Que sont-ils devenus ?

GUY THOUIN

Du Jazz libre au yoga de la vie

À 75 ans, Guy Thouin est le seul survivant du Quatuor de Jazz libre du Québec, une formation mythique tant par la place qu’elle a occupée dans l’évolution du showbiz québécois que par le caractère déjanté de sa musique… et de ses membres.

« Pour moi, tout s’est passé entre 1965 et 1971 », nous dira le batteur et percussionniste, rencontré à son domicile de Rosemont où il a encore une pièce insonorisée où il peut « piocher » à son goût. Ici, une batterie modifiée devant un gong de quatre pieds de diamètre ; là, des tablas avec d’étranges partitions de musique classique indienne que notre hôte traduit en sons : « Shlick-Ka-Tak-Kati-Katoung-Tak »…

Au début des années 60, Guy Thouin, Montréalais du Plateau, joue dans des orchestres de danse, circuit cha-cha-mambo où il rencontre le saxophoniste Jean « Doc » Préfontaine qui avait étudié la médecine, d’où son surnom « savant ». Puis arrivent le bassiste Maurice Richard et, le plus politisé des quatre, Yves Charbonneau : « Il disait : ’Ma trompette, c’est une mitraillette… ’ »

Le Quatuor de Jazz libre du Québec naît sous ce nom en 1967, l’année de l’Expo. « On était un peu tannés des boîtes à chansons avec les filets de pêche », se rappelle Guy Thouin en évoquant par ailleurs la célèbre Casa Pedro de la rue Crescent où jouait le Jazz libre devant la crème de l’underground montréalais… « Et quelques gars du FLQ », ajoute Thouin le rassembleur, dont le côté extrémiste se concentrait totalement sur la musique. Le Jazz libre était très, très free : pas de thèmes, peu d’accords, « pété raide »!

En 1968, c’est l’explosion ! « Charlebois était allé en Californie où il avait découvert Frank Zappa et, quand il est revenu, il se cherchait un band un peu out… » Mai 68, le Jazz libre, à qui se joint le guitariste Michel Robidoux – « Pour donner un peu de structure… » –, accompagne Robert Charlebois, Louise Forestier, Mouffe et Yvon Deschamps dans l’Osstidcho, au Quat’Sous : le spectacle québécois prend un chemin nouveau.

Puis s’enfilent, dans un désordre créateur, un disque avec Les Alexandrins, l’Osstidcho en tournée, la revue Peuple à genoux et le seul album enregistré par le Quatuor de Jazz libre du Québec et pour lequel Thouin, là aussi pour des raisons de « structure », avait invité le pianiste « Gros Pierre » Nadeau.

Au printemps de 1969, Charlebois, en pleine ascension avec Lindberg, se produit à l’Olympia de Paris avec Louise Forestier. Guy Thouin et les gars du Jazz libre sont du voyage, avec Robidoux et le pianiste Jacques Perron. L’affaire vire mal. « Tout était tout croche ! Les amplis sautaient tout le temps, c’était la chicane avec les techniciens français et nous autres, habitués à la bière, on tombait dans le vin à 10 h du matin. Booze et boucane… »

Ce « voyage » a été immortalisé dans le rockumentaire À soir, on fait peur au monde (François Brault et Jean Dansereau) où on voit notamment Louise Forestier engueuler les musiciens du Jazz libre : « Vous êtes toujours gelés ! » Guy Thouin, lui, commence à souhaiter une nouvelle orientation musicale, toujours free mais avec certaines balises…

Entretemps, il y avait eu la formation de l’Infonie et là, le batteur est formel : « Raôul Duguay n’était pas là au début ! Walter Boudreau, un excellent saxophoniste, m’avait contacté pour qu’on se joigne à son quatuor. Mes gars n’étaient pas très hot à l’idée de jouer avec des petits bourgeois de Sorel mais on avait accepté et c’est ma femme du temps, Micheline, qui avait trouvé le nom Infonie. »

La plupart des musiciens du groupe-happening suivent des cours de hatha yoga dans la rue Saint-Denis où ils se tiennent sur la tête à 9 h du mat’. Thouin « accroche » et se met à lire les enseignements du yogi Svatmarama :

« Comme bien du monde dans le temps, j’étais en quête de l’essence de la vie. »

— Guy Thouin

En 1971, alors que ses anciens collègues du Jazz libre, plus politisés que jamais, vivent dans la commune Le Petit Québec Libre dans les Cantons de l’Est, Thouin part pour l’Inde avec sa femme, qui y restera jusqu’à sa mort. Ils vivent dans l’ashram (commune religieuse) de Sri Aurobindo à Pondichéry, où se pratique « le yoga de la vie ». Il travaille comme boulanger mais, aux heures creuses, tâte des tablas et on lui trouve assez de talent pour l’envoyer étudier à Calcutta. « La musique, en Inde, se pratique dans un cadre quasi religieux : il y a le maître et les disciples. Moi, je venais du free jazz… et j’ai dit non à la tradition indienne. » Revenu au pays en 1976, il est retourné en Inde en 1982, dans la cité expérimentale d’Auroville – « une utopie réalisable si l’Homme évolue » –, où il a monté un band appelé l’Oiseau de feu.

Re-retour. En 1989, à la demande d’André Ménard du Festival de jazz, le Quatuor de Jazz libre du Québec devait se reformer mais le projet a avorté : grosse chicane Thouin-Ménard.

Aujourd’hui, Guy Thouin a toujours des plans pour son Heart Ensemble et joue encore parfois avec ses amis Brian Highbloom (qui a aussi participé au documentaire L’aléa du réel de Jules Bernier) et Raymon Torchinsky, des saxophonistes avec qui il a enregistré un vinyle l’an dernier. Le nom du trio : le Nouveau Jazz libre du Québec…

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