Opinion Françoise Boivin

Quand piraterie rime avec garderie

Ou la difficile semaine du ministre Lacombe !

Le dossier du système de garderies au Québec n’est pas simple, et ce, même s’il fait l’envie du gouvernement fédéral qui aimerait bien l’importer dans toutes les provinces et territoires. Après avoir avoué en février dernier que des problèmes bureaucratiques empêchaient le développement du réseau des centres de la petite enfance (CPE), le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, disait être arrivé au bout de ses capacités à développer le réseau. La liste d’attente compte près de 50 000 enfants et des directeurs de CPE abandonnent leur projet de créer de nouvelles places, découragés par la bureaucratie au Ministère.

Le 12 mars dernier, le ministre annonce que Québec fait passer de 17 à 9 les étapes à franchir pour pouvoir ouvrir un CPE ou ajouter des places dans un établissement existant. Ces changements devraient permettre aux promoteurs d’ouvrir leur CPE en deux ans plutôt que trois.

Dimanche dernier, des éducatrices en garderie, fatiguées avant même le début de la pandémie, décident de manifester et de marcher pour crier haut et fort que le gouvernement ne valorise pas suffisamment leur profession. Cela entraîne une pénurie de main-d’œuvre et de places pour accueillir les enfants.

Pendant la pandémie, des milliers de places en milieu familial ont été perdues. Présentement, ce sont les familles du Québec et surtout les femmes qui en payent le prix.

Mathieu Lacombe estime que de 5000 à 7000 places subventionnées verront le jour dans la prochaine année. Je souhaite qu’il ait raison. La reprise économique du Québec, les familles québécoises et surtout les femmes dépendent de cette promesse.

Lundi dernier, le ministre Lacombe annonce aux CPE qu’ils pourront utiliser des locaux municipaux, des salles communautaires ou même des espaces en entreprise pour créer de nouvelles places plus vite.

Pendant la construction de leurs installations permanentes, un local temporaire pourrait servir à accueillir les enfants beaucoup plus rapidement. L’annonce pourrait aussi toucher les CPE qui vivent des délais de développement ou qui sont dans les premières étapes de réalisation. C’est presque 20 000 places à court terme.

La semaine commençait bien pour le ministre Lacombe. Et vlan, une brique monumentale le frappait en plein front. Le 11 mai, Tommy Chouinard de La Presse nous apprend que les renseignements personnels du ministre, de milliers de parents et d’enfants inscrits au guichet unique pour obtenir une place dans un service de garde ont fait l’objet d’une fuite.* La SQ et la GRC ouvrent une enquête criminelle sur ce vol de données.

Pour le ministre, les objectifs du vol étaient politiques et le visaient expressément. C’est l’opinion du ministre. Le premier ministre, quant à lui, attend la preuve à cet effet. Moi aussi.

Dans la liste des 5000 dossiers téléchargés, tout comme celui du ministre Lacombe, on retrouve le nom du parent, son numéro de téléphone, son adresse courriel, son nom d’utilisateur et sa date d’inscription à la Place 0-5. Il y a aussi la date de naissance de l’enfant et son numéro d’inscription au registre de l’État civil (NIREC). Le NIREC est le numéro d’identification de base de toute personne née au Québec.

Ni la coopérative qui gère la liste ni le Ministère n’étaient au courant de la fuite avant que La Presse ne les contacte lundi dernier.

Un lanceur d’alerte dont l’identité exacte est inconnue serait impliqué. Alerte sur quoi exactement ? Le nombre exact de noms sur la liste, la tentative de nuire au ministre ou encore la facilité d’accès à la liste ? Les résultats de l’enquête le diront bien un jour.

Selon Radio-Canada, des portes ouvertes sur les données et des passerelles entre systèmes informatiques permettent à des fournisseurs de logiciels destinés aux garderies d’accéder à de grandes quantités de renseignements personnels d’enfants et de parents. Le gouvernement et la coopérative qui gère la Place 0-5 avaient été avisés dès le début de 2020 des risques.

Le ministère de la Famille affirme qu’il ne s’agit pas de failles de sécurité, mais d’utilisation de données. Je ne suis pas certaine qu’ici il y ait une différence entre les deux. Le gouvernement Legault envisage de rapatrier le guichet unique au sein du Ministère. Ça vous rassure ? Pas moi.

Le gouvernement Legault, qui travaille à informatiser des données personnelles de nombreux Québécois dans le domaine de la santé et ailleurs, devra être certain de pouvoir offrir la protection requise, des garanties strictes quant à la protection de nos données. N’y a-t-il pas au sein du gouvernement un ministre délégué à la transformation numérique gouvernementale et ministre responsable de l’Accès à l’information et de la Protection des renseignements personnels ! Allo, Éric Caire !

En attendant, les parents de 86 000 enfants inscrits à la Place 0-5 devront attendre avant de savoir lesquels d’entre eux ont vu leurs données personnelles volées par un cyberpirate.

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