Opinion  REER

Deux années de salaire de côté ?

La « saison des REER » se pointe le bout du nez. Cette expression demeure ridicule : on vend l’épargne aujourd’hui comme on fait une liquidation de vêtements de saison. L’épargne ne devrait pas être une question de saison, mais un poste budgétaire soutenu, comme celui de l’épicerie.

Un sondage publié la semaine dernière démontrait que 64 % des adultes de plus de 35 ans regrettaient d’avoir négligé leur épargne. Pourquoi tant de regrets ?

L’oisiveté financière avant 35 ans a une empreinte indélébile sur le futur. Cette tendance sur 10 ou 12 ans est pratiquement irréversible. En sortant des études, le travailleur pourrait se fixer comme objectif d’avoir cumulé au moins deux années de salaire brut l’année de ses 35 ans. Un objectif ambitieux ? Pas tant que ça. Prenons un exemple classique. Jean-Pierre, bachelier universitaire de 22 ans, commence à travailler à un salaire annuel de 35 000 $. À 35 ans, Jean-Pierre aura plus de 12 ans d’expérience. Avec un rendement annuel moyen de 6 % (un jeune a techniquement un profil de risque élevé), une hausse annuelle du salaire de 1,5 % (incluant une hausse liée aux éventuelles promotions, donc une hypothèse prudente) et la cotisation annuelle maximale à son REER, Jean-Pierre aurait au moins 114 000 $ d’épargne. Avec une stratégie de placement « pépère » à 2 %, il aurait plus de 91 000 $, selon le même comportement.

Il aura possiblement en placements entre 2,2 et 2,8 fois le salaire gagné à 35 ans.

Dans la cohorte de Jean-Pierre, il y a aussi Rodrigue. Ce dernier est moins logique sur la calculette. Il préfère prendre des égoportraits le mettant en valeur sur Facebook : voyage, vêtements, restaurants branchés, voiture récente, etc. Il consomme, donc il est. Rodrigue n’épargne pas tout de suite, ou très peu. Il aura amplement le temps de le faire d’ici son 35e anniversaire, se dit-il. Rodrigue n’aura pas deux ans de salaires de valeur nette en épargne à ce moment, à moins d’un gain spéculatif ou d’un héritage inattendu. Rodrigue n’a pas de dette envers les institutions financières, il a une dette envers lui-même. Il a dépensé la marge de manœuvre de son soi futur. Vivre maintenant, payer plus tard, telle est sa devise. Il inventera une série d’excuses pour dire qu’il n’avait pas vraiment le choix. Évidemment, cette épargne peut prendre plusieurs formes : capital sur un actif immobilier, investissement en REER ou dans un CELI, investissement dans une compagnie privée, etc.

Une fois la famille dans le portrait, les liquidités sortent rapidement. Ainsi, compter sur la période 35-45 ans pour combler le retard est une utopie pour plusieurs raisons. La première, on perd du rendement passé qui ne se capitalisera pas. La deuxième, c’est la période des grandes désillusions : séparation, stress, perte d’emploi, changement de carrière, dépression ou train de vie « encubiculent » la marge de manœuvre autrefois imaginée.

Évidemment, plusieurs Rodrigue s’en sortiront grâce à un héritage éventuel, un changement de carrière profitable ou par un coup de chance. Il n’en demeure pas moins que négliger le capital contribué et la gestion de son portefeuille avant 35 ans revient à jouer à la roulette russe avec sa santé financière future.

Ainsi, à moins de décrocher le prochain contrat de porte-parole de la CSST, on doit modifier son comportement et sa façon d’aborder la réflexion « ai-je vraiment les moyens ? ». Avant 35 ans, veut-on devenir un Rodrigue prisonnier de ses choix ou un Jean-Pierre libre de vivre autrement ? Comme disait François Pérusse : « Alors, Rodrigue, deux plus deux, combien ça fait ? »

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