SOMMET SUR LE GROUPE ÉTAT ISLAMIQUE À QUÉBEC

Les femmes, victimes sexuelles oubliées du conflit

De passage à Québec dans le cadre de la rencontre de la coalition internationale qui lutte contre le groupe État islamique, la responsable du dossier aux Nations unies, Zainad Bangura, témoignera des horreurs qui lui ont été rapportées.

Des marchés publics où les femmes sont exposées nues à une liste de prix établie en fonction de leur âge en passant par un guide sur comment s’occuper des esclaves sexuels, les hommes du groupe armé EI ont institutionnalisé la façon dont ils violent les femmes et, de surcroît, ils s’en vantent, dénonce Zainad Bangura.

« Dans tous les pays où j’ai eu à confronter les dirigeants sur les crimes sexuels commis sur leurs territoires, il y a une culture très ancrée de déni et de silence. Mais l’EI aime publiciser ses atrocités, et c’est pourquoi c’est un ennemi redoutable », expose la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies sur la violence sexuelle commise en période de conflits lors d’une entrevue accordée au Soleil et orchestrée par Avocats sans frontières.

Zainad Bangura participait hier à une table ronde sur le sujet de son engagement, organisée conjointement par l’organisme et le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du Canada (MAECD). Aujourd’hui, elle fera une présentation du travail de son organisation auprès des délégués de la coalition internationale qui lutte contre l’EI, réunis au Château Frontenac. « La stratégie développée pour lutter contre le terrorisme ne prend pas en considération la protection et le pouvoir que l’on souhaite donner aux femmes », regrette celle qui veut s’assurer que cette omission devienne histoire du passé.

ENFANTS APATRIDES

La tactique mise au point par la haute fonctionnaire onusienne pour y parvenir est simple : depuis son retour d’Irak et de Syrie le printemps dernier, elle raconte sur toutes les tribunes les histoires dégoûtantes qu’elle a entendues lors de ses rencontres avec des victimes de l’EI. Comme celle d’une jeune femme qui a été revendue à 22 reprises et recousue chaque fois pour simuler une virginité depuis longtemps perdue. Ou encore cette autre future mère enceinte de deux mois qui a été capturée et avortée par les moyens du bord pour l’empêcher d’avoir un descendant « infidèle ».

« Elles sont violées à répétition et harcelées parce que leurs bourreaux souhaitent qu’elles procréent. Ils veulent des enfants reproduits sur leur modèle puisque c’est de cette façon qu’ils réussiront à construire leur État », explique Mme Bangura.

Celles qui réussissent à s’enfuir mettent au monde des enfants apatrides puisque de nombreux États ne reconnaissent les naissances que par l’intermédiaire du père. « Des dizaines de milliers de bébés se retrouvent sans papiers. C’est un immense problème que nous essayons de résoudre en mettant en branle des réformes législatives », expose l’experte.

« Avec le groupe armé État islamique, la violence sexuelle commise à l’égard des femmes a atteint des sommets jamais vus dans l’histoire de la guerre. »

— Zainad Bangura

Le problème de la violence sexuelle commise contre les femmes en temps de conflit est d’autant plus difficile à résoudre que les membres du groupe armé État islamique se servent de la religion pour perpétrer leurs horreurs, dénonce par ailleurs Zainad Bangura. « Mais ça n’a rien à voir avec l’islam ! », s’exclame-t-elle. Cent vingt intellectuels de confession musulmane se sont même adressés aux dirigeants de l’EI pour leur laisser savoir que leurs actions n’étaient pas conformes aux enseignements de leur foi. « Mais ils n’en ont cure », se désole la représentante du secrétaire général des Nations unies.

« Les dirigeants du groupe armé EI ont compris que la meilleure façon de déshumaniser une société, c’est de s’en prendre aux femmes et aux enfants, renchérit-elle. Ils savent qu’aucun homme ne va pardonner à quelqu’un qui a violé sa douce moitié ou sa progéniture. Cela rend la réconciliation impossible et c’est voulu. »

Pour Mme Bangura, il n’y a qu’une façon de faire cesser les violences sexuelles et c’est de mettre un terme aux conflits et aux insécurités dans les pays touchés. « C’est pour cela que le processus de paix est extrêmement important, soutient-elle. Nous n’avons jamais vu des acteurs non gouvernementaux avec autant de pouvoirs que l’EI. Nous ne pouvons pas utiliser les outils habituels des Nations unies comme les sanctions internationales. Il faut trouver d’où proviennent leurs ressources pour être capables de fermer les robinets. »

La tâche est ardue, reconnaît la diplomate. Mais elle ne baisse pas les bras parce que jamais elle ne s’habituera à ce qu’elle entend. « Je ne comprends pas qu’un être humain puisse en traiter un autre de cette façon. Ça n’a tout simplement pas de sens. »

HUIT MILLIONS D'AIDE DU CANADA

Le Canada n’a pas l’intention de rester sur la touche dans la lutte contre le groupe armé État islamique (EI). Et la rencontre qui se déroule aujourd’hui à Québec n’est qu’une illustration de l’implication et des « efforts constants » d’Ottawa à cet égard, déclare le ministre des Affaires étrangères du Canada, Rob Nicholson.

« Il est très clair que le groupe armé État islamique représente une menace directe pour le Canada », a répondu le ministre alors qu’on l’interrogeait sur la publicité qu’attirait l’événement sur son parti à quelques mois des élections. Son gouvernement, a-t-il ajouté, n’a jamais entretenu de doutes quant à son implication dans les efforts internationaux pour lutter contre le terrorisme.

« Nous ne nous déroberons pas et le premier ministre Stephen Harper a été constant à ce sujet, que ce soit en Ukraine, par notre soutien à Israël ou encore au sein de la coalition [contre l’EI] », a renchéri M. Nicholson lors d’un bref entretien téléphonique avec Le Soleil alors qu’il se trouvait déjà dans la capitale nationale hier.

Le ministre des Affaires étrangères a rencontré hier, lors d’un tête-à-tête, la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies sur la violence sexuelle commise en période de conflits, Zainad Bangura. Il lui a notamment fait savoir que le Canada injectait une aide supplémentaire de 8 millions pour soutenir cette cause.

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