« Consommez-vous des médicaments d’ordonnance, de façon temporaire ou permanente ? Si oui, précisez », demande la Commission scolaire de Montréal (CSDM).
« Avez-vous des limitations fonctionnelles ou des séquelles permanentes ou temporaires tant physiques que psychologiques à la suite d’un événement personnel, d’un accident ou d’une maladie ? », s’enquiert le Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval.
Pour espérer avoir un emploi dans le réseau public de la santé ou à la plus grande commission scolaire du Québec – la CSDM –, des milliers de candidats doivent se mettre à nu et dévoiler tout antécédent médical ou tout problème de santé actuel.
Le gouvernement du Québec est très au fait que ces questionnaires sont très répandus dans le secteur public, au grand dam de la Commission des droits de la personne, de juristes et des organismes qui défendent les droits des malades.
« Une personne n’a pas à choisir entre la protection de ses droits fondamentaux et la possibilité d’avoir un emploi. »
— Stéphanie Fournier, avocate à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
Pour quelqu’un qui a besoin de gagner sa vie, là, maintenant, difficile, cependant, de protester en brandissant la Charte des droits et libertés, son droit à la vie privée et à ne pas être victime de discrimination.
« Votre candidature ne pourra être considérée que si vous répondez à toutes les questions du présent formulaire, prévient la CSDM dans le formulaire remis à une candidate à un emploi de bureau. Toute fausse déclaration ou omission peut entraîner le rejet de votre candidature ou, advenant votre embauche, la résiliation du lien d’emploi. »
S’ensuit toute une série de questions sur la médication, mais aussi sur tout problème musculo-squelettique, mental, visuel ou auditif.
Au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Laval, on assure que les questions médicales ne sont posées qu’après que la candidature de la personne est retenue. « Aucune question médicale n’est posée lors d’une entrevue d’embauche. Suite au processus d’entrevues, le candidat retenu reçoit une offre d’embauche conditionnelle à l’administration et à la révision d’un questionnaire médical qui pourrait s’en suivre », indique Pierre-Yves Séguin, porte-parole du CISSS de Laval.
Autrement dit, résume Me Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l’Université Laval quand on lui soumet la chose, « comme candidat, on vous a beaucoup, beaucoup aimé. Maintenant, vous n’avez plus qu’à accepter de répondre à ces questions très invasives », dit-il.
À son avis, aussi bien dans le cas de la CSDM qui y va directement que dans le cas du CISSS de Laval, on se trouve dans le territoire de la pré-embauche, où la Charte protège un candidat contre des questions discriminatoires.
« Pêche » interdite
Cela étant dit, ce n’est pas une protection complète pour tous. « Un policier peut avoir à passer un test d’endurance physique pour démontrer sa forme physique. Pour un poste de professeur à l’université ? Non », illustre Me Lampron.
Les questions qu’il est légal de poser dépendent donc notamment du poste convoité et de ses aptitudes absolument incontournables, de même que de la taille de l’institution. Une grande institution devra consentir à de plus gros accommodements pour accueillir une personne ayant une limitation qu’une mini PME, par exemple.
Mais ce qui est sûr, « c’est que l’employeur n’a pas le droit d’aller à la pêche et d’obliger un candidat à se livrer du tout au tout avec une question ouverte qui revient à demander : "Comment ça va" ? », résume Me Lampron.
C’est pourtant largement le cas. La Commission des droits de la personne entreprend présentement une bataille contre deux centres intégrés de santé et de services sociaux, ces méga-organismes publics qui voient à l’embauche de milliers de personnes à l’échelle de toute une région, chapeautant entre autres l’embauche de tous ceux qui postulent un emploi dans un CLSC ou un hôpital.
Quand on soumet le questionnaire du CISSS de Laval à Me Stéphanie Fournier, avocate à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, elle relève que c’est très représentatif des exigences faites aux candidats dans les autres CISSS de la province.
Fait à noter, au CISSS de Laval, le porte-parole Pierre-Yves Séguin nous indique que « tous les questionnaires ont été déposés à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse » afin d’assurer « la légalité des processus ».
C’est exact ? À la Commission des droits de la personne, on apporte cette nuance. Oui, il y a eu discussion avec le CISSS de Laval dans le cadre de l’implantation de son programme d’accès à l’égalité en emploi, mais la Commission n’a pas « validé quelque questionnaire que ce soit ».
Une pratique « endémique » en santé
En février 2017, le Tribunal des droits de la personne a épinglé le CISSS des Laurentides à la suite d’une plainte d’une psychologue qui avait été obligée de dévoiler une tachycardie et des problèmes d’anxiété, pourtant sans rapport avec son emploi.
La psychologue a obtenu gain de cause, le tribunal reconnaissant que l’employeur avait violé son droit à l’égalité en emploi, fondé sur le handicap, violé sa dignité et son droit à la vie privée.
Un an plus tard ce type de formulaires « demeure endémique, presque la norme dans le réseau de la santé », se désole Me Léa Pelletier-Marcotte, coordonnatrice du programme Droits de la personne et VIH-sida.
Pourquoi ? Coup de fil au cabinet de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, où l’on nous indique que la question n’est pas de son ressort. Coup de fil au Conseil du trésor et au ministère de la Santé : « Les CISSS, comme les commissions scolaires ont leur propre C.A. » et ces questions ne relèvent pas du gouvernement en tant que tel, même si ce sont des emplois dans le secteur public.
« L’embauche, c’est local, c’est hors de ma juridiction », nous a aussi dit le ministre de la Santé du Québec Gaétan Barrette, disant qu’on lui reproche déjà assez d’en mener trop large pour en rajouter.
Mais qu’en pense-t-il personnellement ? « Je souhaite qu’il y ait accès au travail [qu’une personne ait des limitations ou pas] », répond-il, tout en disant qu’il est raisonnable de s’attendre qu’une personne avec une tuberculose active, par exemple, le révèle.
La CSDM ne nous a pas rappelée. Une demande d’entrevue présentée il y a deux semaines auprès de sa présidente, Catherine Harel Bourdon, a été refusée.