster une médication qui lui permette de mieux se concentrer dans l’accomplissement de gestes simples du quotidien et de diminuer son anxiété grandissante face à ce qui la terrorise le plus : son avenir.

« Maman, même pour faire une formation professionnelle, ça prend au minimum un secondaire deux. Regarde-moi ! Je ne suis même pas capable de finir mon primaire en français et en mathématiques ! » En tant que professeure de français au collégial, je ne peux qu’assister à cette scène complètement absurde, digne d’une pièce de Ionesco, complètement dépassée et déboussolée par ce non-sens.

« Maman, papa, je vais faire quoi plus tard ? Où je vais aller ? » Je n’ose plus me tourner vers son frère et sa sœur, car j’essaie d’éviter de leur transmettre cette peur qui me taraude l’esprit depuis que « l’on sait ». L’idéal est de vivre dans le déni en se disant que demain est un autre jour, comme probablement bien d’autres familles qui se retrouvent aussi démunies que nous le sommes devant pareille détresse.

Alors, quand j’entends des spécialistes prendre de leur précieux temps pour crier haut et fort que l’on ne « souffre » pas d’autisme, mais que l’on en est « atteint », je sens une profonde colère m’envahir au son de cette rhétorique euphémisante.

Sachez, messieurs-dames, que la personne autiste, surtout à l’adolescence et à l’âge adulte, est littéralement abandonnée par notre système d’éducation et de santé, oubliée par la société, et qu’elle souffre bien plus que l’on ne pourrait l’imaginer. 

Mais comme le disait si bien Alfred de Musset : « L’homme est un apprenti, la douleur est son maître. Et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert ».

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.