Mariage princier

Croyons-nous encore aux contes de fées ?

Dans une semaine sera célébré, au château de Windsor, le mariage du prince Harry et de l’actrice Meghan Markle. Un mariage qui suscite beaucoup d’engouement dans le monde entier. Récit et analyse en sept chapitres.

UN DOSSIER D’OLIVIA LÉVY

Il était une fois...

Il était une fois Meghan Markle, née à Los Angeles le 4 août 1981, fille de Thomas W. Markle, directeur de la photographie à Hollywood, et de Doria Ragland, assistante sociale et professeure de yoga. Ses parents divorcent quand la petite Meghan a 6 ans. Elle devient actrice et est révélée dans la série Suits, dans laquelle elle incarne Rachel Zane. Elle rencontre Harry, prince de Galles, en 2016 lors d’une soirée à Londres. Leurs fiançailles sont annoncées officiellement le 27 novembre 2017, et le mariage sera célébré le 19 mai prochain, à midi (heure de Londres), à la chapelle St. George, où 600 invités sont conviés. Meghan Markle ne deviendra pas princesse en épousant Harry, mais bien duchesse de Sussex, et rappelons qu’elle abandonne ainsi sa carrière d’actrice de même que son engagement auprès d’ONU Femmes.

Le préféré

Pour Adélaïde de Clermont-Tonnerre, directrice de la rédaction du magazine Point de vue, qui suit l’actualité des familles royales, il y a dans ce mariage tous les ingrédients d’un conte de fées. Tout d’abord, elle explique qu’aux yeux de la population, Harry est le membre de la famille royale le plus populaire. « Il est dans le cœur de tous ceux qui ont aimé passionnément Lady Di, c’est son plus jeune fils, et beaucoup de gens ont encore en tête l’image de ce petit garçon marchant derrière le cercueil de sa mère, une image très chargée en émotions, souligne Mme de Clermont-Tonnerre. C’était aussi le prince célibataire le plus en vue, le dernier de sa génération, et il occupe le sixième rang dans l’ordre de succession au trône. »

Le choc des cultures

Meghan Markle est une actrice américaine divorcée, métisse, qui a grandi dans un Los Angeles marqué par les émeutes de 1992. « On a un énorme choc des cultures, il y a un vrai coup de baguette magique qui est séduisant, car c’est une self-made-woman. Très jeune, elle avait déjà une personnalité hors normes », rappelle Mme de Clermont-Tonnerre. À 11 ans, la jeune Meghan, déjà féministe (sans le savoir), a fait changer une publicité de savon à vaisselle de Procter & Gamble, qu’elle jugeait sexiste. Le mot « les femmes » a été remplacé par « les personnes » dans le slogan « Toute l’Amérique mène le combat contre la vaisselle grasse ». « Les enfants ne doivent pas grandir en pensant que c’est maman qui fait toujours tout à la maison », affirme la jeune Meghan Markle.

Princesses omniprésentes

Martine Delvaux, auteure (Le monde est à toi) et professeure de littérature à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), estime qu’il est difficile de se défaire des schémas traditionnels, car les contes de fées, on y croit collectivement. « On a tous grandi avec les contes de fées qui font rayonner ces grands mythes de princesses. On peut penser aussi à la mythologie grecque, car c’est toujours le même principe : le désir d’élection, remarque-t-elle. Meghan Markle a été élue au royaume par son prince. C’est Cendrillon 1000 fois répétée. » Elle pense que tout nous incite à vouloir croire aux princesses et aux contes de fées – les films de Disney, les poupées Barbie, tout ce commerce qui s’accroche au féminin est lié au capitalisme.  « C’est vouloir accéder à ce rêve qu’on associe au grand luxe et à la richesse démesurée, car tout l’accent est mis sur la robe, les diamants et le diadème. »

À la recherche du prince charmant ?

Pour la psychologue Geneviève Djenati, auteure du livre Le prince charmant et le héros, ce mariage est un impossible qui devient possible. « Les roturières épousent désormais des princes, il y a une mésalliance qui est permise, c’est un changement, mais cette idée rend accessible le fait qu’on peut devenir un prince ou une princesse. Ça fait du bien à l’imaginaire. »

« Moi, je n’y crois pas ! Mais on nous incite à y croire, affirme Martine Delvaux. Trouver le grand amour ! L’homme de sa vie ! Tout tourne autour de ça. Trouver l’âme sœur ou cet amour ultime ! Et un mariage princier vient jouer sur cette corde sensible, car c’est une telle élection, c’est le summum ! La version la plus aboutie de ce mythe. »

« On sait que ce n’est pas la réalité, mais en même temps, on est constamment alimentés par ces images hollywoodiennes. »

— Martine Delvaux

Andrée-Anne Guénette, qui a écrit Le dating dans tous ses états, estime que c’est mal vu de dire, dans notre royaume du féminisme, que nous avons toutes une part de princesse en nous. « Que voulez-vous ? On veut tous croire aux belles histoires d’amour et on a toutes comme quête fondamentale celle d’être aimée, c’est ce qui nous fait exister », pense la journaliste et auteure. Selon elle, la quête du prince charmant est très humaine ; il n’y a pas d’âge pour cela, et il n’y a rien de honteux ni d’immature à croire aux contes de fées. « On aime avoir quelqu’un à nos côtés qui prend soin de nous. C’est difficile à avouer pour moi qui suis veuve depuis deux ans, qui élève deux enfants de 8 et 11 ans et qui a une part de fierté à accomplir tout ça. »

Un recul pour les femmes ?

« Est-ce qu’on ne renonce pas tous et toutes à quelque chose dans la mesure où on vit avec quelqu’un ? s’interroge la psychologue Geneviève Djenati. Vous savez, il y a toujours des renoncements dans la vie de couple. Ça fait partie du mariage de renoncer par amour. »

Pour Adélaïde de Clermont-Tonnerre, l’obligation de Meghan Markle de renoncer à sa carrière d’actrice ne constitue pas un recul de la femme.

« Je ne pense pas qu’on s’éloigne de notre féminisme, mais que c’est plutôt une preuve d’intelligence d’être capable de faire des choix de vie qui sont en accord avec des objectifs. »

— Adélaïde de Clermont-Tonnerre

« Elle va commencer une autre carrière dans laquelle elle aura un pouvoir infiniment plus grand », estime la directrice de la rédaction du magazine Point de vue. « Soyons honnête, poursuit-elle, Meghan Markle n’a pas la carrière d’actrice de Grace Kelly [Grace de Monaco]. Elle est lucide sur elle-même et sur ses envies, elle va utiliser sa notoriété au service des choses qui comptent pour elle, car le vrai moteur de Meghan, c’est son travail philanthropique, la volonté de changer certaines choses dans le monde, et c’est ce qui l’unit à Harry. »

Même si pour rien au monde elle ne prendrait la place de Meghan Markle, Adélaïde de Clermont-Tonnerre préfère qu’on rêve de princesses qui ont de jolies robes, du contenu dans le cerveau et des envies d’être utiles plutôt que de rêver à des filles de téléréalité dont le seul talent est de parler du maquillage qu’elles préfèrent ou qui font des égoportraits en soutien-gorge.

L’amour plus fort que tout

N’est-ce pas miraculeux, ce qui arrive à Meghan Markle ? « Franchement, elle n’avait aucune chance de rencontrer Harry ! », lance la psychologue Geneviève Djenati.

« En voyant le parcours de Meghan Markle, tout le monde peut se dire pourquoi pas moi ? Plus rien n’est impossible », pense Adélaïde de Clermont-Tonnerre.

La psychologue Geneviève Djenati estime que l’engouement pour ce mariage est attribuable à un processus d’identification très fort à cette histoire d’amour.

« On part d’une situation banale, celle de Meghan Markle, mais le destin a mis sur son chemin le prince Harry. Il aurait dû y avoir opposition familiale, un obstacle à franchir à cause de cette union qui est une mésalliance, mais non, c’est l’amour qui triomphe. »

— Geneviève Djenati

C’est ça qui fait rêver les gens et qui est formidable ! Ce sont toutes ces différences de religion et de statut social, c’est une rencontre qui n’aurait pas dû avoir lieu, mais le destin a modifié le cours de sa vie. C’est de l’espoir et une preuve que la vie est pleine de surprises. C’est un bon antidépresseur. L’amour est plus fort que tout ! »

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