LIVRE OSONS L’ÉCOLE

Conçue pour une autre époque, l’école n’est plus adaptée pour transmettre à nos enfants les nouvelles compétences et les savoirs indispensables à leur épanouissement et pour prendre pleinement part au monde complexe et en constante évolution d’aujourd’hui. À quoi ressemblerait l’école idéale si nous osions la créer ? Isabelle Senécal et Ugo Cavenaghi, du Collège Sainte-Anne, tentent des réponses.

Osons l’école – Des idées créatives pour ranimer notre système éducatif

Ugo Cavenaghi et Isabelle Senécal Éditions Château d’encre Montréal, 2017 144 pages

LIVRE OSONS L’ÉCOLE

Du modèle industriel à l'école du XXIe siècle

Le monde connaît actuellement une mutation profonde, mais qu’en est-il de l’école ?

Elle évolue beaucoup plus lentement que le reste de la société. Elle donne l’impression de se tenir hors de son époque, sourde à ce qui se passe de l’autre côté de ses murs. Une classe aujourd’hui ressemble à une classe d’il y a plus de cent ans : l’enseignante devant le tableau dispense son savoir à un groupe d’élèves du même âge, assis à des pupitres disposés en rangs. Tout cela dans un local fermé où la lumière naturelle se fait souvent rare. Lorsque vous fermez les yeux et tentez d’imaginer l’endroit idéal pour apprendre en 2017, est-ce vraiment ce que vous voyez ? Françoise Dolto, médecin et psychanalyste française, comparait l’école traditionnelle à une caserne. Elle affirmait que c’était un signe d’intelligence que de s’y ennuyer. […]

Bien qu’il nous paraisse intemporel, ce modèle de classe, qui est celui que la majorité d’entre nous avons connu, est daté historiquement.

Il a résulté de choix faits à la fin du XIXe siècle au moment de la révolution industrielle. Il visait la formation d’une future main-d’œuvre docile, dans une économie axée sur la production de masse.

Ce modèle n’a plus sa raison d’être aujourd’hui, dans une économie mondiale du savoir. Résumant les idées du grand pédagogue américain John Dewey, la philosophe américaine Martha Nussbaum explique qu’« en demandant aux élèves d’écouter passivement, on ne faillit pas seulement à développer leurs facultés critiques actives, mais on les affaiblit directement », car on les empêche de devenir des citoyens et des citoyennes capables de s’intégrer dans une société complexe, qui évolue rapidement.

En transformant le mode d’accès à l’information, les technologies numériques ont enlevé à l’école son monopole sur l’instruction. Les connaissances qui se trouvaient autrefois uniquement dans les livres et dans la tête des enseignantes sont aujourd’hui accessibles partout, à partir d’un appareil assez petit pour se glisser dans une poche. […]

Sachant que nous avons chaque jour accès à autant d’information qu’une personne qui vivait au Moyen-Âge n’en recevait au cours de sa vie, ce qui importe désormais, ce n’est plus de mémoriser des connaissances, mais de savoir reconnaître les sources dignes de confiance, dénicher les informations et faire des liens entre elles afin de leur donner du sens.

Dans l’histoire de l’humanité, il s’est rarement présenté un potentiel d’innovation comparable à celui qu’offrent les technologies numériques. Aujourd’hui, les jeunes peuvent suivre les cours en ligne offerts par les meilleures institutions du monde et visionner sur internet les conférences des plus éminents spécialistes. De plus, comme l’explique le chercheur français François Taddei, en diversifiant les sources de la connaissance et en favorisant l’échange entre un grand nombre de personnes, le numérique développe l’autonomie dans l’apprentissage. L’élève n’est plus « récepteur » du savoir, mais « auteur », « co-constructeur ». L’élève passe donc d’une posture passive à une posture active. Cette nouvelle donne oblige les enseignantes à revoir leur rôle, à découvrir où se trouve désormais leur plus-value.

Les technologies font également de nous des individus connectés les uns aux autres. Des plateformes web comme ChallengeU, qui permettent la création et le partage de contenus d’apprentissage, invitent la communauté éducative à faire la transition d’une culture très individualiste à une culture où prévaut la collaboration. […]

Le code informatique est par ailleurs un langage, une « grammaire » à maîtriser pour participer pleinement à la société du XXIe siècle, puisque l’informatique est partout et que c’est désormais cette science qui permet de résoudre les problèmes auxquels l’humanité fait face. Il s’agit également d’une question de démocratisation du savoir et des outils de production. En effet, les jeunes issus de tous les milieux doivent avoir les moyens de devenir les acteurs de cet environnement numérique, et pas seulement les utilisateurs d’applications que d’autres auront créées. […]

Notre système d’éducation continuera-t-il encore longtemps à ignorer le potentiel inestimable des technologies numériques et à priver les élèves des possibilités extraordinaires qu’elles présentent ?

À l’heure actuelle, le virage numérique effectué par les écoles consiste trop souvent en un simple argument marketing ; les pratiques n’évoluent pas en conséquence. En classe, il ne s’agit pas d’utiliser une tablette tactile ou un ordinateur portable comme si c’était un cahier d’exercices. Il n’y a rien de plus désolant qu’une enseignante qui dispense un cours traditionnel devant 36 élèves rivés à leur écran. Le potentiel de distraction d’internet est bien réel, et au bout de 10 minutes, les jeunes n’écoutent plus. […]

Le passage du modèle économique industriel à une économie du savoir propulsée par le numérique n’est pas la seule raison qui amène à constater l’obsolescence du modèle scolaire classique. Nous devons également prendre acte du fait que la nouvelle génération d’élèves a des besoins différents, auxquels les méthodes traditionnelles ne répondent plus.

On surnomme génération Z (pour zapping) la génération d’enfants nés entre 1995 et 2010. Ces jeunes ont grandi avec les technologies numériques. Quand vous les emmenez quelque part, la première chose qu’ils et elles demandent, c’est s’il y aura du wifi ! […]

Les enseignantes constatent chaque jour que leurs élèves réagissent autrement que ne le faisaient les jeunes du même âge il y a seulement quelques années. Les enfants, les adolescentes et les adolescents d’aujourd’hui questionnent, argumentent, perdent vite l’intérêt pour des tâches qui ne leur paraissent pas pertinentes. Selon un sondage de la Fédération des établissements d’enseignement privés, réalisé en 2010 auprès de 44 000 élèves du secondaire, seulement 45 % des élèves se disaient motivés à l’égard de leurs études.

La technologie est là pour rester, et nous ne devons pas la repousser hors de l’école. […]

Malheureusement, l’école traditionnelle favorise le travail individuel et encourage la compétition plutôt que la collaboration, alors que les recherches en sciences de l’apprentissage démontrent que la collaboration entre pairs rend les apprentissages plus efficaces. Il s’agit par ailleurs d’une compétence très prisée dans le milieu du travail.

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