éducation

Apprendre à lire, écrire, compter et… coder

Dans le gymnase de l’école Paul-Jarry, dans le quartier Lachine, à Montréal, les élèves applaudissent spontanément : le robot sur la scène, Nao, vient de botter un ballon dans leur direction. La programmation de ce robot est plutôt complexe, mais ici, ce sont des enfants qui en prennent les commandes.

Dans cette école primaire, la plus défavorisée de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, tous les enfants apprennent à « coder ». Depuis environ un an, les élèves de la maternelle à la sixième année se familiarisent tous, sans exception, avec le langage informatique. Une initiative qui suscite la curiosité de plusieurs autres écoles.

« Plus tard, la majorité des emplois qui seront offerts à nos jeunes le seront dans les domaines des sciences, de l’ingénierie et des nouvelles technologies. Il y a deux ans, je me suis dit : il faut absolument qu’on embarque ! », résume la directrice de l’école, Christine Jost.

Passionnée, Mme Jost a convaincu tous les enseignants de l’école d’emboîter le pas. En utilisant des outils gratuits – l’application Scratch, le site Code.org –, toute l’équipe a ainsi intégré des bases du codage à son programme scolaire.

C’est ainsi que la petite Léanne, élève de maternelle, est arrivée à programmer elle-même un petit robot-abeille avec une application ludique sur une tablette. Devant des enfants de l’école, elle en fait la démonstration.

« Est-ce qu’elle bouge, ton abeille ? lui demande un élève plus âgé.

— Ben oui, elle va bouger ! », lui répond la fillette avec aplomb, en lissant le ruban dans ses cheveux.

Pour que ses camarades apprécient son travail, Léanne a fixé un feutre à son robot. Lorsqu’il se déplace sur une feuille de papier, il dessine les grands cercles, sous le regard satisfait de sa jeune propriétaire.

Sur des tablettes et des ordinateurs, les élèves apprennent graduellement la base de tout programme informatique.

« Ça donne d’excellents résultats. On est arrivés avec nos robots humanoïdes, et dans d’autres pays, ce sont des étudiants à l’université qui les programment. Ici, les élèves de cinquième année y arrivent. »

— Thierry Karsenti, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l’information et l’éducation

Le chercheur et son équipe se sont associés à l’école Paul-Jarry afin de documenter les effets de l’apprentissage du codage sur les élèves.

Au-delà de l’informatique

Devant leur ordinateur, Philippe et Peterly contrôlent le robot Nao à distance. « Vous pouvez montrer aux élèves comment le faire parler ? », leur demande M. Karsenti. Ils s’exécutent alors facilement. « Bravo », lance Nao à son jeune public. Puis, pour bonifier l’échange, les garçons ajoutent un mouvement des bras à la séquence.

« Moi, j’aime ça faire du code parce que ça ouvre beaucoup d’occasions pour plus tard. Quand j’ai commencé à en faire, je voulais toujours aller plus loin », explique Philippe.

Son camarade acquiesce : « Ça nous aide aussi pour les maths. Par exemple, il faut prévoir la position de notre robot sur… euh… comment ça s’appelle, déjà ? 

— Le plan cartésien ? suggère sa directrice.

— Oui ! Exactement ! Au moins, on sait à quoi ça sert, maintenant. J’avais du talent avec le codage au début, mais j’aime ça qu’on puisse relever des défis de plus en plus difficiles. »

Ce qui plaît à Thierry Karsenti, c’est justement cette intégration qui s’échelonne sur plusieurs années à l’école Paul-Jarry.

« Ça a un effet sur la réussite et la persévérance scolaire. »

— Thierry Karsenti

Après un peu plus d’un an à voir les enfants s’initier au codage, la directrice constate que les enseignants arrivent à arrimer ces nouvelles technologies au programme éducatif en place. « La résolution de problèmes, l’esprit critique, tout le travail collaboratif en réseautage, l’engagement, toutes des compétences du XXIe siècle ! s’enthousiasme Mme Jost. Quand tu comprends ça, tu comprends que ce n’est pas un ajout à la tâche [de l’enseignant]. À long terme, il va y avoir un impact positif sur les enfants. »

Un virage exportable

Christine Jost pilote ce projet dans le but de pouvoir l’exporter ailleurs. « Nos ordinateurs qui sont très “de base” peuvent fonctionner. C’est sûr qu’il faut réfléchir où l’on met l’argent que l’on reçoit pour les nouvelles technologies, mais la plupart des écoles ont au moins des ordinateurs et un accès au WiFi. »

Petit à petit, les bienfaits du codage convainquent d’ailleurs des enseignants de partout au Québec d’emboîter le pas, eux aussi. C’est le cas d’ailleurs de Louis Laroche, enseignant en 4e année à l’école Lanaudière, à Montréal. La Commission scolaire de Montréal tient depuis peu un projet-pilote dans quelques classes de son territoire, mais pour le moment, l’expérience s’avère positive. « Je vois le potentiel pour motiver les jeunes à l’école, note M. Laroche. J’ai vu leurs yeux s’allumer, tant chez les filles que chez les garçons ! C’est du bonheur pédagogique. Ils apprennent qu’il faut s’intéresser à ce qu’il y a autour de soi. »

Tous les intervenants s’entendent toutefois sur le besoin d’accompagnement des enseignants dans ce domaine. N’empêche, il est temps que les écoles québécoises s’adaptent à un monde ultra technologique, souligne Mme Jost. « Je ne sais pas jusqu’où on va se rendre, mais ça a un impact incroyable ! souligne-t-elle. Ce que je dis souvent, c’est qu’aujourd’hui, une école devrait apprendre aux enfants à lire, écrire, compter… et à coder. Je le vois comme ça ! »

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