Chronique

Merci, la terre et les vers de terre

Joel Salatin veut que vous commenciez à vous intéresser aux vers de terre. Que vous commenciez à les valoriser, à vous inquiéter de leur sort. 

« On est pas mal plus dépendants de leur santé que de celle de la Bourse », lance le fermier américain, pionnier et référence en matière de bio, mais surtout de cette agriculture qui veut propulser l’avenir sainement en s’ancrant dans les traditions et l’intelligence de la nature.

« Ils sont essentiels pour la qualité des sols », poursuit-il. Ils les aèrent, les remuent, ils mangent de la matière et la rejette, transformée, rendant la terre plus fertile. Ils font partie de ces éléments cruciaux du grand puzzle de la vie qui nous permettent d’exister sur notre biosphère. Il faut s’en occuper. On peut avoir le meilleur indice Dow Jones au monde ou posséder toutes les Tesla de la planète, si les vers ne peuvent plus vivre, on ne pourra plus manger.

Salatin, que j’attrape au téléphone alors qu’il marche sur ses terres de la vallée de Shenandoah, en Virginie, sera à Montréal demain pour parler de l’importance des sols – de leur richesse, de leur régénération, de leur rôle d’éponge pour l’eau et de réservoir de carbone – dans le cadre du Symposium Sols vivants, qui se tient au Marché Bonsecours pendant trois jours. 

Plusieurs centaines de personnes de plusieurs pays sont attendues, incluant des conférenciers américains et européens pour parler de cette ressource cruciale dont on se préoccupe trop peu. Car il est souvent question d’eau et d’air dans nos questionnements sur les changements climatiques et l’avenir de la planète. Mais de terre ? Il faut en parler.

L’agriculture industrielle, entre autres choses, est en train de la vider de sa richesse et, par sa façon de faire, d‘envoyer son carbone crucial dans l’atmosphère, là où il ne doit pas être.

Jadis, il y avait de 6 % à 7 % de matière organique naturellement dans le sol. Dans celle qu’on achète, bien grasse, pour nos potagers urbains, et dans celle de la terre de la ferme de Joel Salatin, il y en a 8 %. Maintenant, dans le sol, il ne reste plus que 1 % de matière organique, explique Salatin.

Or, sans carbone, le sol ne peut pas produire. Et sans carbone, sa capacité de retenir l’eau diminue. 

Avec trop de carbone, l’atmosphère se réchauffe.

Une des clés des changements climatiques est là.

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Qu’est-ce qui détruit nos sols ?

Le labour qui vient bouleverser sa structure et sa vie naturelle, les engrais chimiques trop acides, qui tuent les microorganismes dont la terre est remplie. « C’est du cannibalisme », dit Salatin. On tue avec ce qu’on croit bénéfique des microorganismes ressources qui le sont déjà. « Nourrir les sols aux engrais chimiques, c’est comme maintenir quelqu’un en vie avec un soluté », explique l’agriculteur. « Ça ne peut pas durer éternellement. ».

L’autre réalité qui détruit nos sols, c’est leur mise à nu. On doit arrêter de vouloir toujours tout arracher ou alors cultiver beaucoup plus densément. La pluie qui tombe directement sur la terre ne lui fait pas que du bien. Il faut lui laisser une armure végétale, ses protections. Dans une ferme moderne où on veut prendre soin de la terre, on pose des toiles protectrices sur le sol, des paillis. Et on utilise la terre intensivement, ce qui a comme avantage d’augmenter la productivité de chaque mètre carré.

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Mais comment fait-on marche arrière ? Comment ramener le carbone dans le sol ? Comment lui redonner sa richesse ?

D’abord, dit Salatin, en ramenant l’herbe à la place du grain dans l’élevage. 

Nos animaux nourris grassement aux grains – ou pire encore, aux farines animales – doivent redevenir herbivores. L’herbe pousse toute seule et revient toute seule, vivace, et elle peut nourrir en grande partie toutes sortes d’animaux. 

Ensuite, explique Salatin, il faut déplacer les animaux sur les terres des fermes pour qu’ils engraissent les sols un peu partout, pour qu’ils mangent un peu partout. Salatin est un adepte des poulaillers sur roulettes, des cochons qui se baladent en forêt et dont on encadre les zones de pâture avec des clôtures amovibles afin qu’ils ne se tiennent pas toujours aux mêmes endroits.

Et finalement, il faut s’occuper des forêts. « À cause de notre culpabilité pour tout le reste de ce qu’on inflige à la nature, on a une mentalité d’abandon », dit l’agriculteur. Or, les forêts ont besoin d’interventions, notamment pour laisser la lumière entrer, pour laisser les animaux circuler, pour prendre soin des arbres.

Et que fait-on du bois coupé ? Des paillis pour accueillir le fumier, dans l’étable, qui sera ainsi plus équilibré que ces fumiers liquides, trop acides, trop concentrés utilisés dans l’agriculture industrielle.

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Et nous tous qui vivons en ville, pouvons-nous aussi aider à prendre soin des sols ?

Oui, répond Joel Salatin.

D’abord, « allons dans la cuisine, apprenons à cuisiner des ingrédients frais ». Il faut acquérir une conscience et des connaissances.

Ensuite, « faisons quelque chose nous-mêmes ». Ça peut être du compost, un jardin d’herbes suspendu, une ruche sur le toit, quelques poules dans la cour. « Faites quelque chose en lien avec la merveille de la vie. »

Et troisièmement, « allez trouver la tribu de gens dans votre région qui se consacrent à la nourriture intégrale ». Des fermiers qui vendent des légumes naturels au marché du quartier, des cafés qui ne servent que de la nourriture équitable, des agriculteurs prêts à vous montrer comment faire pousser ceci ou cela naturellement. Paniers bios, ingrédients en vrac, jardins communautaires, décisions quotidiennes de ne pas gaspiller ou de payer le prix juste pour des aliments propres qui gardent la terre en santé… Les façons de participer au renouveau des sols et de l’agriculture sont multiples.

« Mais il faut changer nos habitudes », rappelle Salatin. « La définition de la folie, c’est de croire qu’on va obtenir des résultats différents en faisant la même chose. »

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