Opinion

Je refuse de participer au Mois de l’histoire des Noirs

Il y a lieu de se demander si ce genre d’événement ne favorise pas davantage l’exclusion que l’inclusion

Dans une entrevue accordée en décembre 2005 à l’émission américaine 60 minutes, l’acteur Morgan Freeman a déclaré que le Mois de l’histoire des Noirs est « ridicule ».

Il a poursuivi en demandant à son interlocuteur, en l’occurrence le défunt journaliste Mike Wallace, si le Mois de l’histoire des Blancs existe, si le Mois de l’histoire des Juifs existe. Selon lui, vaincre le racisme commence par arrêter de parler sans cesse de ce pan de l’histoire et d’employer les termes « Noir » et « Blanc ». Et si la voix de cet acteur qui doute de la pertinence de ces activités commémoratives était celle de la raison ?

Le Mois de l’histoire des Noirs en est à sa 24e édition au Québec. Tout le mois de février sera consacré à la célébration des réalisations des communautés dites noires. En 2015, il y a lieu de se demander si ce genre d’événement ne favorise pas davantage l’exclusion que l’inclusion. En martelant constamment à la face du monde qu’ils sont Noirs et fiers de l’être, les citoyens derrière ces activités annuelles ne contribuent-ils pas justement à cette impression de différence entre « eux et les autres » ?

Pourquoi rappeler qu’ils sont une couleur alors que ce qu’ils veulent réellement, c’est qu’on ne fasse plus cas de leur épiderme ? 

Je vois une contradiction entre ce besoin de s’identifier à son teint et une phrase du discours célèbre d’un des plus grands défenseurs des droits civiques des Noirs, Martin Luther King : « I have a dream that my four little children will one day live in a nation where they will not be judged by the color of their skin but by the content of their character. »

RENDRE HOMMAGE À MES ANCÊTRES

J’ai moi-même la peau noire et c’est plutôt difficile à cacher. Je ne me sens donc pas obligée de le préciser à tous les vents. Comme la majorité des « Noirs », je suis consciente du passé atroce de mes ancêtres et des combats qu’ils ont menés pour que je puisse entre autres m’asseoir n’importe où dans n’importe quel autobus. Chaque jour, je rends silencieusement hommage à ces vaillants personnages en refusant notamment qu’on me réduise à la couleur qu’on leur a accolée vulgairement quand on les a entraînés loin de leur continent africain. Chaque jour, je contribue à vaincre les préjugés qui subsistent en me comportant comme une citoyenne « ordinaire » et civilisée.

Assez tôt dans ma vie de jeune adulte, j’ai compris que le chemin à parcourir serait long. Je me suis préparée en conséquence en m’instruisant et en me tenant loin de tout regroupement qui pourrait m’associer à une couleur en particulier et me prêter des réflexions qui ne sont pas les miennes. Je ne veux pas de division entre « moi et les autres » : je suis en quête d’harmonie.

En refusant de participer à toute activité du Mois de l’histoire des Noirs, j’exprime mon droit à mon individualité. S’il fut un temps où les Noirs devaient faire front commun, ce temps est pour moi révolu. L’heure est plutôt à se libérer enfin des chaînes du passé.

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