Sécurité à vélo

La résilience d’une mère en deuil

« Je n’en revenais pas de lire que c’était à ce point évitable. C’est vraiment ce qui m’a sidérée. »

Quand elle a reçu le rapport du coroner Paul G. Dionne, samedi, la mère de Mathilde Blais s’est sentie paralysée. Elle a mis une journée à se remettre du verdict. À accepter que rien n’explique que la plus jeune de ses deux filles ait péri dans le creux d’un tunnel montréalais, prise au piège sous un viaduc, là où un camion-grue l’a frappée.

« La deuxième ligne, tu lis ça et tu as la nausée », a laissé tomber Geneviève Laborde hier, quand La Presse l’a rencontrée dans sa maison du quartier Montcalm, à Québec. Car la feuille de papier qu’elle tenait entre ses mains explique sans détour le sort qui a été réservé à sa fille.

« Évidement du contenu cérébral avec de nombreuses fractures du massif facial et de la base du crâne », « fracture du thorax et du bassin », « hémorragies internes » : la description physique faite par le coroner est précise, froide. À l’inverse de l’onde de choc qui a résonné au Québec quand Mathilde Blais a été tuée.

La jeune orthophoniste n’a eu aucune chance, ce matin du 28 avril. Pour la 43e fois en 2014, elle a enfourché un Bixi pour se rendre au travail. Comme les matins précédents, elle s’est enfoncée dans le tunnel Saint-Denis, sous la rue des Carrières. Un camion-remorque l’y a suivie. Le poids lourd s’est d’abord éloigné de la cycliste, explique le coroner Dionne dans son rapport. Mais il s’est ensuite rapproché afin de libérer la voie de gauche. Le côté droit de sa remorque a frappé la cycliste. La mort a été instantanée. Mathilde Blais s’est retrouvée dans une sorte d’étau, entre le mur de béton froid du viaduc, à sa droite, et la remorque du camion, à sa gauche. À l’extrême gauche de la chaussée, une voie entière était vide.

Le camion aurait dû partager la voie ou empiéter sur la voie de gauche, conclut ainsi le coroner. « On ne sait pas si madame a été heurtée ou a tout simplement repris plus d’espace au passage du camion (le plus probable), ne s’apercevant pas qu’il y avait une remorque », avance le rapport. « Une jupe latérale aurait empêché madame de se retrouver la tête sous la roue interne [du côté droit du camion] », conclut le document.

« ELLE ÉTAIT PRUDENTE »

« Je ne sais pas encore si le rapport marque une étape », a réagi Geneviève Laborde hier, élégante et posée. Elle avait la force de celle qui se promet de militer pour les droits des cyclistes une fois le deuil passé, mais la fragilité d’une mère qui s’est sentie volée. « Je ne m’attendais pas à ce qu’elle meure à vélo. Elle était prudente », a assuré la mère. La dernière fois qu’elle a vu sa fille, c’était à Pâques. Dix jours avant sa mort. « Son père, mon chum et moi, on lui disait souvent de s’acheter un casque. Et à Pâques, elle nous avait dit : "Regardez ce que je me suis acheté !" », s’est-elle rappelée.

Le matin de la mort de Mathilde Blais, la visière de son casque traînait sur le sol, à quelques mètres de son corps inanimé.

Le vrai deuil de Geneviève Laborde commencera quand le Code de la sécurité routière sera modifié. Et quand l’ensemble des camions du Québec seront équipés de jupes latérales de protection. D’ici là, elle continuera de puiser sa force dans les petits et les grands gestes qui honorent la mémoire de sa fille. Elle trouvera du courage dans cette portion de la bibliothèque créée à la mémoire de Mathilde Blais, à l’école où elle travaillait ; elle cultivera l’espoir en apercevant davantage de campagnes de sensibilisation sur le partage de la route. Et elle se permettra de croire que la mort de sa fille a été utile. Parce que « c’est le seul sens que ça peut donner ».

LES RECOMMANDATIONS DU CORONER

Que le ministère des Transports (MTQ) et la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) enchâssent un règlement sur les distances minimales entre les vélos et les véhicules moteur dans la réforme du Code de la sécurité routière ;

Que l’Union des municipalités du Québec favorise la création de corridors de circulation sécuritaires pour les cyclistes dans l’aménagement urbain ;

Que le MTQ et la SAAQ favorisent par règlement l’installation de jupes latérales pour les véhicules circulant en zone urbaine ;

Que Transports Canada précise ses plans à long terme pour l’emploi de jupes latérales.

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