Agriculture

Le prix de la croustille

La pomme de terre a connu de meilleures années, celles où elle trouvait sa place tous les jours dans l’assiette des Québécois. Ces belles années sont derrière, et les producteurs québécois le savent bien. Et même si la pomme de terre est retirée de la liste des interdits de plusieurs gourmands bien avisés, le désir d’avoir de la diversité et de la couleur dans l’assiette ne l’aide pas beaucoup.

Dans ce contexte, les producteurs québécois ont besoin de tous leurs partenaires. Mais certains d’entre eux voudraient payer moins cher leur matière première. Yum Yum, notamment, qui est présentement en arbitrage devant la Régie des marchés agricoles. 

Yum Yum appartient à l’entreprise québécoise Krispy Kernels, située à Warwick, dans la région du Centre-du-Québec. Le différend l’opposant aux Producteurs de pommes de terre du Québec, une fédération de l’Union des producteurs agricoles, a débuté en 2014. 

« Nos relations sont difficiles avec Yum Yum », concède le directeur général de l’organisation syndicale, Clément Lalancette. Alors que le prix de la pomme de terre d’épicerie suit les tendances du marché, le prix de celle destinée à la transformation est fixé par une convention de mise en marché négociée entre l’acheteur et le vendeur, renouvelée tous les ans.

En 2014, les producteurs et Yum Yum ont eu un premier affrontement sur le prix. « Une cassure », dit Clément Lalancette. Le marché était défavorable aux agriculteurs à la suite d’une diminution du coût de production (le prix des intrants était en baisse) et de la hausse des rendements. « Nous savions que les prix étaient en baisse », rappelle Clément Lalancette. Mais, selon lui, les demandes de Yum Yum étaient démesurées.

Au départ, les producteurs étaient prêts à accepter un recul d’environ 2,5 % pour suivre la tendance des marchés nord-américains. La Régie des marchés agricoles a tranché en faveur de Yum Yum en accordant une baisse de prix de 9 %. Les producteurs ont contesté cette décision en Cour supérieure et sont revenus bredouilles. 

« Ça nous a ramenés à des prix d’avant 2009 », dit Clément Lalancette. L’histoire se répète maintenant : les deux parties se sont déjà rencontrées devant la Régie quatre fois. Les producteurs souhaitent rattraper les pertes, Yum Yum s’y oppose. L’entreprise québécoise n’a pas voulu commenter la situation étant donné que le processus d’arbitrage est toujours en cours. 

Il reste deux fabricants de croustilles au Québec, Yum Yum et le géant Frito-Lay avec qui l’association de producteurs dit avoir d’excellentes relations. Ce qui est une bonne chose, étant donné que Frito-Lay achète beaucoup plus de pommes de terre québécoises que Yum Yum, qui ne travaille plus qu’avec une poignée de producteurs locaux. 

« Nous fabriquons dans notre usine de Lévis des croustilles de marques Lay’s et Ruffles, en plus d’autres produits Frito-Lay. Et nous sommes très fiers de pouvoir dire que la majorité de nos croustilles fabriquées à Lévis sont faites avec des pommes de terre québécoises. » 

— Sheri Morgan, porte-parole de PepsiCo, propriétaire de Frito-Lay

« La Régie a créé un dangereux précédent en basant son prix sur la destination du produit », déplore Clément Lalancette, qui croit que le tribunal administratif a voulu favoriser une plus petite entreprise. 

« Pour nous, ça ne fait pas de différence dans le champ où va la patate, explique l’agriculteur Francis Desrochers, président des Producteurs de pommes de terre du Québec. Nos coûts de production sont les mêmes. » La ferme de la famille de Francis Desrochers, dans Lanaudière, a cessé de produire des pommes de terre destinées à devenir des croustilles précisément parce que le climat n’était plus agréable.

« C’est très décevant que ça arrive avec Yum Yum, une entreprise québécoise. On a l’impression qu’ils ne reconnaissent pas notre travail. » 

— Francis Desrochers, président des Producteurs de pommes de terre du Québec

Ce que craignent plus que tout les cultivateurs québécois est que le cas Yum Yum tire les prix vers le bas. Cette année, le prix payé par Frito-Lay sera également fixé par la Régie des marchés agricoles, les deux parties n’ayant pas pu s’entendre. C’est une première. « C’est certain que les patrons américains de l’entreprise observent la situation et veulent aussi payer le moins cher possible », dit Francis Desrochers.

Un petit acteur 

« La pomme de terre est un marché mature », rappelle Clément Lalancette. Comme la consommation à table diminue, la part du marché de la transformation est de plus en plus grande. Le Québec est la cinquième province productrice de pommes de terre et un tout petit acteur dans le marché de la croustille dominé par des super États producteurs comme l’Idaho et Washington dont le rendement par hectare est nettement supérieur à celui du Québec. Les prix qui sont décidés là-bas auront une influence énorme sur celui que recevra l’agriculteur québécois.

« Nous ne sommes pas des faiseurs de prix, nous sommes des preneurs de prix, illustre Clément Lalancette. Nous suivons les tendances. » Les grands acteurs, McCain par exemple, qui fournit McDonald’s, installe ses nouvelles usines dans ce coin de l’Amérique du Nord, dit-il. 

Heureusement pour les cultivateurs québécois, dans le cas de la pomme de terre, le poids joue en faveur des marchés de proximité. « Ça coûte moins cher de transport de déplacer des chips que des patates », rappelle Clément Lalancette, qui précise au passage que la qualité de la pomme de terre d’ici est nettement supérieure à celle produite chez nos voisins. Et que d’utiliser des produits locaux est toujours bon pour l’image corporative. Ça n’a toutefois pas empêché Humpty Dumpty de fermer son usine de Lachine en 2013.

Bonne année

L’année 2016 sera excellente pour les producteurs de pommes de terre québécois, après deux très mauvaises saisons. Le surplus de production au Québec et ailleurs en Amérique du Nord avait fait chuter les prix. La majorité des fermes québécoises ont été déficitaires en 2014 et 2015, selon Les Producteurs de pommes de terre du Québec. Cette année, les récoltes du Maine, de l’Île-du-Prince-Édouard et de l’Ontario sont plutôt mauvaises, car il y a eu des sécheresses, explique le président du regroupement, Francis Desrochers. Cela profitera aux agriculteurs québécois.

Production de la patate

Un long cycle de vie

Au Québec, les producteurs de pommes de terre plantent aux mois d’avril et mai, récoltent en août, septembre et octobre, selon leur emplacement, et écoulent leurs légumes dans l’année qui suit.

Production de la patate

Un marché partagé

La moitié des pommes de terre québécoises sont emballées et vendues en sac, directement au consommateur. Un peu moins de 40 % sont transformées. Elles deviennent principalement des croustilles et des frites, mais aussi des pommes de terre congelées. Une pomme de terre sur dix sert de semence. Elle sera donc replantée, dans les champs.

Production de la patate

Patate à numéro

Si vous êtes fous d’une croustille de la gamme Frito-Lay et que vous souhaitez la reproduire à la maison, vous serez déçus d’apprendre que c’est impossible. Car les géants de la croustille ont développé leurs propres variétés de pommes de terre. Les producteurs québécois qui plantent pour la multinationale reçoivent des semences à numéro, qui donnent des légumes plus petits, parfaits pour les croustilles !

Production de la patate

Consommation

Au Québec, 92 % des foyers ont acheté des croustilles l’an dernier avec un investissement en chips d’environ 60 $ par famille, en moyenne. C’est une consommation stable, selon les données de la firme Nielsen.

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