Burundi

Retour aux rues de Ngozi pour un Burundais de Québec

Ils ont parfois à peine cinq ans. Orphelins ou simplement chassés de chez eux, ils se retrouvent à la rue. Littéralement. Réduits à mendier ou à commettre de petits délits. Mais à Ngozi, dans le nord du Burundi, quelqu’un s’occupe d’eux. Un Burundais qui vit maintenant à Québec. La rue, il la connaît. Il y a grandi.

NGOZI, Burundi — Le soleil plombe sur la cour, en ce milieu d’avant-midi. Abdoul Irakoze frotte vigoureusement une Toyota Spacio bleu foncé, tachée de cette terre ocre qui recouvre les routes poussiéreuses du Burundi. Le garçon de 17 ans fait partie de la dizaine d’enfants de la rue qui travaillent au lave-auto de Ngozi, le seul de la deuxième ville du Burundi.

Le « car wash », comme on l’appelle ici, a été construit sur la route nationale, qui traverse la ville. Il permet à ces adolescents abandonnés à eux-mêmes d’avoir un revenu. L’objectif est de leur permettre de se trouver un toit. C’est d’ailleurs la seule condition d’embauche : qu’ils quittent la rue.

C’est Kira, une petite organisation non gouvernementale (ONG) mise sur pied par Diomède Niyonzima, un Burundais qui vit aujourd’hui à Québec, qui a loué le terrain et construit le lave-auto, en mars dernier. Une suite logique pour ce jeune trentenaire qui s’occupait déjà de six enfants de la rue avant d’immigrer au Canada, en 2011.

« Chaque samedi et dimanche, je les traînais dans ma voiture, on allait au marché, on faisait les courses, on jouait au soccer et on se préparait à manger. »

— Diomède Niyonzima

Après avoir rejoint sa conjointe et leurs enfants à Québec, il s’est inquiété pour ses anciens protégés. L’idée de fonder Kira est née lors d’une discussion dans un bar.

À coups de billets de 20 $ donnés par ses amis, il a pu continuer à aider les enfants de Ngozi, par l’entremise d’un ami là-bas. Mais le nombre de bouches à nourrir augmentait. « Ces repas hebdomadaires, ça aidait les enfants, explique-t-il, mais il fallait qu’on passe au niveau supérieur et qu’on trouve comment les sortir de la rue. »

Si Diomède Niyonzima se préoccupe autant du sort des enfants de la rue, c’est qu’il est lui-même passé par là. Lors du génocide de 1993, au Burundi, il a perdu 43 membres de sa famille, dont ses parents. Il avait 13 ans. « Je suis resté quatre à six mois dans un camp de déplacés, où je voyais les gens mourir de faim, de soif, du choléra », raconte-t-il.

Un jour, pour fuir, il s’est accroché derrière le camion qui apportait l’eau au camp. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à Ngozi, dans la rue.

« Il a fallu que je survive comme ces autres enfants qui sont dans la rue aujourd’hui. »

— Diomède Niyonzima

Un coiffeur l’a pris sous son aile, lui permettant de dormir dans son commerce à condition de passer le balai. Puis il a appris à coiffer, ce qui lui a permis de reprendre les classes. « J’allais à l’école le matin et l’après-midi, je coiffais pour gagner l’argent pour me nourrir et pour m’acheter un stylo ou autre chose. »

S’INSPIRER DE LA COUTUME DE LA DOT

Pour 3000 francs burundais (2,25 $), soit environ le coût de deux grandes Primus, la bière de l’Afrique des Grands Lacs, les automobilistes peuvent faire laver leur voiture en ville, au lieu d’aller dans la rivière. Un tiers de la somme va aux jeunes de la rue, un tiers à leurs encadreurs et le dernier tiers à Kira.

Ces fonds ainsi que les dons recueillis au Québec permettent de trouver une famille d’accueil aux jeunes enfants de la rue, de 5 à 15 ans, et de les envoyer à l’école. Et l’ONG s’est inspirée de la tradition burundaise de la dot pour faire fructifier son œuvre : plutôt que de donner de l’argent aux familles, elle leur remet une vache ou des chèvres. En échange, le premier veau (ou chevreau) doit lui revenir, afin qu’elle puisse le donner à une autre famille, qui accueillera un autre enfant.

Dans le huitième pays le plus pauvre de la planète, où « les services sociaux n’existent presque pas », se désole Diomède Niyonzima, l’idée plaît tant aux autorités qu’aux commerçants. Ces derniers notent « moins de mendicité » depuis l’ouverture du lave-auto, en mars dernier, affirme Alphonse Ndagijimana, président du conseil d’administration de la branche burundaise de Kira.

Diomède Niyonzima aimerait voir Kira prendre de l’ampleur et aider d’autres enfants qui vivent dans la rue, dans d’autres villes du Burundi. « Moi je ne fais que semer une graine, dit-il. Je ne veux pas sauver le monde, mais cette graine, une fois arrosée et entretenue, elle donnera des fruits. »

CLAUDINE, 14 ANS, FUTURE MÉDECIN

Quand sa mère est morte, en 2008, Claudine Ndayisenga croyait qu’elle continuerait à vivre avec son père. Mais sa nouvelle épouse, elle, ne l’entendait pas ainsi : elle a chassé Claudine de la maison. Âgée de 8 ans à l’époque, la petite s’est retrouvée à la rue. Selon l’organisation Kira, il y aurait environ 150 enfants comme elle dans la rue, à Ngozi.

Une famille du coin a pris Claudine en charge, il y a un peu plus d’un an. En retour, Kira lui a fourni quatre chèvres, un don non négligeable, considérant que chaque bête coûte 150 000 francs burundais (112 $). Claudine a donc pu reprendre l’école. Aujourd’hui, âgée de 14 ans, elle n’est qu’en cinquième année, puisqu’elle a pris du retard lorsqu’elle était dans la rue. Mais elle réussit bien, quoi qu’elle en dise. « Je suis arrivée 14e sur 64 » à l’examen de fin d’année, confie-t-elle en faisant la moue.

Plus tard, elle veut être médecin. Son objectif est d’autant plus réaliste qu’il y a une faculté de médecine à l’Université de Ngozi. Et Kira s’engage à suivre les enfants qu’elle aide jusqu’à la fin de leur parcours scolaire. En aidant ces enfants à s’en sortir, Kira espère qu’ils deviendront « des leaders dans la société » et qu’ils feront tout « pour changer les choses », dit Diomède Niyonzima, le fondateur de l’organisation, lui-même un ancien enfant de la rue. « Quand on a vécu quelque chose comme ça, on fait tout pour l’éviter aux autres. »

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