Hockey

EN BREF

Joé Juneau

LIVRE FAVORI

Confessions of an Economic Hit Man, de John Perkins.

FILM MARQUANT

Saving Private Ryan, un film que l’entraîneur Ron Wilson nous faisait voir en boucle pendant les séries de 1998 pour resserrer nos liens.

PERSONNALITÉ MARQUANTE

Richard Desjardins.

HOBBY

Le plein air.

AUTRE MÉTIER

Ingénieur en aéronautique, j’ai étudié dans ce domaine.

HOCKEY MINEUR

La rançon du succès

Le bébé a grandi.

Et Joé Juneau n’est pas toujours le bienvenu dans les tournois du Québec avec ses équipes du Nunavik : une bande de gamins partis de rien qu’il voit grandir sportivement et moralement depuis neuf ans déjà.

On sent dans sa voix un mélange de tristesse, d’incompréhension et de colère.

« Dans les premières années du programme, on se faisait planter 12-1 dans les tournois de la région de Québec. C’était dur pour l’estime de soi de ces jeunes. Mais ils n’ont pas lâché et depuis trois ans, on perd en finale ou on gagne les tournois. Maintenant qu’on a atteint ce niveau, les entraîneurs des équipes adverses et les parents dans les estrades me traitent de tricheur et injurient nos jeunes sur la glace. Ils nous accusent d’avoir des équipes trop fortes… »

Avec son expérience, son réseau de contacts, son intelligence, Joé Juneau pourrait se retrouver derrière le banc d’une équipe de la Ligue nationale, junior ou professionnelle mineure, comme tant de ses anciens confrères l’ont fait.

Juneau, un hockeyeur atypique, un homme d’exception, ne se sentirait pas capable d’abandonner ses jeunes du Nunavik.

« Malgré tout, je suis bien dans ce que je fais », confie l’ancien attaquant des Bruins de Boston, des Capitals de Washington et du Canadien, aujourd’hui âgé de 47 ans.

« Ça m’apporte beaucoup et ça apporte beaucoup à d’autres. Je ne pourrais pas me voir en train de coacher ailleurs et vivre le même sentiment. »

— Joé Juneau

VOULOIR GAGNER À TOUT PRIX

Après sa carrière, en 2005, Juneau a déménagé pendant quelques années à Kuujjuaq avec sa conjointe et leurs deux filles pour bâtir un programme de hockey sports-études destiné à contrer le décrochage scolaire rampant dans cette région du Grand Nord. Il y consacre encore trois mois par année.

« On a réussi à mettre sur pied une structure qui se tient, adaptée à leur culture et à leur façon d’apprendre. Avec un bon groupe de gens crédibles, on arrive à faire quelque chose de merveilleux. Il suffisait de les mettre dans une structure dans laquelle ils pouvaient s’épanouir. On a cinq équipes : atome, pee-wee, bantam et deux équipes midget. Ces équipes sont toutes de catégorie A. »

Les récents succès de ces jeunes Inuits créent des remous dans les gradins lors des tournois.

« C’est l’ignorance, dit-il. Ces gens n’ont pas idée de la vie au Nunavik, des conditions dans lesquelles ces jeunes grandissent. Ils veulent gagner à tout prix, même au niveau A. Le Nunavik, c’est 14 villages sans route pour les relier, des villages de taille différente pouvant aller de 250 à 2000 habitants, des villages qui ne peuvent pas avoir de structure de hockey mineur comme on en a partout au Québec. »

« ON Y A GOÛTÉ CETTE ANNÉE »

Juneau se retrouve parfois avec un ou deux surdoués par équipe parce que ces jeunes sont trop éloignés pour évoluer avec une équipe de double lettre à l’extérieur de leur région.

« Certains de nos jeunes ont évolué et ça va nous arriver à l’occasion d’avoir des équipes composées de joueurs de calibre AA ou BB. Cette année, deux de nos jeunes ont tenté l’expérience avec les Forestiers d’Amos, dans le midget AAA. Après quelques semaines, ça ne fonctionnait plus. Ils fréquentaient l’école en anglais au Nunavik et ils n’arrivaient pas à s’adapter à la polyvalente en français. Ils voulaient rentrer chez eux.

« On ne voulait pas les laisser végéter chez eux et on les a repris dans notre programme. Alors quand tu arrives dans un tournoi provincial et que tu as plein de monde qui est là pour gagner à tout prix, ils voient le Nunavik et ils sont incapables d’accepter et de comprendre notre réalité. On y a goûté cette année à grands coups de “fuck off”. Nos jeunes n’y comprenaient rien. »

« Comment tu peux chialer contre le Nunavik ? Tu visites leurs villages, ils n’ont presque rien. Ils ont une semaine de vrai hockey dans l’année. Est-ce qu’on peut leur foutre la paix ? Les laisser gagner ? »

— Joé Juneau

« Ç’a pris huit ou neuf ans pour réussir à avoir des équipes assez fortes pour gagner, et le jour où ça arrive, tu te fais traiter de tricheurs… »

Juneau a dû s’asseoir avec ses jeunes après le tournoi. « Il faut leur expliquer pourquoi ces adultes les engueulent. Je leur dis qu’il y a des ignorants à plusieurs endroits dans le monde, que ce ne sont pas nécessairement de mauvaises personnes, mais qu’ils font parfois des singeries. Au moins, les gens se le font dire un peu. Mais il y a toujours des gens, par jalousie, qui vont essayer de nuire aux autres. Il y a des soirs où tu rentres à la maison, tu te remets en question, mais si tu lâches, quel message envoies-tu à ces jeunes-là ? »

Juneau a même une relève. « Les jeunes grandissent. Ceux qui ont commencé dans les rangs atomes sont devenus midget ou junior et ils ont acquis des connaissances et des connaissances pour devenir de bons entraîneurs. On les garde dans le programme après leur expérience pour les faire grandir dans le coaching. Les voir donner leurs instructions aux jeunes, dans leur langue, à un tournoi international est de toute beauté ! »

Joé Juneau explique son empathie et ce don de soi par l’éducation qu’il a reçue de ses parents, Lise et Georges.

« Nous n’étions pas très riches, mais nous n’avons jamais raté un match ou une pratique, mes deux frères et moi. Ils ont toujours trouvé le moyen de nous emmener partout. Je descends avec des équipes de jeunes depuis neuf ans, et mes parents viennent encore dans les estrades pour voir des jeunes du Nunavik jouer. C’est un message très fort. »

***

Malgré une maîtrise de l’anglais limitée, Joé Juneau a opté pour le hockey dans un collège américain après le cégep à Lévis-Lauzon. Il a joué au sein de l’équipe de hockey de l’Institut polytechnique Rensselaer, située à Troy, dans l’État de New York, et a décroché un diplôme en génie aéronautique en seulement trois ans.

Repêché par les Bruins de Boston au quatrième tour en 1988, il obtient 102 points à sa première saison, en 1991. Il passera ensuite aux Capitals de Washington deux ans plus tard, et au Canadien en fin de carrière.

« Mes premiers moments à Boston demeurent mémorables. J’ai pu jouer avec les Bourque, Neely et Oates. Atteindre la finale avec les Capitals de Washington en 1998 constitue aussi un précieux souvenir. Mais rien ne battra l’expérience de la médaille d’argent aux Jeux olympiques d’Albertville. »

Des regrets ? « Terminer sa carrière à Montréal fut incroyable pour le Québécois que je suis. Mais tu joues toujours blessé et diminué en fin de carrière. J’aurais aimé ça jouer à Montréal en meilleure forme, pouvoir en donner plus sur le plan offensif. On a cependant participé aux séries deux fois en trois ans et j’ai vécu plein d’histoires fascinantes sur le plan collectif, dont celle du retour au jeu de Saku Koivu. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.