Kevin Lambert

« J’ai l’impression que c’est une blague »

Sélectionné pour quatre prix littéraires, dont le Wepler et le Médicis, le jeune auteur québécois est en train de se faire remarquer en France pour son roman Querelle de Roberval. Entrevue.

PARIS — Il était venu en France pour faire la promo de son livre Querelle de Roberval, rebaptisé Querelle pour le marché franco-européen. Il devait établir des contacts, faire deux ou trois entrevues, rencontrer quelques libraires indépendants.

Et voilà que la machine s’emballe. Après avoir été nommé pour le prix littéraire du journal Le Monde et le prix Sade, le voici en première sélection pour le Wepler et le Médicis, deux des plus prestigieux prix littéraires français.

Cerise sur le gâteau, Le Monde lui a consacré la semaine dernière sa une du cahier livres, vitrine inestimable pour tout auteur en quête de renommée.

Kevin Lambert, 27 ans, est le premier surpris par cette effervescence. Des prix littéraires français, il ne savait à peu près rien, si ce n’est « ces noms qu’[il voyait] sur les bandeaux des livres », dit-il.

Or, le voilà en plein tourbillon de l’actualité culturelle parisienne, assez loin, merci, de la petite ville du Lac-Saint-Jean et de l’usine en grève que décrit son roman.

« C’est plus que je n’aurais jamais espéré penser avoir. Quand on m’a appris la nouvelle, j’avais l’impression que c’était une blague. Que soit on se trompait de personne, soit on se trompait de livre… », confie le jeune auteur québécois, rencontré hier à la brasserie Wepler – où sera justement remis le prix du même nom dans deux mois.

À ce stade, Kevin Lambert se « fout » éperdument de gagner ou pas. Le simple fait d’être en sélection pour le Médicis et le Wepler garantit à son livre une exposition et une crédibilité qu’aucune campagne promotionnelle n’aurait pu lui apporter.

« À ma connaissance, ce n’est jamais arrivé qu’un roman québécois soit sélectionné sur quatre listes en plus de faire la une du Monde des livres. »

— Louis-Bernard Robitaille, journaliste et écrivain

« C’est un bon score, c’est un atout, c’est énorme », résume Louis-Bernard Robitaille, qui a suivi pendant près de 40 ans l’actualité littéraire à Paris.

Adaptation et appréciation

Querelle est paru en France chez Le Nouvel Attila, une petite maison d’édition audacieuse qui bouscule et connaît un certain succès (critique) depuis deux ou trois ans.

Outre l’adaptation du titre, quelques références trop québécoises et potentiellement confondantes pour le lecteur français ont été gommées ou remplacées par des équivalences. Un « scab » devient ici un « jaune ». Un « compte conjoint », un « compte commun ».

Ces légers compromis n’ont pas choqué l’auteur, qui a d’ailleurs pleinement collaboré, du moment que les ajustements « ne trahissaient pas le texte ». Pour le reste, que les inquiets se rassurent : Querelle n’a rien perdu de sa québécitude. Et encore moins de ses indiscutables qualités littéraires.

Kevin Lambert sait que le style vernaculaire de Querelle contribue à son « appréciation » en France. Mais son sujet (une usine en grève, vue par le prisme d’un bel ouvrier gai) interpelle aussi. Beaucoup posent ainsi la question de la lutte des classes, du monde syndical « hétéronormatif », que l’auteur oppose à celle de l’homosexualité.

Cette improbable dualité, abordée de manière frontale, voire assez crue, a visiblement titillé la critique.

Dans Le Monde, Jean Birnbaum voit ainsi le sexe de Querelle comme « un outil de sabotage » qui « dynamite le bel ordonnancement des langues de bois, discours amoureux ou paroles militantes », tandis que Télérama, magazine de référence, y voit un « récit magistral » où la sexualité devient une « arme politique ».

Tous, bien sûr, évoquent la référence à Jean Genet (Querelle de Brest, 1947), prime inspiration de ce Querelle québécois, dont le titre français renvoie par ailleurs au film Querelle de l’Allemand Rainer Werner Fassbinder, lui-même inspiré du livre de Genet.

Savourer le moment

On l’attendait fébrile, on le trouve au contraire plutôt calme. Son agenda se remplit, sans pour autant déborder. La vie continue. « Comme à Montréal, sauf que je suis à Paris », dit-il, en détaillant son quotidien « normal » : de longues marches, des siestes, des entrevues et son doctorat en création littéraire sur lequel il semble plancher avec assiduité.

Ironique : il ne sera plus en France pour les remises des prix Médicis et Wepler, respectivement prévues les 8 et 11 novembre prochain. À moins, bien sûr, d’être cité dans la liste finale. « On verra, je ne sais pas », dit-il, en terminant son allongé.

D’ici son départ, dans deux semaines, il poursuivra sa tournée des libraires en France et à Bruxelles.

Le prix Médicis est remis à un récit dont l’auteur débute ou « n’a pas encore une notoriété correspondant à son talent ». Le prix Wepler, plus intello, distingue un auteur contemporain « qui prend le risque d’une langue neuve ».

Pour les registres, deux Québécois ont déjà remporté le prix Médicis : Marie-Claire Blais en 1966 (Une saison dans la vie d’Emmanuel) et Danny Laferrière en 2009 (L’énigme du retour). Nelly Arcan avait été nommée en 2001 pour son livre Putain.

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