Discrimination systémique

Des stéréotypes dans l’angle mort

J’ai des préjugés. Et vous en avez aussi. Oui, oui, même vous qui pensez ne pas en avoir et êtes convaincus de traiter tout le monde sur un pied d’égalité.

J’ai des préjugés. Vous en avez aussi. Et d’une certaine façon, nous n’y sommes pour rien. Le cerveau est ainsi fait. Il est programmé pour exercer de la discrimination à notre insu. Même chez des gens qui s’opposent à toute forme de discrimination, nous disent des chercheurs en psychologie.

Il existe des tests qui tentent de mesurer ces tendances inconscientes à préférer les Blancs aux Noirs, les jeunes aux vieux, les hommes aux femmes. Dans le cadre de cette série sur la discrimination systémique, j’en ai moi-même passé un. J’ai aussi invité des politiciens et des personnalités à tenter l’expérience, sous la supervision du professeur de psychologie de l’UQAM Richard Bourhis, qui croit à l’utilité pédagogique de ces tests.

« Allez-vous faire un palmarès du racisme ? », m’ont demandé des sceptiques. Non ! Se traiter les uns les autres de racistes n’est pas l’objectif du test. Il ne s’agit pas ici de culpabiliser qui que ce soit mais bien de se servir de cet exercice comme d’un point de départ pour réfléchir aux moyens de lutter contre les préjugés. Nous avons tous une responsabilité en ce sens. À plus forte raison encore lorsqu’on fait de la politique.

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Cela prenait une certaine dose de courage et d’humilité pour se prêter au jeu. Parmi les chefs de parti, seule Françoise David a accepté l’invitation. Philippe Couillard, Jean-François Lisée et François Legault ont refusé. Après de nombreux messages échangés avec son attaché de presse, le maire Denis Coderre a aussi préféré s’abstenir.

J’ai par ailleurs pu compter sur la participation de la ministre Dominique Anglade, du député de Québec solidaire Amir Khadir, de l’homme d’affaires Alexandre Taillefer, de la chef de la direction de la Financière Sun Life Isabelle Hudon ainsi que du professeur Richard Bourhis. Il a eu envie de se prêter au jeu et s’en est presque mordu les doigts, dérouté par des résultats auxquels il ne s’attendait pas.

De mon côté, je pensais naïvement pouvoir déjouer le test. Parce que je savais quel était l’objectif. Parce que j’avais beaucoup lu sur le sujet. Parce que je suis très attachée aux valeurs d’égalité… 

Malgré tout, mon résultat au test d’association implicite Noir-Blanc a indiqué que, comme la plupart des répondants blancs (même si je suis officiellement une « minorité visible » selon Statistique Canada), j’ai une légère préférence automatique pour les Blancs par rapport aux Noirs.

Mon résultat au test portant sur le genre m’a aussi troublée. Moi qui ai été élevée par une mère scientifique ayant défié les stéréotypes de son époque, moi qui crois dur comme fer que les femmes ont leur place en sciences tout autant que les hommes, j’ai tout de même, selon ce test, une forte tendance inconsciente à associer les sciences à ce qui est masculin et les lettres à ce qui est féminin.

J’ai été rassurée d’une certaine façon quand j’ai vu les résultats du professeur Richard Bourhis. Il a hésité à me les montrer. « Ça fait deux semaines que j’y pense ! Est-ce que je vais le dire ou pas ? Ça m’a troublé ! »

Il a sorti une feuille de son porte-document avec l’air humble et penaud de ceux qui s’apprêtent à faire un aveu compromettant : forte préférence pour les Blancs ! Pour un homme qui a consacré une bonne partie de sa vie à la lutte contre les préjugés, voilà qui était aussi choquant que décourageant.

Comment expliquer un tel résultat pour un professeur qui est lui-même spécialiste de ces questions et qui a à cœur la lutte contre la discrimination – le documentaire-choc de Radio-Canada La leçon de discrimination auquel il a collaboré est utilisé dans plusieurs pays du monde comme un outil pédagogique pour enrayer les préjugés ? « Ce n’est pas parce qu’on est spécialiste d’un domaine qu’on est à l’abri des préjugés et des idées reçues de notre société ! », me dit le professeur.

Ces tests en disent plus long sur les rapports de pouvoir dans notre société et les catégories qui y sont valorisées (hommes, blancs, minces, jeunes, etc.) que sur les individus qui passent le test. 

Ils témoignent des stéréotypes ambiants, qui peuvent être nourris par le milieu dans lequel on a grandi, l’éducation que l’on a reçue, les images véhiculées dans les médias.

Il faut aussi savoir que l’être humain a une tendance spontanée à favoriser les membres de son propre groupe, explique Richard Bourhis. On aimerait croire que les enfants naissent sans aucun préjugé et que c’est la culture qui les corrompt. Mais des études ont montré qu’ils avaient en fait la même tendance que les adultes à avoir des attitudes négatives à l’égard des gens qui n’appartiennent pas au même groupe qu’eux.

Cela dit, on aurait tort pour autant de voir les attitudes discriminatoires comme une fatalité. Dès lors que l’on est sensibilisé au problème, il y a de l’espoir et des possibilités de changement pour qui croit en une société égalitaire. Le simple fait de prendre conscience d’un préjugé contribue à l’atténuer.

J’ai des préjugés inconscients. Vous en avez aussi. Et d’une certaine façon, nous n’y sommes pour rien, disais-je. Mais il serait faux d’en déduire que nous n’y pouvons rien.

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