Être là

Parmi les doux plaisirs d’être le père d’un joueur de hockey de 12 ans, il y a bien sûr celui de se faire tirer du sommeil au tout aussi doux son du réveil à six heures du matin, un samedi…

Pour un entraînement !

Ça m’est arrivé une fois cette saison, la première de mon fils dans le hockey mineur. Les autres entraînements ont eu lieu plus tard que 7 h. Mais le plus dur, ce samedi-là, ne fut pas de me lever à 6 h 01 en me demandant pourquoi, mais pourquoi j’avais offert à l’héritier de l’enrôler dans une équipe, cette année…

Non, le plus dur fut d’être assis dans un aréna vide à 6 h 40, à 20 minutes du début de la « pratique ». Vingt minutes à fixer le vide avec pour seule trame sonore le ronronnement paresseux des néons.

J’ai pris une photo de l’horloge, « 6 : 41 » en chiffres rouges. J’ai mis la photo sur Twitter avec ces mots : « L’amour, c’est ça. »

Malgré l’heure inhumaine, ce samedi-là, mon fil Twitter s’est allumé : je n’étais pas seul…

Une mère m’a envoyé la photo de la glace vide d’un aréna. Elle aussi attendait le début de l’entraînement de son enfant.

Stéphane m’a envoyé une parodie de prière de Parent de Hockey TM qui se terminait ainsi : 

« Donne-nous aujourd’hui la force de rester éveillés

Pardonne-nous de nous être couchés tard

Comme nous pardonnons aussi à ceux qui ne sont pas rentrés pantoute

Et ne nous soumets pas à la tentation de penser que la pratique a été annulée… »

Un autre père m’a envoyé des paroles de sagesse, des paroles faciles à oublier un samedi matin quand on a un œil encore fermé à moitié par de la colle d’oreiller : « Profites-en, un jour, ça te manquera. »

***

Ça faisait donc des années que mon fils triomphait dans la ruelle et à la patinoire du parc Laurier.

Mais ça faisait aussi des années qu’il ne jouait pas « pour vrai », dans une équipe.

Ti-cul, le sport a été important pour moi. Je ne parle pas des leçons métaphysiques du sport. Celles-là, on ne les apprend qu’en regardant dans le rétroviseur de la vie, une fois adulte. Non, enfant, je jouais au soccer et au hockey pour une seule raison : parce que c’était la chose la plus amusante au monde.

Et dans le grand totem des joies de mon enfance, tout là-haut, avec manger du Map-O-Spread à la cuillère, il y avait le plaisir de marquer un but dans un match de hockey. Je parle de ce moment d’éternité où tu comprends que ton tir a battu le gardien…

J’avais donc peur qu’en ne jouant pas pour vrai, dans une équipe, l’héritier ne passe à côté de quelque chose, que son enfance ne soit inadéquate. À côté de quoi ? À côté de cette formidable école de vie : un sport, une équipe, un but commun, l’ivresse de la victoire et l’agonie de la défaite…

« Veux-tu jouer au hockey, cette année ?

— Oui.

— T’es sûr ?

— Oui.

— Tu vas pas lâcher ?

— Non. »

Au début, pendant le camp d’entraînement, il avait de la misère à se tenir debout. Je me suis dit que cette joie pure d’un but marqué, pour lui, ce ne serait pas pour cette année. Mais il ne lâche jamais.

***

Je sais que quand il est question de hockey mineur, la conversation est souvent dominée par les arbitres qui se font lancer des hot dogs par des parents enragés, des entraîneurs de niveau atome qui se prennent pour Mike Babcock et (encore) des parents qui lancent des hot dogs à d’autres parents, dans les tribunes.

Je n’ai rien vu de cela. Je ne dis pas que ça n’existe pas. Ces petites saloperies existent assurément dans les arénas de la province. Je dis que la vie, la vraie vie, ne fait jamais les manchettes parce qu’elle n’a souvent rien de spectaculaire, comme le ronron d’un néon de l’aréna Camillien-Houde dans la solitude d’un samedi matin.

Mais j’ai vu des parents qui encouragent leurs enfants sans délirer. J’ai vu des entraîneurs qui ne font pas jouer les meilleurs sur l’avantage numérique, qui font jouer ceux (et celles) dont c’est simplement le tour de jouer. J’ai vu des arbitres se faire remercier par des parents et par des entraîneurs, après des parties.

J’ai vu des bénévoles – entraîneurs et gérante d’équipe, dirigeants d’association – se dévouer pour des enfants qui sont parfois les leurs, parfois pas. Ils sont là, eux et elles aussi, à 6 h 37 à la porte de l’aréna un samedi, ou à 19 h 30 à l’autre bout de la ville, après une journée de travail, pour une partie que nous allons perdre 8-0…

Dans le sport organisé, il y a une belle métaphore de ce que peut être le meilleur de la société.

Et j’ai aussi vu, après les entraînements et les matchs, gagne ou perd, parmi les plus beaux sourires à avoir jamais illuminé le visage de mon fils : soudainement, il s’anime et a mille anecdotes à raconter sur ce qui s’est passé sur la glace.

***

Notre équipe n’est pas extraordinairement douée. Mais elle ne lâche jamais. Nos joueurs ne sont pas les plus doués. Mais ils s’améliorent de semaine en semaine, c’est hallucinant de constater leurs progrès…

(Leçon de vie : répéter mille fois les mêmes gestes améliore inévitablement, petit à petit, ces gestes.)

Le mien ? Ce n’est pas le même joueur que celui qui a donné ses premiers coups de lame, en août. Il est devenu… élégant ! Sa meilleure arme : ses passes précises, même du revers. Et il met la puck dans la lucarne sans forcer.

Et c’est ainsi qu’il y a quelques semaines, un de nos plus fougueux attaquants – appelons-le Le Rouquin – s’est brièvement débattu dans le coin de la patinoire pour en sortir la rondelle, qu’il a héroïquement passée dans le tas de joueurs devant le filet, espérant qu’une palette amicale s’en empare…

Notre numéro 47 a alors pris un pas de retrait, il a délicatement sorti la rondelle du paquet de patins et de bâtons qui luttaient pour la toucher…

Il a reculé, levé la tête, cherché l’ouverture, armé son tir et, paf, il a décoché…

But !

Le premier but à vie de mon fils.

Il restait huit minutes au match, ça nous lançait en avance au score. Nous l’avons conservée. Première victoire de l’année.

Joie pure…

Pour lui aussi.

***

À hauteur de ti-cul, c’est la chose la plus banale, normale du monde : te faire trimballer à l’aréna par ton père, par ta mère.

À hauteur d’adulte, c’est parfois la chose la plus emmerdante de ta journée, bien honnêtement. Un cauchemar logistique dont tu te passerais bien. Un dos d’âne dans ta journée de fou.

En même temps, dans le grand ordre des choses, celui qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est peut-être la chose la plus importante du monde, comme parent : être là.

Trimballer mon fils depuis août dans les arénas de la ville m’a donné une appréciation pour un homme qui n’est plus de ce monde : mon père. Il n’était pas parfait, mais il était… là.

Maintenant adulte, en regardant dans ce rétroviseur de la vie, je sais que ce ne sont pas tous les fils qui ont eu cette chance. Et c’est ce qui est formidable avec le hockey, je trouve : même si je ne joue plus depuis 30 ans au moins, ce sport m’en apprend encore sur la vie.

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