François Saillant quitte le FRAPRU

« Je vais continuer de militer, encore et toujours »

Pendant presque 38 ans, François Saillant a été manifestant de carrière. Le porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) prend sa retraite, tout en préparant de nouvelles pancartes et en espérant échapper à la politique.

Vous avez milité pour l’accès à un logis abordable pendant 38 ans. Qu’est-ce qui vous a incité à prendre votre retraite maintenant ?

J’ai 65 ans et ça fait un an que je mûris cela. Le temps est venu de me retirer, mais je vais continuer de militer, encore et toujours, pour le droit au logement – je pense bien m’impliquer dans le Comité logement de Rosemont – et pour les autochtones.

Comment en êtes-vous venu à devenir militant ? Vos parents l’étaient-ils ?

Mes parents étaient plutôt conservateurs. Nous vivions dans Saint-Sauveur, un quartier pauvre de Québec. Mon père était concierge à la Commission scolaire de Québec. Il a fait un peu de syndicalisme, mais je ne dirais pas que mon esprit militant me vient de lui. C’est surtout ma mère qui était vindicative. Il ne fallait pas lui « piler sur les pieds » ! Pour ma part, j’ai été péquiste, puis marxiste-léniniste dans les années 60 et 70, à une époque plus radicale qu’aujourd’hui. Ce radicalisme, j’en ai été imprégné.

C’était là les belles heures du grand militantisme social ?

Je ne suis pas du genre nostalgique. Ce qu’on a vécu au printemps érable, en 2012, je n’avais jamais rien vu de tel, même dans les années 70 ! La grosse différence, c’est qu’aujourd’hui, la mobilisation ne se fait plus qu’autour de grands idéaux, mais beaucoup en vue d’objectifs très précis : la lutte contre les hausses de droits de scolarité, contre un oléoduc, pour la préservation des CPE…

Être manifestant toute sa vie, est-ce que ça nourrit son homme ? Vous qui avez toujours porté la cause du droit au logement et défendu les pauvres, êtes-vous arrivé à assurer vos arrières ?

Depuis quelques années, au FRAPRU, on a un salaire un peu plus élevé qu’avant, et même un petit fonds de pension. Nous gagnons maintenant 44 000 $ par an. Par souci d’équité, au FRAPRU, nous avons tous le même salaire. Mais il y a eu beaucoup d’années où notre revenu était beaucoup plus modeste. Je ne suis pas pour autant très inquiet pour ma retraite. Je vis dans une coopérative.

La politique vous titille-t-elle ?

Les trois fois où je me suis présenté [sous la bannière de Québec solidaire], ça ne me disait pas trop de me retrouver à l’Assemblée nationale. La politique, ça n’a jamais fait partie de mon plan de carrière, mais je me disais que ce serait une bonne façon de défendre des idées, d’aider Québec solidaire à avancer. Je me disais que si jamais j’étais élu, j’allais devoir faire avec…

Quels sont vos souvenirs marquants au FRAPRU ?

Chaque fois que je franchis la rivière des Outaouais, l’hiver, je ne peux pas m’empêcher de vérifier si elle est gelée ! En 1992, quand Ottawa s’est désengagé du logement social, nous y avions campé, au pied du parlement. Bien sûr, avant d’inviter 400 personnes à manifester sur la rivière, nous nous étions assurés qu’elle était assez gelée, mais c’était quand même risqué !

Des arrestations ?

Trois fois. Une fois en 2001, lors d’un sit-in devant le bureau du ministre des Finances à Ottawa, deux fois dans l’affaire Overdale dans les années 80. L’administration Doré avait donné le feu vert à la construction de 800 condos de luxe, à condition que les personnes qui habitaient l’endroit – au coin de MacKay et René-Lévesque – soient replacées ailleurs par les promoteurs. Mais on n’avait évidemment jamais demandé l’avis aux résidants, et une communauté tissée serré comme celle-là, ça ne se replante pas comme ça ailleurs ! Quand les grues sont arrivées pour démolir un bloc, on s’est mis en dessous. C’est gros, une grue, vue d’en dessous !

Dans votre parcours, avez-vous eu de l’estime pour certains politiciens ?

Françoise David, Amir Khadir et Manon Massé font un travail colossal. Louise Harel a été une alliée en matière de logement, mais elle était aussi la ministre [de la Sécurité du revenu] quand le gouvernement a fait ses coupes dans l’aide sociale. Avant de reculer, entre autres après la condamnation d’un comité de l’ONU, le gouvernement avait même envisagé de saisir les chèques des gens qui n’avaient pas payé leur loyer.

La pauvreté a-t-elle changé au fil des ans ?

En nombre, il y a moins de personnes pauvres et la pauvreté est moins concentrée dans les mêmes quartiers. Pendant longtemps, les personnes pauvres habitaient dans le Sud-Ouest, dans Hochelaga-Maisonneuve, dans le Centre-Sud. Aujourd’hui, certains habitent toujours dans ces quartiers, mais aussi à Côte-des-Neiges, Saint-Léonard, Montréal-Nord, Anjou. En raison de l’embourgeoisement, on entend sur le terrain que de plus en plus de personnes sont contraintes de quitter Montréal et d’aller à Valleyfield ou à Sorel, mais il n’y a pas d’étude là-dessus.

Ça va tout de même un peu mieux sur le terrain, du moins au regard des statistiques ?

Ça irait mieux s’il n’y avait plus de pauvreté. Comment peut-on accepter qu’elle existe dans un pays riche comme le nôtre ? Pour éliminer la pauvreté, il faut s’attaquer à la richesse. Et je ne pense pas ici à la classe moyenne, mais à cette grande richesse qui est concentrée entre si peu de mains.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.