Chronique

Bronfman et la gestion des attentes

En mars 2017, Stephen Bronfman a expliqué pourquoi son groupe demeurait discret à propos du projet de retour des Expos : « On ne veut pas gonfler les attentes. »

Deux ans plus tard, le changement de cap est saisissant. Dans ses propos de lundi, Bronfman a lui-même augmenté l’espoir de retrouver les Z’Amours. Après son point de presse, les titres dans les médias ont donné la mesure de son enthousiasme. Cela a nourri le sentiment que Montréal est près du but. « On a patienté longtemps, mais cette année, il y a un feeling particulier », a-t-il expliqué.

Les promoteurs rêvant d’une équipe sont habituellement prudents dans leurs commentaires publics. Peu importe le sport, ils ne veulent pas froisser le tout-puissant Bureau du commissaire. Dans le projet de retour des Nordiques à Québec, par exemple, on sent très bien cette dynamique.

Voilà pourquoi la candeur de Bronfman m’a surpris. D’une part, il n’a pas hésité à ajouter Miami à la liste des marchés du baseball majeur où « ça ne va pas super bien ». Cela demande de l’audace puisque les Marlins ont de nouveaux propriétaires dont fait partie Derek Jeter, une légende du sport. D’autre part, comme l’a rapporté mon collègue Pascal Milano, il a rappelé que Montréal était plus gros et plus prêt que tous ses adversaires potentiels dans la course à l’obtention d’une équipe.

Pour s’exprimer ainsi, Bronfman est à l’évidence animé d’une confiance exceptionnelle.

C’est signe de la qualité de ses liens avec le commissaire Rob Manfred. Et il montre beaucoup d’habileté politique en positionnant Montréal comme une solution aux problèmes du baseball majeur dans certaines villes. « Ils ont des dossiers un peu troublants et ici, à Montréal, la ligue a une réponse potentielle. »

Voici donc la ville qui, en 2004, a laissé partir ses Expos dans une indifférence quasi totale, subitement transformée en bouée de sauvetage pour cette industrie milliardaire. Non, Bronfman ne manque pas de cran.

***

Au-delà des mots, la manière dont Bronfman mène le dossier est impressionnante. Il a obtenu l’appui de Valérie Plante en lui assurant que les contribuables ne seront pas mis à contribution dans la construction du nouveau stade. Aujourd’hui, la Ville appuie l’initiative. La réception de lundi à l’hôtel de ville, où les anciens Expos ont été honorés, représente un symbole puissant. Tout comme la présence de la mairesse au match d’hier.

Le rôle de la Ville, a-t-elle dit, est de « faire en sorte que ce projet soit bon pour l’économie, bon au niveau de l’acceptabilité sociale, bon au niveau de l’intégration du tissu urbain » et de s’assurer « qu’il atterrisse bien ».

Quant au développement du site où serait bâtie la nouvelle demeure des Expos, une entente se dessine entre les deux promoteurs intéressés, soit le groupe Claridge de Bronfman et la firme Devimco. C’est une nouvelle importante puisqu’un conflit ralentirait le processus, créerait des divisions et laisserait des traces. Or, la réussite d’un projet pareil passe par l’adhésion de toutes les parties prenantes.

L’alignement des astres est complété par l’attitude encourageante du gouvernement du Québec. Le premier ministre Legault est favorable au projet, un élément essentiel de l’équation. À la fin des années 90, la collision entre le gouvernement Bouchard et les propriétaires des Expos a représenté un écueil majeur dans la tentative d’assurer l’avenir de l’équipe.

***

Alors, tout est beau ? On se prépare déjà pour le premier « Play Ball » au bassin Peel ? Le projet avance bien, mais demeurons prudents. Des enjeux importants subsistent.

D’abord, malgré l’exaspération du baseball majeur face aux ennuis des Rays de Tampa Bay à obtenir un nouveau stade, n’écartons pas la possibilité d’un accord. Les villes américaines perdent parfois une équipe (St. Louis, San Diego et Oakland en sont des exemples récents dans la NFL) mais rarement sans se battre jusqu’au bout. Dans tous les cas, le propriétaire doit lui-même en avoir par-dessus la tête de son marché. On ignore si le proprio des Rays a atteint ce niveau d’exaspération.

Si les Expos ne reviennent pas à la suite d’un déménagement, une expansion est possible. Hier, un commentateur respecté d’ESPN, Buster Olney, a même raconté au réseau TSN que Montréal semblait en tête de liste pour obtenir une nouvelle concession.

Tout cela est très bien, mais posons tout de même la question : le baseball majeur élargira-t-il ses cadres avant de régler ses différends avec l’Association des joueurs ? Celle-ci est insatisfaite de certains aspects de l’entente actuelle.

Ensuite, sur le plan local, on sait tous que le projet de nouveau stade sera un dossier complexe. Comment le financement se réalisera-t-il ? Dans une affaire de cette envergure, les détails complexes sont nombreux et des points de litige demeurent possibles.

Enfin, si je crois que les foules seront au rendez-vous pour les matchs des Expos 2.0, j’éprouve des réserves sur la capacité de l’équipe à obtenir un contrat de télé locale assez lucratif pour se situer dans la moyenne de l’industrie.

***

De Mike Trout à Bryce Harper, des vedettes du baseball majeur ont signé des contrats fabuleux au cours des dernières semaines. Cette prodigalité a suscité de l’inquiétude : avec des salaires pareils, Montréal peut-il se payer une équipe des majeures ?

Aucun doute là-dessus ! À preuve, les Brewers de Milwaukee étaient au Stade olympique hier. Ils évoluent dans un des marchés les plus modestes du baseball et personne ne remet en cause leur existence. Leur masse salariale (129 millions en 2019, selon USA Today) est au 15e rang des majeures et leur permet d’aligner une équipe concurrentielle.

En clair, une équipe bien gérée peut offrir un excellent produit même si elle dépense moins que celles qui sont établies dans les mégapoles de New York et Los Angeles.

Alors oui, les Expos 2.0 pourraient s’épanouir à Montréal. Et peut-être que ce beau rêve se concrétisera. Après tout, Bronfman ne tente même plus – comme en 2017 – de modérer les attentes des gens. Au contraire, et peu importe qu’il s’agisse ou non de son objectif, il les augmente. Et personne ne connaît mieux que lui l’état du dossier.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.