Lumière bleue

Nos écrans nous rendent-ils aveugles ?

Une récente étude américaine a confirmé que la lumière bleue peut détruire les photorécepteurs de la rétine. Est-ce à dire que celle émise par nos téléphones peut rendre aveugle ? Ne sautons pas aux conclusions, tempèrent des ophtalmologistes.

Que dit l’étude ?

La lumière bleue peut détruire les photorécepteurs de la rétine, a établi une étude américaine publiée il y a quelques semaines dans Scientific Reports. Marie Carole Boucher, ophtalmologiste spécialiste de la rétine à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, explique que les chercheurs en sont venus à cette conclusion en exposant le rétinal (« une forme de vitamine A qui transforme la lumière en signaux électriques » qui produisent la vision) à de la lumière bleue, rouge, jaune et verte. Seule l’exposition à la lumière bleue a généré la production « de produits oxydants qui ont mené à la destruction des photorécepteurs ».

Un « ennemi » connu

Ce n’est pas d’hier que les scientifiques s’intéressent à la lumière bleue. Ses mécanismes et sa toxicité font l’objet d’études depuis la fin des années 60, c’est-à-dire longtemps avant l’avènement des ordinateurs personnels, des tablettes et des téléphones intelligents. En raison de la dangerosité potentielle de la lumière bleue, les chirurgiens insèrent déjà des lentilles qui la filtrent à la place du cristallin lorsqu’ils opèrent pour des cataractes. L’importance de la lumière bleue pour réguler le cycle circadien est aussi connue, de même que l’effet perturbateur de celle émise par nos écrans lorsqu’on les utilise dans les heures qui précèdent le sommeil.

Aveuglé par le bleu ?

« On sait depuis longtemps que si, en laboratoire, on expose longtemps et de façon concentrée une cellule à la lumière bleue, elle peut mourir et même devenir cancéreuse », dit Marie Carole Boucher. Et même si l’étude menée à l’Université de Toledo, en Ohio, confirme cette toxicité sur les photorécepteurs essentiels à la vision, il faut se garder de conclure qu’elle rendra aveugle. « Ce qu’on fait dans un laboratoire ne s’applique pas toujours à la vie de tous les jours », dit Ananda Kalevar, aussi ophtalmologiste. « Ce n’est peut-être pas significatif durant le cours de la vie d’un être humain », explique aussi Marie Carole Boucher. Détail capital : l’étude américaine ne porte aucunement sur la lumière bleue émise par des appareils électroniques.

Un effet écran ?

Pourquoi les écrans de nos appareils émettent-ils de la lumière bleue ? En gros, parce qu’elle est efficace et moins énergivore. « On voit mieux avec plus de bleu dans la lumière, c’est pour ça que [ces technologies] utilisent ça, résume Marie Carole Boucher. On n’a jamais diagnostiqué de maladie qu’on ait pu attribuer à cela. » Son collègue Ananda Kalevar abonde dans le même sens. « Les gens que je soigne pour une dégénérescence maculaire n’ont pas vécu avec ces appareils-là », dit-il. Aucune étude ne démontre un impact sur ce plan, assurent les deux médecins. Ananda Kalevar n’écarte toutefois pas la possibilité d’un effet à long terme : si une augmentation est constatée dans 10 ou 15 ans, « ça se pourrait que ce soit à cause des téléphones intelligents », précise-t-il.

Plus jeunes, plus vulnérables ?

Rien n’indique que la dégénérescence maculaire survient plus jeune qu’auparavant, assure par ailleurs Marie Carole Boucher. Elle dit cependant que si des effets négatifs de la lumière des écrans étaient démontrés dans le futur, les plus jeunes personnes seraient probablement plus vulnérables. D’abord parce qu’elles les utilisent de manière fréquente et prolongée et parce que leur œil filtre moins la lumière bleue. « Le souci, ce serait surtout chez les jeunes enfants, car leur cristallin est transparent, explique-t-elle. Toutes les lumières traversent l’œil et passent jusqu’à la rétine [chez eux], alors qu’en vieillissant, le cristallin se colore, s’épaissit, et il y a plus de bleu qui est absorbé. »

Des lunettes protectrices ?

L’inquiétude suscitée par la toxicité de la lumière bleue et la fatigue oculaire ressentie par certains attire l’attention vers des lunettes filtrantes. Marie Carole Boucher souligne que rien dans la littérature scientifique ne suggère d’en porter pour l’instant pour protéger ses yeux. Ananda Kalevar ne le recommande pas non plus, mais ne décourage toutefois pas ses patients qui veulent en faire usage. « Si on peut faire quelque chose pour protéger ses yeux et que ce n’est pas dérangeant, pourquoi pas ? », souligne-t-il. Le spécialiste dit n’avoir rien contre « l’effet placebo ».

D’autres façons de protéger ses yeux ?

L’American Academy of Ophtalmology ne recommande pas le port de lunettes filtrantes pour prévenir les effets nocifs de la lumière bleue ni pour soulager la fatigue oculaire. Elle donne tout de même quelques conseils destinés à protéger ses yeux et éviter les inconvénients liés à l’utilisation de technologies numériques : s’installer à 64 cm (25 po) de son écran d’ordinateur, réduire la luminosité avec un filtre mat si nécessaire, utiliser des gouttes si les yeux s’assèchent, ajuster la lumière de la pièce pour éviter de forcer des yeux et prendre des pauses selon la méthode du 20-20-20, c’est-à-dire fixer un objet ou un point situé à 20 pi de soi pendant 20 secondes toutes les 20 minutes.

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