ÉDUCATION

Un guide pour la vie

Il y a de ces enseignants qu'on n'oublie jamais. À l'invitation de La Presse, d'anciens élèves ont retrouvé leur professeur pour leur témoigner de l'impact qu'ils ont eu sur leur vie.

un dossier d’alexandre vigneault

« Je devais te dire merci »

« Je n’ai jamais voulu enseigner », dit Serge Fréchette, qui a longtemps été musicien dans l’armée. Il a pourtant abouti dans une école. Un changement de vie qui lui a permis d’en changer d’autres.

« Je ne pense pas que je serais la personne que je suis sans le dévouement et la passion pour l’enseignement de Serge Fréchette », dit Stéphanie Dussault, à la fin d’un hommage à son ancien professeur de musique à l’école secondaire. Sa voix tremble depuis un moment lorsqu’elle conclut son témoignage de gratitude. Assis à ses côtés, l’enseignant à la retraite continue de faire ce qu’il a fait pendant une bonne partie de la lecture : il retient ses larmes.

« On le fait parce qu’on y croit. Je leur disais toujours : “Moi, je vous lance de l’amour et des étoiles et vous, vous me relancez des étoiles.” Je l’ai fait pour toi, je l’ai fait pour d’autres, dit-il à son ancienne élève après s’être retiré pour s’essuyer les yeux. Tu es la seule qui m’a rendu un hommage comme ça. C’est touchant. »

Stéphanie et Serge ne s’étaient pas vus depuis environ trois ans, c’est-à-dire depuis que la jeune femme de 22 ans avait quitté le cégep de Drummondville, où elle s’était inscrite après avoir été refusée dans un autre cégep. « J’étais insulté qu’elle ne soit pas prise », se rappelle l’ancien enseignant, qui habite la municipalité. Il était d’ailleurs prêt à monter au front pour que sa candidature soit réévaluée.

« J’ai dit à Stéphanie : “Soit on va à Lionel-Groulx, soit tu viens à Drummondville.” Je savais que si elle venait ici, la classe serait petite et qu’elle aurait la chance d’être mise de l’avant », dit-il. Elle a quitté la région de Lanaudière pour une ville où elle ne connaissait personne. « Mes parents m’ont laissée aller à Drummondville parce qu’ils avaient confiance en Serge », se rappelle la jeune femme, aujourd’hui étudiante en musicologie.

Coup de cœur

Contrairement à sa femme, Suzanne, aussi musicienne, Serge n’avait jamais envisagé l’enseignement avant que le Collège militaire royal de Saint-Jean ne ferme ses portes en 1995. Forcé de trouver un nouvel emploi, le militaire musicien a tenté sa chance au collège Esther-Blondin, à Saint-Jacques-de-Montcalm. « Je me suis laissé prendre au jeu, dit-il. J’ai eu un coup de cœur pour les jeunes. »

Ce fut réciproque. Stéphanie parle d’un enseignant dévoué, disponible, passionné et habile à créer des conditions d’apprentissage où chacun se sentait soutenu. « On passait tellement de temps au département [de musique]. On arrivait tôt le matin, on y allait le midi et le soir. On parlait de plein de choses dont on ne parlait pas avec nos parents. Alors, ça crée une relation plus profonde », estime-t-elle.

Si le professeur de musique était aussi disponible, c’est parce qu’il vivait à l’école… Son domicile se trouvant à Drummondville, l’ancien pensionnat s’était arrangé pour qu’il puisse dormir sur place quelques jours par semaine. Après le départ des dernières religieuses, Serge est même resté seul à vivre au collège. Stéphanie dit que ses camarades de classe et elles ont été « sous le choc » quand elles ont appris la nouvelle.

Une influence durable

Serge a enseigné pendant presque 15 ans loin de chez lui, ne revenant à la maison que les week-ends… et les mercredis soir, pour diriger la Symphonie des jeunes de Drummondville. Qu’il dirige toujours. Il s’est battu pour valoriser la musique à l’école, selon Stéphanie, et a multiplié les occasions pour les élèves de se faire entendre tant dans la collectivité que dans des festivals. Il les emmenait aussi à l’Opéra de Montréal, que la jeune femme fréquente encore.

Stéphanie s’est racheté un saxophone – instrument qu’elle a découvert au secondaire – il y a deux ans. « Il ne me quitte plus », dit-elle. Elle a mis de côté ses cours de chant lyrique, mais continue d’écrire des chansons.

« [Serge] a changé MA vie », écrit Stéphanie Dussault dans sa lettre d’hommage.

Peu après avoir franchi la porte du domicile de son ancien enseignant, elle le lui a répété, en ajoutant : « Je devais te dire merci. »

Serge, le prof qui ne voulait pas être prof, est visiblement heureux d’avoir été un bon accompagnateur. « Tu les regardes évoluer et tu évolues avec eux autres, dit-il à propos des jeunes. Je savais que je ne ferais par un musicien professionnel de chacun de mes élèves, mais c’est quoi, une école ? C’est un lieu pour apprendre à apprendre. Si on donne aux élèves les moyens d’aller chercher ce dont ils ont besoin, d’avoir confiance en eux et de savoir qu’on va les soutenir, on peut faire n’importe quoi. »

« Il m’a montré à avoir confiance en moi »

Richard ne veut pas se faire reconnaître. Il a écrit à LaPresse pour attirer l’attention sur un autre Richard. Son ancien professeur de français. Un homme qui a changé sa vie.

Richard écrit à Richard

« Je ne fittais pas vraiment dans mon milieu au secondaire. […] Je passais sous le radar de tout le monde ; autant des autres élèves que du corps professoral. Après quatre ans et des poussières dans cet environnement, j’avais pas pire perdu le contact avec la motivation. J’étais malheureux. Surtout, j’en étais arrivé au constat que je ne pouvais pas faire grand-chose de plus qu’être passif. Laisser le temps passer, laisser les gens être. Je ne savais plus trop, au fond, pourquoi j’étais là.

« Un jour, il y a un professeur qui m’a approché. Je passais sous le radar, mais j’avais quand même un sens de la répartie bien développé. Justement, il montait une équipe de débats oratoires. Je pense que c’était la première fois, ever, que quelqu’un me voulait dans son équipe.

« J’ai dit oui. J’ai dit oui, mais je n’étais pas certain. Richard l’a bien vu. Un jour, après une rencontre d’équipe, on en a parlé. »

« Il m’a fait comprendre qu’il voyait quelque chose en moi. Pour la première fois de ma vie, quelqu’un m’avait pris dans son équipe et, surtout, voyait que j’avais du potentiel. »

« Quelques jours plus tard, lors d’une compétition de débats, je suis allé au batte et j’ai sorti la balle du stade. Avec ma voix, avec mes idées. Sa job, c’était de m’enseigner le français, mais il m’a montré à avoir confiance en moi. Pas avec un beau 100 % dans un examen de grammaire ; juste en me disant qu’il croyait en moi.

« Il y a quelques années, je suis retourné le voir. Pour lui dire, pour lui expliquer. Je pense qu’il ne savait pas l’impact qu’il a eu. Même après la conversation, je ne pense pas qu’il peut comprendre. Encore aujourd’hui, je considère son soutien comme un jalon important de ma vie. Il y a un avant, et surtout un après. Surtout, surtout un après.

« Merci, Richard. »

Richard répond à Richard

« Être enseignant, c’est accepter d’être jugé. Positivement ou négativement. Quand un élève semble t’apprécier ou que ses parents te disent que, bizarrement, maintenant, il aime aller en classe de français, tu sais que tu fais bien ton boulot. Quand tu croises un ancien élève au centre commercial et qu’il te dit que, sans toi, il n’aurait pas terminé son secondaire, tu sais que tu as fait ton boulot.

« Quand un ancien ose écrire à La Presse pour dire que, par ce que tu as fait, tu as changé sa vie, c’est vraiment gratifiant, tu sais que tu as “sorti la balle du stade” ! Ça donne le goût de continuer de faire ce travail qui, à l’occasion, n’est pas de tout repos.

« Je me souviens très bien de ce garçon. Je lui ai enseigné en 3e, 4e et 5e secondaire et l’évènement dont il parle s’est passé en 5e secondaire. J’avais eu le temps de l’analyser, de voir qu’il était intelligent et qu’il était capable de prendre la parole devant un public.

« Quand il est revenu me voir lors des portes ouvertes de l’école, comme il y avait beaucoup de monde, peut-être que je n’avais pas saisi l’essence de son message, je n’avais pas compris l’impact que j’avais eu sur lui. Maintenant, à la lecture de son texte, je comprends et j’en suis vraiment fier. »

Faire une différence

En quittant le journalisme pour l’enseignement collégial, Pascale Millot souhaitait avoir une influence positive sur les jeunes adultes qui suivraient ses cours. Six ans plus tard, c’est réussi : une ancienne élève dit qu’elle lui doit « presque la vie ».

Sabrina (nom fictif) n’en menait pas large quand, vers la fin de son parcours collégial, elle s’est retrouvée dans la classe de Pascale Millot, enseignante en littérature. Avant d’entrer au cégep, elle avait été victime d’abus et de harcèlement psychologique de la part d’un entraîneur. « Rien n’avançait côté justice et la police ne voulait rien savoir », écrit-elle. Qu’a-t-elle fait de plus que les autres, cette prof de lettres ? Elle a lui a tendu l’oreille.

« Elle était toujours présente pour moi, peu importe le moment de la journée. Elle me comprenait, m’aidait à trouver des solutions pour passer au travers des moments les plus difficiles », écrit Sabrina, dans son courriel à La Presse. Pascale l’a accompagnée tant sur le plan personnel que scolaire. « Je n’aurais jamais été capable [de passer mes cours] sans elle, insiste Sabrina. Elle a mis de côté sa tête d’enseignante pour me parler comme si elle était ma mère. »

« C’est très touchant, admet Pascale. L’enseignement étant pour moi une deuxième carrière, l’attention de cette étudiante est d’autant plus touchante. » Ce travail, l’ancienne journaliste l’a choisi parce que, à ses yeux, c’est l’un des rares qui ont un sens, et qu’elle voulait faire une différence. « Je trouve que le cégep est un moment où il est important que les jeunes se retrouvent devant un adulte signifiant – je n’aime pas le mot “modèle” –, devant une personne qui peut leur transmettre à la fois des connaissances et des valeurs. »

« J’ai prêté attention à son malaise, je l’ai validé en quelque sorte, sans jugement, ce que personne de son entourage ne semblait faire. » 

— Pascale Millot

Une classe, selon elle, c’est une version miniature de la société. « Nos élèves vivent toutes sortes de choses. Il y en a qui ne vont pas bien, qui vivent des choses difficiles : harcèlement, grossesse non désirée, violence, maladie grave », énumère l’enseignante. Son boulot, juge-t-elle, n’est pas seulement de donner des cours de français et de littérature, mais aussi d’aider ces jeunes à cheval entre l’adolescence et l’âge adulte à avancer dans la vie.

La relation pédagogique

« Lorsqu’il se passe quelque chose dans la vie d’un élève, ça entrave son apprentissage. Alors, d’une certaine manière, ça nous concerne », expose Pascale. Elle estime aussi que les élèves apprennent mieux lorsqu’ils ont le sentiment que les enseignants sont sensibles à ce qu’ils traversent. Est-ce nécessaire ? « Je pense que c’est un plus, dit-elle. En même temps, il y a plein d’excellents profs qui sont moins dans le relationnel et qui apportent beaucoup aux élèves. »

Pascale croit que la matière enseignée peut contribuer à définir la relation qu’un prof entretient avec ses élèves. La sienne, la littérature, explore la psyché humaine et peut placer les jeunes devant des drames ou déchirements qu’ils ont vécus. Ce genre de situation la rend peut-être plus susceptible de recevoir des confidences, songe-t-elle.

« Une professeure a habituellement le rôle de transmettre ses connaissances aux étudiants afin de les aider à avancer dans leurs études. Ce que Pascale Millot a fait est un geste héroïque pour moi, écrit encore Sabrina. Sans elle, qu’est-ce qui me serait arrivé ? Peut-être que je ne serais plus de ce monde ou peut-être que j’aurais été correcte quand même. […] Des leçons de vie, j’en ai eu beaucoup grâce à elle. Elle m’a, avec l’aide de thérapeutes, redonné le goût de vivre. »

De Lucien-Pagé à madame T.

Des dizaines d’autres personnes ont rendu hommage à un enseignant marquant par courriel ou sur Facebook. La Presse a sélectionné quelques-uns de ces bons mots.

Karine Melanson sur Guy Bernier

« Chaque jour, il pensait à dire à la fin de la journée : “Je vous aime.” Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris qu’il devait faire cela parce qu’il savait très bien que certains enfants de la classe n’entendaient pas souvent ces mots. »

Thi Tram Nguyen sur les professeurs de l’école secondaire Lucien-Pagé

« La pire école du palmarès ! Les professeurs ont été extraordinaires et ils nous ont guidés avec passion, patience et compassion, car nous étions des enfants d’immigrants de la première génération. Je ne remercierai jamais assez les professeurs qui nous ont soutenus et encouragés. Il ne faut pas que les professeurs décrochent, surtout dans les quartiers défavorisés, car les enfants réfugiés ont besoin de cette chance pour réussir. »

Isabelle Perreault sur Diane Beauchemin

« Je tiens à souligner le travail exceptionnel de cette enseignante de morale à la polyvalente Jacques-Rousseau, à Longueuil. Elle a su lire en moi une certaine tristesse que je cachais derrière un masque et m’a fait m’ouvrir et me libérer d’un fardeau. Quinze ans après cette présence, me voilà à faire exactement le même travail qu’elle. J’ai pu la côtoyer quelques années et avoir maintenant le privilège de la compter parmi mes amies. Merci ! Je ne serais pas la même femme sans elle ! »

Laura Gagné Marceau sur Angela Elias

« J’étais une petite fille timide, renfermée. Je n’avais pas beaucoup d’amies et j’avais peu d’estime personnelle. Par sa douceur et sa gentillesse, elle m’a encouragée petit à petit à lever la main pour répondre aux questions, à m’exprimer, à développer et entretenir des relations sociales, à vaincre ma phobie des évaluations orales. Elle récompensait mes efforts d’apprentissage par de petits diplômes (que j’ai encore en ma possession et que je chéris). […] Je suis aujourd’hui une femme de 30 ans qui travaille en communications. J’ai une facilité à m’exprimer devant de grandes foules et à aller vers les gens. C’est tout dire ! »

Stéphanie Villeneuve sur Thérèse Vachon

« Tous les élèves la surnomment madame T. Elle enseigne les mathématiques 436 à l’école secondaire du Plateau, à La Malbaie. En plus d’être enseignante, madame T. est une religieuse, elle est ceinture noire en karaté et on soupçonne qu’elle a trouvé la fontaine de Jouvence puisqu’elle ne prend pas une ride et qu’elle a enseigné à toutes les générations ! […] Personne ne connaît son âge, mais une chose est sûre : elle a toujours la même passion et le même dévouement chaque année. Madame T. est une légende dans Charlevoix ! »

Marianne Paquet sur Odette Lourdel

« La prof la plus inspirante, passionnée, à l’écoute et incroyable. Elle m’a tellement motivée à écrire et aimer la lecture. Son désir d’aider ses étudiants transparaissant dans tous ses gestes. Elle s’assurait aussi de nous garder en sécurité en nous enseignant le crochet (ouais, le crochet) à nous, la gang de filles de sixième année, parce que c’était un peu trop rough dans la cour d’école quelques fois… Merci, madame Lourdel ! »

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