Chronique

La « taxe de Bienvenue » plus indigeste que jamais

La « taxe de Bienvenue » avait déjà de quoi couper l’appétit des acheteurs de maison. Mais depuis un an, elle est encore plus indigeste.

Parlez-en à Benoit, qui vient d’acheter une maison de 985 000 $ à Saint-Basile-le-Grand. Après avoir signé l’offre d’achat, le couple a eu une vilaine surprise lorsque son notaire l’a rappelé pour lui dire que les droits de mutation immobilière s’élèveraient à 20 500 $, soit 7200 $ de plus que prévu.

« On était un peu stupéfaits ! », lance-t-il.

Le plus enrageant, c’est que si Benoit avait acheté dans la rue voisine qui se trouve sur le territoire de Saint-Bruno-de-Montarville, il n’aurait payé que 13 300 $ en droits de mutation.

Étrangement, Benoit se retrouve même à payer une facture plus élevée que s’il avait acheté une maison à Montréal, où les droits de mutation auraient été de 15 700 $.

Et ce n’est pas parce qu’il paie plus cher que Benoit a droit à davantage de services. Au contraire, il ne peut mettre à la rue qu’un seul bac d’ordures toutes les deux semaines. Avec trois enfants, ce n’est pas énorme !

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Les notaires et les courtiers immobiliers ne sont pas encore tous au courant, mais Québec a autorisé les municipalités à hausser leurs droits de mutation dans le cadre du projet de loi 122 qui visait à leur accorder plus d’autonomie et de pouvoirs.

Un an après avoir eu le feu vert, la moitié des 30 plus grandes villes du Québec se sont dépêchées d’imposer une surtaxe, comme je l’ai constaté en passant en revue leurs règlements.

Auparavant, les droits de mutation étaient établis en fonction de la valeur de la propriété, selon un pourcentage qui grimpait jusqu’à 1,5 % maximum. Seule la Ville de Montréal était autorisée à imposer un taux plus élevé sur la valeur de la maison excédant un demi-million de dollars.

Désormais, plusieurs villes ont un taux supérieur à celui de Montréal. Par exemple, Sherbrooke, Lévis, Terrebonne, Granby, Saint-Hyacinthe, Mascouche et Salaberry-de-Valleyfield n’y sont pas allées avec le dos de la cuillère : elles imposent un taux de 3 % sur la valeur de la maison qui excède 500 000 $, soit le maximum permis par Québec.

D’autres villes ont été plus raisonnables. C’est le cas de Gatineau, qui a préféré appliquer le nouveau taux de 3 % à la valeur excédant un million de dollars, pour ne pas nuire au marché résidentiel.

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Certains me diront que cette surtaxe est un problème de riche. Mais avec l’ascension des prix de l’immobilier, il y a aujourd’hui 7 % des maisons unifamiliales qui sont vendues à un prix supérieur à 500 000 $ à travers le Québec. Du côté des « plex », plus du quart (27 %) des transactions dépassent la barre du demi-million, selon JLR solutions foncières.

Bien sûr, ces pourcentages sont encore plus élevés dans la grande région de Montréal. Près de la moitié des plex valent plus d’un demi-million. Et une maison unifamiliale sur sept coûte plus de 500 000 $. C’est énormément de sous pour les familles qui veulent devenir propriétaires.

Réunir assez d’argent pour faire une mise de fonds devient une vraie barrière. En plus, il faut prévoir les frais de notaire, le déménageur, l’ameublement, la tondeuse à gazon, alouette. Les factures entrent à coups de milliers de dollars.

Quand l’avis de « taxe de Bienvenue » atterrit dans la boîte aux lettres, la cour est déjà pleine. Alors ce n’est certainement pas en augmentant cette taxe honnie que les villes favoriseront l’accès à la propriété.

Déjà que le Québec est la province où la proportion de ménages propriétaires est la plus faible, à 61 % contre 68 % en moyenne au Canada.

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Il est vrai que Québec a instauré un crédit pour l’achat d’une première habitation dans son dernier budget. Ce crédit représente une économie d’impôts de 750 $, tout comme le crédit fédéral sur lequel il est calqué. Avis aux nouveaux acheteurs : n’oubliez pas d’aller chercher cet argent dans votre prochaine déclaration de revenus.

Mais l’Ontario est encore plus généreux avec un nouveau crédit bonifié dont la valeur peut atteindre 4000 $.

De leur côté, les villes font aussi des pieds et des mains pour faciliter l’accès à la propriété. Pas plus tard qu’en avril dernier, la mairesse de Montréal a doublé ses subventions pour séduire les familles, qui peuvent recevoir jusqu’à 15 000 $.

Mais à quoi bon accorder des crédits et des subventions si l’on augmente les droits de mutation par-derrière ? À quoi bon donner d’une main si c’est pour reprendre de l’autre ?

Au lieu de lancer des programmes qui ajoutent de la paperasse, il me semble qu’il serait plus simple d’enlever les embûches qui se dressent sur le chemin des acheteurs de maison, à commencer par la « taxe de Bienvenue ».

Cette taxe freine la mobilité sur le marché immobilier. Par exemple, elle décourage la famille qui veut déménager pour se rapprocher d’un meilleur travail ou pour avoir une maison plus grande après la naissance d’un enfant.

Même pour les villes, les droits de mutation ne sont pas parfaits. Ils ne leur permettent pas de diversifier leurs sources de revenus et de réduire leur dépendance à l’impôt foncier.

Alors que la campagne électorale bat son plein, on peut espérer qu’un parti politique voudra réduire ou carrément abolir la « taxe de Bienvenue », au moins pour les premiers acheteurs.

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