KENT NAGANO

Plaidoyer pour la musique classique

Au Québec, on connaît bien Kent Nagano, le chef d’orchestre. Nous connaîtrons bientôt Kent Nagano l’auteur, puisque son premier essai, d’abord publié en Allemagne, vient d’être traduit en français. L’ouvrage paraît cet automne chez Boréal. Le maestro y livre un plaidoyer pour la musique classique et une place accrue pour les arts dans la société.

Quand il était petit, Kent Nagano, qui est né en Californie, vivait dans un modeste village de pêcheurs du nom de Morro Bay. Un jour, un professeur d’origine géorgienne qui avait fui l’Union soviétique débarqua au village au volant d’une Volkswagen. Musicien et pédagogue, il allait transformer Morro Bay en oasis musicale en formant un orchestre scolaire et en enseignant la musique à tous ceux qui voulaient bien se laisser gagner par son enthousiasme. C’est avec ce récit que commence Sonnez, merveilles !, que le chef d’orchestre a écrit en collaboration avec la journaliste allemande Inge Kloepfer.

Tantôt autobiographique, tantôt philosophique, l’essai aborde les grands enjeux de la place de la musique classique et des arts à une époque où tout se réduit de plus en plus aux impératifs économiques. Des questions qui préoccupent énormément Kent Nagano. Il s’inquiète non seulement pour les États-Unis, où plusieurs orchestres ont fermé leurs portes au cours des dernières années, mais aussi pour ce qui se passe ailleurs. Même en Allemagne, d’où provient une grande partie du répertoire et où la musique classique fait partie de l’identité culturelle, des institutions sont menacées.

« J’ai été assez provoqué par un changement graduel d’attitude et de discours de la part de politiciens, aux États-Unis, dit Kent Nagano. J’ai entendu pas mal de candidats à des élections soulever la question de la pertinence de la musique classique au XXIe siècle, et dire qu’il fallait peut-être admettre que c’était réservé à une petite partie de la société, une élite éduquée qui a les moyens d’accéder à la culture. Ce discours me dérange énormément, et j’ai commencé à donner des conférences sur le sujet, surtout en Allemagne. C’est alors qu’on m’a suggéré d’écrire un livre. »

Pour lui, la menace qui plane sur les arts et la culture provient, notamment, du fait qu’au-delà des beaux discours, nos sociétés placent de plus en plus l’économie au-dessus du social et l’utile au-dessus de l’épanouissement humain et personnel.

« Un exemple est très révélateur : celui des tests de classement de l’étude PISA qui est menée aux trois ans par l’OCDE. On y mesure la qualité de l’enseignement des différents systèmes d’éducation à l’aide de tests qui évaluent les aptitudes des élèves en mathématiques, en sciences et en écriture. Les pays sont ensuite classés selon les résultats. Or, les aptitudes pour les arts et la musique ne font pas partie des tests. Même la connaissance de langues étrangères compte à peine. C’est une façon très étroite de concevoir l’éducation. Mais qui décide cela ? Qui décide que les arts seront réservés à une élite ? Quel impact cette conception du monde aura-t-elle sur les politiques d’éducation ? »

Selon Kent Nagano, chaque enfant, quel que soit son milieu social, doit avoir accès aux arts et à la musique.

« Grâce à l’apprentissage de la musique à un jeune âge, comme j’ai eu la chance de le faire quand j’étais enfant à Morro Bay, on apprend une foule d’autres choses qui servent toute la vie : utiliser les mathématiques, fonctionner en groupe, faire preuve de leadership, écouter les autres, et ainsi de suite. Quand on parle à de grands leaders dans leur domaine, par exemple l’astronaute Julie Payette, on découvre souvent que la musique a eu un grand impact sur leur vie et leur cheminement. »

Dans son livre, Kent Nagano parle aussi des grands compositeurs qui l’ont marqué : Bach, Beethoven, Schoenberg et Messiaen, entre autres.

« Ce sont des compositeurs qui ont eu un impact énorme sur l’évolution de la musique. Ma liste de départ était bien plus longue, mais l’éditeur m’a obligé à en enlever ! J’ai pleuré quand ils ont coupé mon chapitre sur Mozart ! » — Kent Nagano

À lire son livre, il semble que la vie de Kent Nagano ait été une quête infatigable pour comprendre la musique et la défendre.

« Ce que je voudrais que l’on retienne, c’est que la musique, en particulier classique, a été étroitement liée à l’évolution de notre civilisation. Il y a aura des conséquences si on sous-estime sa pertinence pour le XXIe siècle. »

La rencontre avec Kent Nagano a lieu dimanche, 12 h 30, à la Place Confort TD.

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